Par El Hassane SALL
L’attribution des licences de pêche, “en veux-tu ? En voilà”, sous le règne des différents présidents qui se sont succédé à la tête du Sénégal, menace la sécurité alimentaire de millions de Sénégalais. À chaque changement de régime, de nouveaux espoirs s’emparent des acteurs locaux de la pêche, mais au finish, c’est la déception totale, car il semble que chaque pouvoir qui s’installe s’en met plein les poches.
Et le triste constat est que seuls les régimes changent, mais les mêmes pratiques demeurent, avec les scandales interminables des licences accordées aux pêcheurs étrangers. La prédation des ressources halieutiques avait commencé sous le règne des socialistes, où des requins voraces, principalement des Français et Espagnols venaient se servir grassement dans les eaux très poissonneuses du Sénégal. Puis, sous Wade, ce fut au tour des chalutiers russes et espagnols de racler nos fonds marins, avant que les Chinois et Turcs ne viennent prendre leur part sous Macky Sall.
Ce qui est le plus intrigant dans cette situation, est le fait que chaque président qui accède au pouvoir promet d’y mettre un terme, mais finit toujours par profiter de ce qui ressemble à une manne financière intarissable. Ce fut le cas en 2000 quand, fraîchement élu, Abdoulaye Wade avait décidé de voir clair dans cette pêche en eaux troubles. Ainsi, en mars 2001, avait-il exprimé ses préoccupations par rapport à la gestion de l’argent généré par la vente des licences de pêches, et qui étaient directement versés dans des comptes ouverts par la présidence, sous Abdou Diouf. Son directeur de cabinet d’alors, Idrissa Seck, avait parlé à l’époque de «scandale qui porte sur plusieurs milliards», et avait fait part de la volonté du nouveau régime de tirer cette affaire au clair avant de promettre que le président allait, de toutes les façons, saisir la justice.
Jusque-là, on parlait de comptes qui avaient servi à financer le football sénégalais, mais qui avaient aussi permis à des dignitaires de l’ancien régime de se sucrer, relatait la presse. Les premières pistes de la Division des investigations criminelles (Dic), qui avaient été chargée de l’enquête par le Premier ministre, sur instruction directe du président de la République, avaient d’abord été dirigées vers les anciens responsables du football sénégalais. Six mois après l’ouverture de l’enquête diligentée par la Dic, des documents aux mains des limiers avaient permis de déceler des liens directs entre l’achat de véhicules au profit du Ps et les fonds logés dans des comptes différents au nom de la présidence de la République.
Mais à ce jour, personne n’a été inquiété, ce fut comme une sorte de casse sans casseurs. Pire, le régime de Wade, qui avait promis de faire toute la lumière sur cette nébuleuse dans les licences, avait lui aussi fini par être accusé des mêmes travers. Aussi, en 2012 nouvellement élu, le Président Macky Sall avait pris la décision de suspendre les licences de pêche, afin de préserver les ressources halieutiques sénégalaises, soumises à une exploitation forcenée et d’auditer le secteur. C’est ainsi que Khoureychi Thiam le dernier ministre de l’Économie maritime, avait été entendu, et à l’issue de son audition par l’Ige, il s’était, lors d’une conférence de presse tenue en 2013, expliqué sur les présumés scandales des licences de pêche, relevés par certaines institutions d’audit.
Arrivé à la tête du ministère en 2009, l’ancien responsable libéral déclarait avoir agi sur «instruction» du président de la République d’alors, Me Abdoulaye Wade. Le Sénégal avait un stock de «1 million 500 mille tonnes de poissons» dans ses eaux à l’époque, révélait-t-il. Ayant considéré que ceci peut «rapporter» beaucoup d’argent à l’économie du pays, l’ancien président de la République l’avait saisi par «courrier» pour lui ordonner de «décerner» les licences d’exploitation du poisson aux bateaux étrangers. Koureichy Thiam croit que cette affaire est aussi claire dans la mesure où il n’a agi qu’en tant que ministre de la République sous la responsabilité du président de la République, qui définit la politique de la Nation. Mieux, l’ancien ministre avait laissé entendre que ces licences ont rapporté à l’État une manne de «2 milliards 500 millions Cfa» pour la seule année de 2012.
Aujourd’hui, on assiste à ce qui semble être devenue une règle établie, car c’est au tour du régime de Macky Sall d’être accusé par le Gaipes de pratiques mafieuses dans l’attribution des licences de pêche à des navires chinois. Depuis, ce sont des concerts d’accusation et de contre accusations entre le Gaipes et le ministère de la Pêche par presse interposée. Ce qui est frustrant dans la situation est le fait que c’est le peuple qui paie le plus lourd tribut avec la menace de l’insécurité alimentaire qui plane sur sa tête et les pertes annuelles de 150 milliards Cfa qu’engendre la pêche illicite. Jusqu’à quand ? Ofnac, Ige et autres corps de contrôle, où êtes-vous ?