Cinq tirailleurs sénégalais racontent ce qu’ils ne pardonneront jamais à la France

Loin du sourire généreux de Omar Sy, l’acteur principal, et des paillettes de la présentation à Dakar du film «Tirailleurs», dont la sortie est prévue le 4 janvier, certains tirailleurs sénégalais ruminent leur colère. Le journal français Le Parisien a recueilli leurs témoignages entre Thiès, Dakar et Diohine (Fatick).
 
Ndiogou Dièye (103 ans)
 
Il est l’un des derniers, sinon le dernier tirailleur sénégalais de la Seconde Guerre mondiale encore vivant. Il vit à Thiès. Il portait le matricule A 58697 avec le grade de sergent de l’armée française. Enrôlé en 1940 dans le 7e RTS (Régiment des tirailleurs sénégalais), il ne pardonnera jamais à la France de l’avoir envoyé au front contre son gré. Il n’avait que 20 ans. Il rembobine : «Si le commandant chef demandait au chef de canton de recruter des militaires, le chef de canton recrutait. Les soldats venaient voir ton père et lui disaient : ‘Ton fils, à partir de telle date, il vient avec nous’. Impossible de refuser. Certains étaient volontaires, mais pas moi.»
 
Djiga Gningue (95 ans)
 
Ce vétéran de la Guerre d’Indochine (1946-1954) est à moitié aveugle. Il vit sa retraite dans son village à Diohine, dans la région de Fatick. Il a presque perdu la mémoire. Les seuls souvenirs qu’il a confiés au journal Le Parisien, ce sont sa rencontre avec Léopold Senghor en France, les corps de ses camarades qu’il a déplacés après le massacre du camp de Thiaroye et le naufrage de leur embarcation en pleine guerre. «Bateau coulé, capitaine dit ‘démerdez-vous !’», répète-t-il au journaliste parti recueillir son témoignage.
 
Issa Lèye Sèye (88 ans)
 
Il a fait la Guerre d’Algérie (1954-1962). En tant qu’habitant de Rufisque, une des Quatre communes du Sénégal, il avait la nationalité française. Mais ce «privilège» ne le préservait pas des mauvais traitements que subissaient les tirailleurs «indigènes». «Quand nous étions une colonie, tout n’a pas été rose, il faut le dire, signale-t-il. J’ai été victime d’injustices par rapport aux ‘Européens’, et des brimades qui frisaient le racisme de la part de certains commandants d’unité. J’aurais souhaité faire une carrière militaire, mais j’ai préféré partir tellement j’étais dégoûté.»
 
D’autant qu’il a été envoyé pour une guerre qui lui paraissait injuste : «En tant que militaire, c’était normal de prendre les armes contre les membres de l’ALN en Algérie. Sur le plan humain, je ne le referais plus.»
 
René Sow (88 ans)
 
Il n’est pas en réalité un tirailleur sénégalais. Il a rejoint l’armée française en 1954 en tant que citoyen français, puisqu’habitant Dakar, une des Quatre communes. Il profite aujourd’hui de sa retraite à Amitié 3, à Dakar où il est né il y a près de 90 ans. Il était parachutiste avec 173 sauts à son actif. Ses reins en sont éprouvés. De simple soldat, René Sow est devenu caporal. S’il clame sa reconnaissance à la France pour lui avoir «donné une excellente instruction», il regrette d’avoir combattu d’autres personnes qui luttaient pour leur indépendance. D’autant qu’après avoir défendu le drapeau bleu-blanc-rouge et renvoyé dans son pays pour former la jeune armée du Sénégal, on lui a retiré la nationalité française. 
 
Demba Sow (87 ans)
 
Ce natif de Diourbel marche en s’appuyant sur une canne, stigmate de ses années dans le 1er RTS qu’il a intégré en 1954 et qui devint plus tard le Bataillon autonome de Mauritanie. Il ne digère pas le gel des pensions des tirailleurs décidé en 1959. Il déplore : «Nos vies valent-elles moins que celles des Français ? Sur le champ de bataille, la balle qui sortait du canon de l’ennemi ne faisait pas de différence entre le Noir et le Blanc, elle.»
 
Les tirailleurs seront rétablis dans leurs droits vers la fin des années 2000 avant que leurs retraites soient alignées sur celles des anciens combattants français en 2011. «Mais les arriérés n’ont jamais été payés, et la question reste très sensible», pointe Le Parisien.

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