Depuis l’arrivée au pouvoir du duo Diomaye-Sonko, le gouvernement donne l’impression de vouloir se battre contre des moulins à vent. Dans le même temps, le pays marche et si l’économie semble ralentir, c’est particulièrement du fait des pouvoirs publics et des mesures qu’ils prennent. Un paradoxe, quand on compare avec ce que Macky Sall avait trouvé lors de ses 100 jours à lui !
Dès l’arrivée du Président Bassirou Diomaye Faye et de son gouvernement, les Sénégalais, toutes couches confondues, et quel que soit leur âge, ont été entretenus de l’espoir en des lendemains luminescents. Et pour entretenir cet espoir, nos dirigeants n’ont-ils pas commencé par nous promettre des baisses des prix des produits de première nécessité, sans compter l’amélioration notable des conditions de vie ? On les a d’autant plus facilement crus que cinq années durant, les leaders de Pastef n’ont raté aucune occasion pour montrer à quel point la gouvernance du Président Macky Sall était calamiteuse, et que pour leur part, ses remplaçants avaient les solutions pour non seulement éviter des embûches, mais faire mieux encore. D’ailleurs, aussitôt arrivés au pouvoir, les dirigeants de Pastef ont popularisé l’idée que plusieurs choses allaient changer en cent jours. Cette expression des 100 jours n’est pas une invention sénégalaise. Pour les Français, elle a rappelé pour la première fois, les 100 jours qui se sont écoulés entre le départ de Napoléon Bonaparte de l’île d’Elbe, où il avait été détenu, et sa seconde abdication après sa défaite de Waterloo. Une étape qui a duré du 20 mars au 22 juin 1815.
C’est ensuite, Valery Giscard d’Estaing qui, en 1974, en succédant à Georges Pompidou, a voulu indiquer la rapide cadence qu’il a voulu imprimer aux changements qu’il voulait effectuer dans la société française. Convaincant ou pas, il a imprimé l’expression dans l’esprit des politiques et de l’opinion. Pourtant, rien ne dit que les actuels dirigeants du Sénégal accepteront de rendre aux Français la paternité de l’expression. Cela serait d’autant plus difficile à reconnaître que les choses ne se sont pas passées de la manière dont les théoriciens du pouvoir y ont pensé. Les observateurs ont plus tendance à noter le nombre de fronts que le gouvernement ouvre dans plusieurs domaines.
Dans sa volonté de montrer qu’il pouvait faire baisser les prix de denrées alimentaires de manière consistante et rapide, il a mis en demeure des industriels et des commerçants de faire baisser les coûts de certains produits. Les meuniers et les boulangers, qui rechignaient à obtempérer, ont été contraints de se soumettre. Personne n’a demandé à ceux qui se plaignaient de l’évaporation de leurs marges, comment ils allaient les compenser, ni par quels moyens ils allaient payer leurs fournisseurs et leurs employés. Mais étant un secteur dominé par des expatriés, l’agroalimentaire a été plus facile à faire taire. Il n’empêche qu’il ne cesse de murmurer. Dans certaines entreprises, des travailleurs se demandent si, de la manière dont se présentent les choses pour eux, leurs patrons ne seront pas obligés de mettre la clé sous le paillasson. Et si des entrepreneurs politiques leur font croire que les patrons étrangers qui voudraient partir seront rapidement remplacés par des nationaux, tous ne sont qu’à moitié convaincus.
Tensions dans les entreprises
D’autres qui ne se sont pas contentés de murmurer, sont les membres des secteurs des Btp. Quand le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre sont montés au créneau, en allant visiter certains sites qui, à leurs yeux, posaient problème, ils ont demandé à des entrepreneurs de fermer des chantiers, le temps que les autorités puissent étudier les dossiers au cas par cas. Là aussi, les choses n’ont pas tardé. Ainsi par exemple, sur la Corniche de Dakar, des promoteurs immobiliers ont annoncé devoir mettre en chômage technique près de 15 000 ouvriers et journaliers. Sachant que c’est un secteur où règne la précarité, et dont l’essentiel des travailleurs vivent au jour le jour et ne peuvent se permettre de tenir pendant une longue période sans revenus, l’Etat a été contraint de revoir sa politique. Et bien que rien ne soit encore vraiment résolu, la majorité des chantiers qui étaient fermés ont été rouverts sous la contrainte.
Il faut dire que ce n’est pas que les seuls constructeurs qui seraient contraints de dégraisser en cas d’arrêt. Les cimentiers, les fabricants d’acier, les menuisiers et autres artisans seraient également touchés par un arrêt des travaux.
Comme si aucun secteur économique ne devait en réchapper, les pétroliers aussi sont appelés à rendre des comptes à l’Etat. L’entreprise australienne Woodside, qui vient de permettre aux Sénégalais de voir enfin leur premier baril de pétrole, où le chef de l’Etat Diomaye Faye est allé pour se rendre compte de son travail, est poursuivie pour d’énormes taxes fiscales. D’où un énorme contentieux entre les deux partenaires dont on souhaite qu’il ne vienne pas à bloquer la production. C’est d’ailleurs paradoxal que pour un régime qui a obtenu un plébiscite en promettant de mettre fin au chômage des jeunes et à la précarité des couches productives, qu’il donne le sentiment de vouloir tuer des emplois en procédant à la suppression de certains métiers.
Il faudrait ici également soulever le cas des entreprises de presse dont tout le monde savait, même avant l’arrivée du duo Diomaye-Sonko, qu’elles étaient sous respiration artificielle. Mais ce n’est pas l’objet essentiel de l’article. Cependant, en se mettant à réclamer des taxes fiscales à certaines entreprises et en mettant à jour l’iniquité de la répartition de ce qui est couramment appelé «l’aide à la presse», le gouvernement met à nu un système de partage du gâteau entre des proches des régimes au détriment des entreprises qui se sont toujours astreintes au respect de la loi et des règlements. Dans ce dossier comme dans bien d’autres, on a parfois le sentiment que les tenants du pouvoir ont le but ultime de pousser certaines entreprises dans leur tombe pour laisser la place à certaines qui les arrangent.
Polémique de l’Onas
Cette volonté plus ou moins concrète de régler des comptes réels ou supposés peut parfois conduire à des situations dramatiques. La dernière est encore vive pour tous, et elle oppose le ministre de l’Hydraulique et de l’assainissement au Directeur général limogé de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas). Un dossier dans lequel on accuse de corruption Cheikh Tidiane Dièye. Avant de se lancer en politique, il a toujours donné l’image, et tenu un discours de rigueur et de vérité, dans tous les actes qu’il posait. Il a laissé partout, l’image d’une personne de très grande probité morale et de profonde rectitude. Cette image est à l’opposé de celle qu’il projette dans le conflit qui l’oppose au directeur Cheikh Dieng. Dès son limogeage annoncé, ce dernier a convoqué une conférence de presse pour donner sa version des choses. Attitude d’autant plus responsable que dès son départ de l’Onas, son image a subi un lynchage en règle. Et depuis lors, M. Dieng n’a eu de cesse de demander que la Justice les départage. Une attitude à l’opposé de celle de son ministre, qui se contente d’envoyer des «seconds couteaux» au front, dans l’espoir de le «blanchir». Parions qu’il sait bien que ce ne sera pas gagné d’avance. Pour le moment en tout cas, il n’a rien pu apaiser.
On peut se consoler en remarquant que les dirigeants actuels ont encore 5 années au moins pour remettre les choses en place. On peut aussi leur concéder que beaucoup de reproches portés à l’encontre du pouvoir de Macky Sall n’étaient pas infondés. Mais Macky Sall a bien sûr eu la chance d’avoir servi dans des institutions gouvernementales, et à quasiment tous les niveaux. En plus, Macky Sall donnait l’impression, par rapport à ses successeurs, d’avoir une bonne capacité d’écoute. Wade, avant même de quitter le pouvoir, lui avait promis l’impossibilité de payer les salaires les deux mois de sa prise de pouvoir. Dès son intronisation, le nouveau chef de l’Etat est allé solliciter une aide budgétaire à ses amis français. Et il n’a jamais cherché à en faire inutilement des antagonistes.
Notre actuel couple au pouvoir semble jouer un jeu particulier. Quand le Président va en France, le Premier ministre attaque ce pays sur le traitement des Tirailleurs «africains». Ceux qui sont là après lui devraient comprendre qu’ils ne sont pas en place pour corriger les erreurs de Macky Sall, mais plutôt pour remettre sur de bonnes routes un pays. Déclarer que l’on a hérité d’un pays en ruine alors que l’on voyage quasiment sans arrêt dans un avion presque neuf, et aux frais de l’Etat, renvoie une très forte contradiction. Et même si on veut pressurer toutes les entreprises, on n’a vraiment pas besoin de cet argent pour remplir ses devoirs d’Etat. La preuve, depuis qu’il a levé les Eurobonds et d’autres fonds sur les marchés financiers internationaux, le gouvernement ne semble pas s’empresser de voter une Loi des finances rectificative (Lfr) qui lui permettrait de mettre cet argent dans les comptes du Trésor. Où donc la faillite, à moins qu’elle soit morale ?
Actunet avec LE Quotidien