Invité de l’émission “Objection”, Alioune Tine est revenu sur le bouillonnement du front social. Selon le patron d’ Africa Jom Center, les Sénégalais sont très fatigués et le chef de l’État devrait privilégier la négociation au lieu de la force qui peut être source de violence.
Selon M. Tine, la situation au Sénégal est extrêmement difficile aujourd’hui ; il suffit de sortir et de demander aux gens : «tout le monde se plaint du fait de la cherté de la vie. Les Sénégalais n’arrivent plus à payer l’eau, l’électricité, la nourriture, la scolarité des enfants etc. Il y a aussi un problème d’insécurité alimentaire dans la sous-région et nous sommes concernés. Quand la situation est comme ça, l’État ne doit pas faire la sourde oreille, encore moins jouer des muscles, mais l’État doit s’ouvrir, discuter, rassurer. Les Sénégalais comme disait Kéba Mbaye sont fatigués, mais moi je dirai très fatigués. Si l’État et la puissance publique ne comprennent pas que les Sénégalais sont très fatigués, ils seront surpris. Je pense qu’il faut écouter les gens. Quand les gens vont devant les grilles du palais présidentiel pour dire au président que l’électricité est trop chère, ce n’est pas un crime. On n’a pas besoin de mettre les gens en prison qui viennent devant les grilles pour se plaindre de la cherté de l’électricité, il devrait plutôt avoir la possibilité de recevoir une délégation pour essayer de trouver des solutions».
Selon Alioune Tine, on doit procéder à un audit de la Senelec pour savoir ce qui se passe. Pour Tine, «il faut faire sortir les jeunes qui sont en prison et discuter avec eux au lieu de penser que les Sénégalais sont des baudets qui peuvent tout supporter. Si cela continue comme ça, ils risquent d’être surpris», avertit-il. Abordant la question de la recrudescence des personnes tuées au large des côtes mauritaniennes, Alioune Tine trouve la situation «tragique, vraiment tragique ! Ce droit à la vie est banalisé. Il y a combien de petits bateaux ou de bateaux dans lesquels s’engouffrent des jeunes africains qui meurent. C’est des milliers, l’océan est devenu maintenant un cimetière». Avant de s’interroger : «Mais de quoi ces phénomènes sont-ils le symptôme ? De quoi sont-ils le signe ? Ils alertent de quoi par rapport à notre situation globale ici au Sahel et en Afrique de l’Ouest ? Quelles sont les causes profondes qui font que ces gens ne peuvent pas rester dans leur terroir, ne peuvent pas y vivre, ne peuvent pas y travailler et qui n’ont aucun espoir de donner un sens à leur vie et à leur horizon ?».
Avant de répondre : «C’est un horizon totalement bouché. Et quand on est comme ça dans un pays, qu’est-ce qu’il faut faire ? Je pense que les jeunes ont le droit d’aller partout dans le monde pour trouver du travail. Pourquoi aujourd’hui, certains peuvent aller partout dans le monde, chercher des opportunités partout dans le monde et que les Africains soient assignés à résidence ? Les capitaux, ça circule, notre pétrole tout le monde vient, les investisseurs viennent, la distribution française, elle est là. Maintenant, l’Europe ferme ses portes : ce sont les barbelés et les murs, les frontières sont totalement fermées ; et en plus de cela, il y a un discours populiste qui est un discours de haine, de rejet, qui est également un discours selon lequel l’étranger est le bouc émissaire de tout ce qui se passe en Europe. C’est d’ailleurs ce qui fait l’impact du Brexit. Le Brexit a été fait sur la base d’un discours de haine, de rejet de l’étranger. Aujourd’hui sur le plan international, il n’y a rien qui ait été fait en Afrique d’abord. Quelles sont les responsabilités des États Africains pour qu’une certaine jeunesse dans son imaginaire pense que son avenir n’est pas en Afrique, son avenir est tout le temps ailleurs. Il y a les trois voies de l’imaginaire, et ces trois voies se connectent et c’est extrêmement important. Vous avez l’imaginaire des gens qui dans un pays où la politique ne faisant plus de sens, l’État les ayant totalement délaissés, ils écoutent le discours des djihadistes et arrivent à prendre les armes contre leur propre pays. C’est ce qui se passe au Nigeria avec Boko Haram et au Mali. Donc c’est très connecté ! Il n’y a qu’en Afrique que les gens se battent contre leur propre État parce que l’État les a complètement délaissés et qu’ils sont ouverts à ceux qui veulent détruire l’Afrique. En même temps, il y a aussi le troisième : c’est ceux qui restent et disent on se bat ; ils croient qu’ils peuvent changer l’Afrique. C’est le cas des jeunes de Y en a marre, Lucha, Balai citoyen et autres. Ces trois imaginaires en Afrique sont connectés et si aujourd’hui il n’y a pas d’horizon pour la jeunesse, il n’y a pas également d’horizon pour l’Afrique. L’horizon de l’Afrique, c’est l’horizon de la jeunesse, et il est temps que le leadership africain se penche sur cette question, discute de cette question parce que l’Afrique n’a pas de politique d’émigration. L’Afrique subit la politique d’émigration de l’Europe, et c’est la fermeture systématique des frontières, c’est de fermer les visas. Il n’y a aucune alternative, c’est le Sahara ou la mer ; c’est pourquoi on assiste à cela. Aujourd’hui, les chefs d’État africain doivent discuter d’égal à égal avec leurs homologues : que les Africains eux aussi puissent aller chercher la richesse en France, aux États Unis et ailleurs, comme ils viennent le faire chez nous, parce qu’on ne peut pas dire que les marchandises bougent et que les Africains ne bougent pas. Au nom de quoi ? Je pense que tout cela doit faire l’objet de négociation. Je trouve que les Africains subissent trop et réagissent peu», s’offusque Alioune Tine.