Après les retrouvailles libérales, va-t-on vers l’enterrement de la Crei ? Cette question s’impose d’autant que le Président Macky Sall avait dit que la Crei c’était pour le Pds et l’Ofnac pour l’Apr. Aujourd’hui qu’ils filent le parfait amour, la Crei a-t-elle toujours sa raison d’être ? Surtout qu’elle était mise en veilleuse depuis la condamnation de Karim Wade dont la réhabilitation est de plus en plus agitée, va-t-on purement et simplement vers sa suppression ? En tout cas, depuis quelque temps, la Cour de répression de l’enrichissement essuie des critiques acerbes ; et la dernière en date émane de Moustapha Cissé Lô, un des proches du régime qui n’a pas été tendre avec cette juridiction d’exception ressuscitée par le Président Macky Sall, au lendemain de son accession au pouvoir pour traquer les voleurs de la République.
«Ma politique, c’est que l’argent public serve à notre population, pas à quelques margoulins», avait rétorqué le chef de l’État aux détracteurs de la Crei dans un entretien accordé à Jeune Afrique en octobre 2014.
«Dans toutes les grandes Républiques, vous trouvez des juridictions d’exception. Elles obéissent ici comme ailleurs à la nécessité de résoudre des problèmes particuliers. Concernant l’enrichissement illicite des hauts responsables de l’État et cette fameuse inversion de la charge de la preuve, je ne vois pas bien où se situe le problème», avait déclaré Macky Sall.
Expliquant au passage : «Il s’agit d’expliquer la licéité des biens supposés illicites parce que, par exemple, le train de vie d’un tel est en totale disproportion avec ses revenus officiels. Si ce dernier prouve sa bonne foi, ce ne devrait pas être très compliqué, s’il n’a rien à cacher, le débat est clos. Dans le cas contraire, il appartient aux juges de trancher, pas au président de la République. Je définis la politique judiciaire, je ne rends pas la justice. Et ma politique, c’est que l’argent politique serve à notre population, pas à quelques margoulins». Mais Moustapha Cissé Lô, premier vice-président de l’Assemblée nationale ne semble pas être en phase avec le chef de l’État, car assimilant tout simplement la Cour de répression de l’enrichissement illicite à de la «foutaise».
«La Crei, qui a condamné Karim Wade, n’est pas conforme à l’Islam. On ne peut pas observer par une fenêtre pour juger ce que fait un individu situé de l’autre côté. Sa condamnation est basée sur des accusations qu’on n’a pas encore prouvées. C’est de la foutaise. Il faut égorger la Crei et laisser tranquille ceux qui sont poursuivis par cette juridiction spéciale, car personne ne peut jurer n’avoir pas détenu des biens de façon illicite».
Pourtant, c’est ce même Cissé Lô qui, en 2017, jurait la main sur le cœur que Wade fils avait pillé les ressources publiques quand il était aux affaires. Il avait même cité le nom des dignitaires libéraux qui avaient festoyé avec nos deniers. Le président du parlement de la Cedeao de s’exclamer tout haut pour mieux se faire entendre : «ils sont tous des voleurs !». Des accusations graves que Cissé Lô entendait assumer. Il s’interrogera sur l’origine de l’argent que détiendraient ces responsables politiques. «Où est-ce qu’ils sont allés trouver toute cette manne financière ?». Il avait même fait part de sa volonté ferme de remettre en branle la Crei pour mettre la main sur les voleurs non encore inquiétés.
Qu’a-t-il bien pu se passer entre temps pour qu’il change de discours ? Quoi qu’il en soit, il convient de reconnaître que la résurrection de cette juridiction exceptionnelle, avait fait naître les espérances les plus folles. Excédé par les détournements impunis des deniers sous l’ère des socialistes, d’abord, ensuite celle des libéraux, le citoyen avait cru à la naissance d’une nouvelle ère sans détournement et sans corruption.
Le Sénégal pouvait enfin prétendre à l’émergence, une fois débarrassée de son principal obstacle : l’homme politique prévaricateur, détourneur sans scrupules des deniers publics. Ce qui révoltait le plus est que des gens pauvres comme Job se retrouvaient, au contact de la politique, riches comme Crésus. Une richesse aussi subite, suspecte, qu’inexpliquée. Ce qui fait que les populations avaient fait preuve d’indulgence envers la Crei, car ce qui leur importait était le fait que ceux qui avaient englouti les deniers rendent gorge.
8 ans après, c’est la déception la plus totale ! Non seulement la Crei n’avait ramené dans ses filets qu’un seul gros poisson, Karim Wade en l’occurrence ; mais aujourd’hui, ce dernier file tout droit vers la blanchisserie. Donc malgré le tapage fait autour de la Crei, le Sénégal n’a même pas réussi à faire un pas en avant en matière de bonne gestion des finances publiques. Nul ne sait où est passé l’argent supposé avoir été recouvré auprès de ceux qui avaient transigé. Après une vive polémique sur le montant recouvré, silence radio depuis.
Comme quoi, tant que ce sont les mêmes politiciens qui seront aux affaires, les mêmes causes reproduiront toujours les mêmes effets. C’est pour cela que la Crei en elle-même n’est pas une mauvaise chose ; il suffit juste de la réformer pour permettre à ceux qui se disent injustement accusés d’avoir des voies de recours.