Première femme avocate au Cameroun, la doyenne du barreau camerounais a fait de sa vie une lutte pour la légalisation de l’homosexualité, dans un pays où les LGBT encourent jusqu’à cinq ans de prison. Un combat qu’elle espère voir défendu lors du sommet Afrique-France à Montpellier, qui se tient jusqu’à samedi.
Seule sa canne trahit la grande dame que ses jeunes clients surnomment “Maman”. Elle a 76 ans mais on lui en donnerait 60. Alice Nkom, doyenne des avocates camerounaises et défenseure des droits des LGBT, n’est pas prête à prendre sa retraite. “Je n’ai aucune raison de m’arrêter, j’ai un dernier combat à mener : obtenir la dépénalisation de l’homosexualité dans mon pays”.
Vêtements traditionnels arborés d’un badge aux couleurs de l’arc-en-ciel, elle vient d’achever une tournée des associations LGBT de France. Le calendrier n’est pas laissé au hasard, son passage a précédé de peu la tenue du sommet Afrique-France qui rassemble à Montpellier, le 8 octobre, des acteurs du monde de l’entreprise et de la société civile africaine, à l’invitation du président français, Emmanuel Macron.
Au Cameroun, Alice Nkom est la première femme inscrite au barreau de Douala en 1969. Un barreau qu’elle contribue avec d’autres à fonder au Cameroun, à une époque où le métier est essentiellement pratiqué par des hommes blancs venus de France. Elle a 24 ans et elle dit “avoir fait ça par amour”, inspirée par un mari qui a cru en elle.
Devenir procureur de l’État camerounais ? Ç’eût été trop facile pour cette acharnée de travail. “Ils plaident dans le sens de la condamnation et l’emportent souvent. Moi j’ai eu la mauvaise idée de défendre les droits de l’Homme”, s’amuse celle qui a exercé en tant qu’avocate d’affaire avant de se consacrer à la défense des personnes LGBT.
La première association de défense des homosexuels camerounais
Dans un pays où l’homosexualité est interdite, l’avocate voit défiler dans les tribunaux correctionnels, au début des années 2000, de jeunes homosexuels risquant jusqu’à cinq ans de prison. “Pendant mes audiences, je voyais ces pauvres jeunes gens qu’on condamnait systématiquement pour homosexualité et qui ne demandaient qu’une chose : s’enfuir et se faire oublier après leur condamnation. Pour moi c’était inacceptable !”, se souvient Maître Nkom. “J’ai commencé à étudier la question et à me demander comment je pouvais poser ce débat sur la table nationale. Il leur fallait un porte-voix pour expliquer qu’ils sont des citoyens à part entière et non des citoyens entièrement à part”.
Très vite, Alice Nkom monte au créneau et fonde, en 2003, la première ONG anti-homophobie au Cameroun : l’association pour la défense des droits des homosexuels (Adefho). Pour ce geste, elle sera convoquée par le préfet, furieux qu’une organisation camerounaise mentionne le mot “homosexuels”. Fine oratrice, l’avocate finira par le convaincre, mais très peu de jeunes LGBT oseront adhérer à l’Adefho. “L’association leur était ouvertement destinée mais ils redoutaient l’’outing’ [la révélation de leur homosexualité]”, résume-t-elle. Qu’importe, un pas est franchi. Son organisation ouvre la voie à d’autres.
Dans le même temps, Alice Nkom passe par d’autres biais pour se rapprocher des jeunes homosexuels camerounais rejetés par leurs familles et souvent isolés par peur des représailles. “Tenant compte des conseils des membres de la communauté LGBT camerounaise”, l’avocate militante fonde une seconde association, davantage axée sur la santé de ces jeunes : Sid’ado, qui s’occupe des adolescents face au sida.
Menacée, insultée, attaquée en justice…
Mais plus elle médiatise son combat, plus elle est menacée. “J’ai parfois plaidé à Yaoundé accompagnée par des gardes du corps” raconte-elle. “À un moment, je recevais des coups de téléphone le jour et la nuit. On me traitait de sorcière, on me disait que j’incitais les enfants à ‘se faire fracasser le cul’… C’était très violent. J’étais devenue la personne à éviter. Ces gens pensaient qu’ils pouvaient m’interdire de plaider pour qui je veux.”
Alice Nknom ne se laisse pas décourager pour autant. “Je faisais le tour des tribunaux, je guettais les procès pour homosexualité sur tout le territoire et je me constituais pour la défense de ces jeunes gens que personne ne prenait en charge.”
En 2007, dans une interview à RFI, l’avocate fustige la loi contre l’homosexualité au Cameroun. Cette fois, c’est le ministre de la Justice qui l’attaque par le biais de l’Amicale des magistrats camerounais. Une plainte pour “apologie du crime” est déposée contre la militante, mais sans aboutir à une condamnation.
Alice Nkom déplore un manque d’éducation de la population mais, selon elle, c’est avant tout le système qu’il faut changer. “Cela n’évoluera pas tant qu’il n’y aura pas un minimum de démocratie et de respect des valeurs des droits de l’Homme”, affirme-t-elle. “Quand le pouvoir est entre les mains d’une seule personne et que la séparation des pouvoirs est un leurre, il faut bien détourner l’attention des populations sur quelque chose”, élabore-t-elle, visant à mots à peine voilés le président camerounais, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. “Les homosexuels sont une cible toute trouvée.”
Pourtant, dans la société civile camerounaise, les mentalités évoluent, promet Me Alice Nkom, même si les agressions et les arrestations – souvent sur délation – se multiplient. “Il suffit que quelqu’un vous dénonce parce que vous avez une voix fluette ou une démarche de femme, sur un délit de faciès, pour que la main d’un tribunal s’abatte sur vous”, explique l’avocate dont le cabinet ne désemplit pas.
Plus d’une centaine de LGBT arrêtés
Grâce à une plateforme collaborative regroupant une quarantaine d’associations, les signalements remontent. Et les chiffres ne sont pas bons. Depuis début 2021, plus d’une centaine d’arrestations ont été recensées, certains prévenus sont en attente de procès et plus d’une quarantaine de personnes incarcérées en raison de leur orientation sexuelle. “Pas plus tard que ce matin, un jeune en prison m’appelle pour me dire qu’il y a 20 homosexuels enfermés avec lui”, rapporte Alice Nkom, qui centralise de nombreuses informations.
Depuis février, l’avocate travaille sur le dossier de Shakiro et Patricia, deux femmes transgenres arrêtées alors qu’elles se trouvaient dans un restaurant, condamnées à cinq ans de prison pour homosexualité et d’outrage privé à la pudeur. Me Nkom a obtenu la liberté provisoire pour ses deux clientes et attend un procès en appel en octobre.
Dans le domaine d’Alice Nkom, les victoires sont rares. Aussi l’avocate tire le maximum de chacune d’entre elles. Dernièrement, à la tribune de l’ONU, le président américain, Joe Biden, a mentionné le Cameroun au rang des pays les plus homophobes du monde, au même titre que la Tchétchénie. “Ça n’est pas rien”, dit-elle, fière d’avoir réussi à alerter de la situation des LGBT camerounais jusqu’à la Maison Blanche.
L’avocate compte sur la pression internationale pour faire évoluer les autorités camerounaises et les inciter à dépénaliser. “Les États-Unis sont l’un des principaux partenaires en développement du Cameroun, ils ont le pouvoir de demander aux autorités de desserrer l’étau légal sur les homosexuels”, se réjouit celle qui ne cache pas ses contacts réguliers avec l’ambassade américaine, qu’elle juge “à son écoute”. Ce n’est pas le cas de la France, déplore-t-elle.
“J’attends tout de la France et pour le moment je n’ai rien”, dit-elle un brin amère. “La France signe des chartes, véhicule des valeurs comme les droits de l’Homme, l’État de droit, le respect de l’environnement. Elle essaie de les appliquer à elle-même, mais elle permet à ses partenaires de les violer impunément sous ses yeux” ajoute celle qui en appelle au rapprochement des sociétés civiles pour “faire pression” sur les décideurs. Pour Alice Nkom, le sommet de Montpellier en est l’occasion toute trouvée, du moins c’est ce qu’elle espère.