En marge du 25 mai, journée de Libération de l’Afrique, correspondant à la 57ème anniversaire de l’ex-Organisation de l’Unité Africaine, fondée à la même date, le 25 mai 1963, Amadou Mahtar Mbow ausculte l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui pour fonder celle de demain. Entretien
Par Mohamed NDJIM
57 ans après la création de l’Organisation de l’Unité Africaine le 25 mai 1963 à Addis Abeba, on ne peut pas dire que les objectifs portant sur le développement ont été atteints. C’est l’avis du professeur Amadou Mahtar Mbow pour qui beaucoup de chemin reste à parcourir en la matière, notamment du point de vue de l’émancipation des peuples. «Les objectifs sont même loin d’être atteints et il faut que nous ayons l’honnêteté de reconnaître que les populations africaines restent encore parmi les plus pauvres du monde, que les objectifs visant au développement n’ont pas été atteints parce qu’il y a évidemment des intérêts, des intérêts d’autres puissances. Ces puissances n’ont rien fait si je puis dire pour favoriser le développement de l’Afrique et ont maintenu les rapports de dépendance qui existaient», déplore Amadou Mahtar Mbow.
Dans un entretien avec Ndèye Marie Fall, ancienne fonctionnaire internationale à l’Unesco, parcouru en exclusivité par Tribune, Amadou Mahtar Mbow dénonce les prolongements, sous une autre forme, de l’administration coloniale. «L’Afrique continue d’être un continent dont le développement économique a été entravé parce que l’Afrique n’a pas su maîtriser les éléments qui auraient permis la modernisation de toutes les structures économiques et la transformation par l’Afrique de ses matières premières. Nous continuons à produire ces matières premières brutes qui nous reviennent transformées par les autres, donc tout l’intérêt que représente le facteur essentiel de développement va aux pays qui ont des rapports économiques avec l’Afrique», laisse entendre l’historien.
Françafrique, néocolonialisme
Commentant l’annonce de la fin du franc Cfa par le gouvernement français, Amadou Mahtar Mbow revient sur les incohérences d’une monnaie de singe. «Avant ça, la valeur du franc Cfa avait été fixée par la France. La valeur du franc Cfa par rapport à l’euro a aussi été fixée non pas par les Africains, mais par les Français eux-mêmes. On oublie que la dernière dévaluation a été faite par la France elle-même, puis a été notifiée aux chefs d’Etat africains qui faisaient partie de la zone franc. C’est dire donc que les pays de la zone franc étaient dépendants du trésor français et n’avaient pas leur mot à dire puisqu’on ne les consultait même pas. La France ne les a pas consultés, c’est le gouvernement de Balladur qui a fait la dernière dévaluation et cette dévaluation a été décidée par la France et notifiée aux Africains. Ce qui veut dire que les Africains ne contrôlaient absolument pas leur développement. Mais, ce qui est le plus grave, c’est qu’après l’indépendance des tentatives de regroupement ont eu lieu ; mais ces tentatives ont subi un échec à chaque fois. Et quand on regarde les choses en profondeur on s’aperçoit que cet échec n’était que la conséquence de la volonté de l’ancienne puissance coloniale de continuer à contrôler l’économie», ajoute Amadou Mahtar Mbow. Il souligne, dans le même élan, le cas de la fédération constituée par le Mali et le Sénégal et indique que la France ne voyait pas d’un bon œil cette entente.
«L’Afrique ne peut se sortir de sa situation que si elle s’unit au sommet, à la base, et avec la diaspora»
Il ajoute toutefois que l’Organisation de l’Unité Africaine a d’importantes réalisations à son actif. «Le 25 mai 1963 à Addis Abeba 33 pays indépendants ont adopté la charte qui a fondé l’Oua, qui s’est fixée comme objectif l’indépendance de la totalité des pays du continent et la fin de l’apartheid. L’objectif c’était d’abord la libération du continent, mais aussi, de mettre en commun les efforts en vue d’assurer l’aspiration profonde des peuples africains, c’est-à-dire le développement des pays. L’Afrique a pu réaliser son indépendance totale. Aujourd’hui 54 pays font partie des nations unies, sont donc des pays indépendants et cela n’a pas été acquis aussi sans lutte. Au-delà de l’indépendance, la suppression de l’apartheid, du régime raciste en Afrique doit beaucoup à l’effort développé par des pays africains», affirme Amadou Mahtar Mbow. Il prône, dans le même temps, la voie de l’intégration pour le développement continental. «L’Afrique ne peut se sortir de sa situation que si vraiment elle s’unit, et si l’union ne se réalise pas seulement pas au sommet mais se réalise à la base, avec bien entendu la diaspora. Quand je parle de la diaspora je parle aussi des Antilles, des Africains qui sont en Amérique… Pour l’émergence véritable d’une Afrique indépendante, d’une Afrique progressiste. Cette Afrique qui n’a de haine contre personne doit être une Afrique qui aide à fédérer tous les peuples du monde vers une prospérité commune fondée sur la solidarité entre tous les peuples», ajoute Amadou Mahtar Mbow.