Dans une déclaration d’environ sept minutes faite le week-end dernier, pour retirer sa candidature, Abdoulaye Daouda Diallo n’a pas prononcé le nom d’Amadou Ba, désigné pour représenter la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) à la Présidentielle de février prochain. Il a juste dit avoir répondu à l’appel de son « ami », le président Macky Sall pour, dit-il, « barrer la route aux entrepreneurs du chaos ». Ce qui confirme une animosité entre le président du CESE et l’actuel Premier ministre.
Beaucoup d’acteurs politiques sénégalais ont été surpris de constater qu’Abdoulaye Daouda Diallo, qui se réclame membre fondateur de l’Alliance pour la République (APR), a snobé Amadou Ba, désigné par le chef de l’État, Macky Sall, pour la bataille électorale de février 2024.
Mais cette attitude n’a pas surpris, si l’on sait que ces deux personnalités du pouvoir en place ont toujours eu des relations pas amicales. « Si Macky Sall propose sa candidature, Daouda Diallo ne va pas le soutenir. Et il ne sera pas le seul. Il a été très clair. Il a dit : “Si c’est Amadou Ba, je n’irai pas”, insiste un cadre de la coalition qui tentait alors d’arrondir les angles. Il est très amer », prévenait sur « Jeune Afrique » un responsable du parti, il y a quelques mois.
Mais pour comprendre l’inimitié tenace qui existe entre les deux hommes, il faut remonter au début du second mandat d’Abdoulaye Wade. Macky Sall, ancien Premier ministre, est alors le président de l’Assemblée nationale. Amadou Ba est à la tête des Impôts et des Domaines. Il a sous sa direction un jeune inspecteur brillant et revendicatif, qui a monté le premier syndicat de l’administration : un certain Ousmane Sonko. Abdoulaye Daouda Diallo, lui aussi inspecteur des impôts issu de l’École nationale d’administration et de magistrature, évolue d’une grande agence publique à une autre.
Aux impôts, ADD « mis au placard » par Amadou Ba
Selon plusieurs sources de « JA », le maire de Boké Dialloubé est déjà proche de l’ambitieux Macky Sall, qui finit par rompre avec Abdoulaye Wade en 2008. Lorsqu’il fonde l’Alliance pour la République, Daouda Diallo est à ses côtés. Pour ces « apéristes » de la première heure, débute la traversée du désert.
Abdoulaye Daouda Diallo est alors renvoyé aux impôts et domaines – qu’il avait quittés en 2005 – après avoir occupé les fonctions de secrétaire général du Conseil de la République pour les affaires économiques et sociales (CRAES), ancêtre du CESE, puis de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (IPRES). Il aurait alors, selon ses proches, été « ?mis au placard » par Amadou Ba. Ce dernier s’en défend aujourd’hui, assure qu’il a au contraire tout fait pour éviter que Daouda Diallo ne soit muté en région, du fait de sa proximité avec Macky Sall. « De plus, il voulait un poste à responsabilité, alors qu’il était déjà dans le viseur du ministre des Finances d’alors, Abdoulaye Diop », affirme une source proche du Premier ministre.
Qu’importe?: le mal est fait. Et leurs relations ne s’améliorent pas une fois que Macky Sall accède au pouvoir, bien au contraire, d’après le magazine panafricain.
Une fois son patron au palais, Daouda Diallo est nommé ministre délégué chargé du Budget. Il devient le supérieur hiérarchique d’Amadou Ba qui a, lui, rallié Macky Sall après sa victoire. Entre le nouveau membre du gouvernement et celui qui est encore directeur général des Impôts et des Domaines, les rapports sont cordiaux, mais distants. Ils sont contraints de travailler ensemble jusqu’à l’entrée au gouvernement d’Amadou Ba, en 2013.
Ce dernier prend la tête de l’Économie ; Daouda Diallo les rênes du ministère de l’Intérieur. Occupant ensuite les portefeuilles des Infrastructures puis des Finances, il ne quitte le gouvernement qu’en 2022, lors du remaniement qui propulse Amadou Ba à la primature.
« Il a toujours considéré qu’Amadou Ba n’avait pas sa place au sein de l’APR », glisse un ancien ministre de Macky Sall. Il n’est d’ailleurs pas le seul?: de nombreux caciques du parti présidentiel reprochent au Premier ministre d’avoir rallié le camp après la bataille, quand il avait tout à gagner et plus grand-chose à perdre. « C’est Daouda qui aurait dû être Premier ministre, estime cette source. Mais Macky Sall lui a préféré Amadou Ba ».
Ce choix n’est autre que stratégique, assurent les proches du Premier ministre, qui se sont confiés à « Jeune Afrique ». « Daouda Diallo a un électorat départemental réduit, déclare un intime d’Amadou Ba. En plus de tous ses handicaps, il parle wolof avec un accent pulaar.?Le Premier ministre n’a aucun problème avec lui pour autant?: c’est lui qui, peut-être, a un problème avec le Premier ministre?! Daouda Diallo n’a de problème avec personne. Ce n’est pas un rancunier, rétorque Ousmane Faye. Seule son ambition l’oppose au Premier ministre, ce qui est légitime ».
«Macky Sall a faussé le jeu de la Présidentielle »
« En ne se déclarant pas [à un troisième mandat], Macky Sall a faussé le jeu de la Présidentielle », regrette aujourd’hui l’un de ses alliés qui se serait bien vu candidat lui aussi. « Pour se préparer correctement, nous aurions eu besoin d’au moins un an. Mais nous étions persuadés que le président irait à la Présidentielle. Amadou Ba, lui, était prêt ».
« La majorité d’entre nous n’était pas d’accord avec le choix d’Amadou Ba, estime aujourd’hui un proche de Daouda Diallo. Il n’a pas la légitimité, il ne peut pas rassembler dans la coalition », insistant sur le fait que le parti n’a manifesté officiellement son soutien à Amadou Ba qu’après la sortie de Daouda Diallo, rapportent toujours nos confrères de « JA ».
« Il a fallu qu’il retire sa candidature pour que le Secrétariat exécutif national fasse un communiqué », insiste cet interlocuteur.
Dans ce document, les cadres « apéristes » « entérinent » le choix de Macky Sall en vue de la Présidentielle du 25 février. « Face à cette échéance cruciale pour notre destin collectif, il est clair que le sens du dépassement et des responsabilités, l’unité de notre camp, sa consolidation et son élargissement s’imposent comme des impératifs de premier ordre », ajoutent-ils.
Amadou Ba ne s’est quant à lui pas exprimé. Interrogé en janvier 2022 à ce sujet, il assurait qu’Abdoulaye Daouda Diallo était « son jeune frère ». « Je ne me souviens pas d’une seule fois où il y ait eu des malentendus entre nous. Nous ne sommes pas des rivaux politiques. Il sert le président de la République, je sers le président de la République. Le président va arbitrer un jour ou l’autre ».
« Au final, Daouda Diallo a privilégié les relations qu’il a avec Macky Sall depuis plus de 25 ans et la cohésion de la coalition, conclut son proche cité plus haut. Il sait que multiplier les candidatures dans le camp présidentiel, c’est la défaite assurée ».