La féminisation de l’Armée est une longue histoire. Que raconte le colonel Mamadou Gaye, directeur des ressources humaines de la Grande muette, dans cet entretien avec Seneweb.
Les femmes commencent à être de plus en plus visibles dans les différents corps militaires et paramilitaires. Comment en est-on arrivé là ?
La question genre occupe une place prioritaire dans la politique des ressources humaines des forces armées et dans le cadre de la mise en œuvre également des orientations prioritaires du Chef d’état-major général des armées (Cemga). Son institutionnalisation a été effective avec l’élaboration de la stratégie nationale genre du ministère des Forces armées, largement inspirée de la stratégie nationale pour l’équité et l’égalité du genre qui a été instituée en 2006.
Mais l’entrée des femmes dans l’armée remonte à 1984…
Il faut reconnaitre que les armées ont été à l’avant-garde de ce combat puisqu’en 1984 déjà, les armées ont recruté les premiers personnels féminins, une dizaine, à l’école militaire de santé et depuis lors. Cela ne s’est pas arrêté ; chaque année nous procédions à un recrutement de personnel féminin assez important au niveau de cette école. Cette initiative a été poursuivie jusqu’en 2006 où nous avons enregistré les premiers personnels féminins recrutés au niveau de la gendarmerie nationale suivi en 2008 des premiers élèves sous-officiers femmes qui ont été recrutées à l’école nationale des sous-officiers d’active (Ensoa) qui ont été les pionnières au niveau de cette école-là.
Et en 2008, nous avons commencé à élargir le recrutement au niveau des militaires du rang en recrutant des personnels féminins au niveau du centre d’instruction de Daakhar-Bango qui plus tard a été densifié.
L’Armée recrute combien de femmes par an ?
Aujourd’hui, nous procédons à un recrutement environs de 150 personnels féminins par an que nous envoyons en centre d’instruction et qui sont affectés dans les différents corps des armées. C’est une initiative qui est en train de prendre de l’ampleur. Aujourd’hui nous avons un personnel féminin déployé au niveau de certains directions et services. On a même commencé à les mettre dans les formations combattantes comme au niveau des bataillons territoriaux où elles jouent un rôle dans le soutien, dans l’administration en général des différents corps de troupe.
Et pour les grades d’officier ?
Depuis quelques années nous avons commencé à recruter du personnel féminin par le biais du Concours unique de recrutement des grandes écoles militaires (Cugem). Et nous avons des officiers femmes qui ont été formées dans les grandes écoles militaires étrangères comme l’Italie, la France, l’Angleterre. Mais également dans certaines académies africaines comme le Niger, le Bénin, le Togo, le Mali. Nous avons aujourd’hui une population féminine assez importante au niveau des armées et elles donnent satisfaction.
“Au début il y avait quelques difficultés liées à la sexo-spécificité des personnels féminins dans l’Armée : difficultés infrastructurelle, de perception même de l’intégration, difficultés liées également à la réglementation.”
Comment se passa l’intégration des femmes parmi les hommes ?
C’est vrai qu’au début il y avait quelques difficultés liées à la sexo-spécificité des personnels féminins : difficultés infrastructurelle, de perception même de l’intégration des femmes dans les armées, difficultés liées également à la réglementation. Tout le corpus réglementaire qui devrait encadrer cette intégration mais aujourd’hui c’est quelques choses que nous avons dépassé. Actuellement les femmes sont bien intégrées dans les armées. Il n’y a pas de discrimination possible. Elles sont actuellement employées dans tout le spectre des emplois militaires et à tous les niveaux : officier, sous-officier et militaire du rang.
Aujourd’hui nous comptons un nombre important de femmes dans nos rangs. Pas essentiellement des femmes sénégalaises mais aussi des étrangères de nos partenaires étrangers qui nous envoient des personnels pour la formation. Actuellement nous avons même des femmes médecins-colonels qui servent dans toutes les structures médicales et à tous les niveaux de spécialisation également et depuis lors c’est une initiative très salutaire parce que c’est un enjeu national la question du genre et les armées ne doivent pas être en reste. Nous sommes même allés plus loin : aujourd’hui nous déployons des personnels féminins dans les missions à l’extérieur dans le cadre des Nations Unies, dans le cadre de la Cedeao.
Participent-elles aux opérations ?
Bien sûr ! Elles participent aux opérations de maintien de la paix au même titre que les hommes. On les retrouve par exemple au Mali, en République Centrafricaine, au Darfour, en Gambie, en Guinée Bissau. Donc progressivement, elles intègrent tous les domaines de la vie militaire.
Les bataillons commando et para sont réputés être des corps d’élite, y retrouve-t-on des femmes ?
Initialement elles étaient confinées dans des rôles de soutien au niveau de certaines structures militaires comme les bataillons de soutien, de l’intendance, la marine, au bataillon du matériel ou elles sont beaucoup plus nombreuses. Maintenant on les retrouve dans toutes les zones militaires. Nous rentrons récemment de Bakel mais nous avons trouvé des personnels féminins. Nous en avons dans tous les services.
Aujourd’hui elles représentent environs 5% des effectifs. Nous avons un peu évolué mais vous savez l’évolution doit tenir compte également de certaines contraintes liées à la politique des ressources humaines que nous avons élaboré pour maintenir un certain niveau de représentation au niveau de certaines tâches. Donc nous y allons progressivement parce qu’il y a un équilibre qu’il faut trouver dans la composition des unités et des formations, compte tenu des missions, des moyens et du besoin spécifique des armées.
Y-a-t-il des quotas réservés aux femmes lors des recrutements ?
Présentement pour ce qui est du recrutement national qui se déroule annuellement au mois d’octobre, nous recrutons environs 150 femmes réparties en 3 fractions de contingents. Ces femmes que nous recrutons, intègrent également d’autres formations, après les deux ans de présence sous les drapeaux, comme la gendarmerie, la police, sapeurs-pompiers. L’armée est le creuset de formation qui met à la disposition de tous ces corps paramilitaires des effectifs dont ils ont besoin. Parmi ces femmes qui sont recrutées annuellement une bonne partie est rengagée, d’autres préfèrent aller intégrer d’autres corps compte tenu peut-être de leur sensibilité, de leur choix.
Sur le terrain vous arrive-t-il de rencontrer des conflits homme/femme liée au genre ?
Heureusement on a dans l’armée ce qu’on appelle le règlement de discipline général qui est un document extrêmement contraignant qui fixe les règles. Il permet de réguler les rapports entre genre. Il y a tout un corpus réglementaire, législatif également qui permet d’éviter les rapports conflictuels et cela en parfaite intelligence avec les commandements. Dans les armées également nous avons des instances de communication, d’anticipation pour prévenir certains rapports conflictuels. Même entre les garçons il peut y avoir des rapports conflictuels. Vraiment il n’y a pas de cas particulier d’indiscipline ou de harcèlement. Les femmes sont acceptées. Et je pense que c’était cela le défi. Les perceptions ont changé et le règlement suit également. Vous savez les premiers textes qui régissaient les armées étaient destinés au genre masculin maintenant tous ces textes ont été réétudiés, réécrites pour prendre en compte la sexo-spécificité liée à la condition féminine dans les forces de défense et de sécurité.
Peut-on s’attendre à avoir une femme Cemga ?
Ce n’est pas exclu ! Le commandement est très ouvert par rapport à cela. Bien entendu on s’attend à avoir des femmes à tous les niveaux de responsabilité. Nous avons des officiers femmes qui ont été formées dans les grandes académies et on les retrouve à la marine, à l’armée de l’air et elles progressent normalement dans le cadre des avancements. Il n’y aura pas de discrimination quand il s’agira de les nommer en fonction de leurs compétences mais également en fonction des besoins réels des armées.