Les hommes parlementaires passent leur temps à faire des plaisanteries et des avances. Ils y reviennent tout le temps. » « Un collègue m’a touché la poitrine. » « Les hommes du parti ont essayé d’imposer le fait qu’une femme doive coucher avec eux pour pouvoir être candidate. » Les témoignages extraits d’une vaste étude conjointe menée par l’Union interparlementaire (UIP) et l’Union parlementaire africaine (UPA) et publiée mardi 23 novembre sont accablants.
L’enquête, inédite sur la question en Afrique, révèle un sexisme « épidémique et dévastateur » au sein des Parlements du continent. Ainsi, 40 % des femmes députées déclarent avoir été harcelées sexuellement au cours de leur mandat par un collègue masculin ou un élu de l’opposition. Et 23 % ont subi des agressions physiques, à l’image d’une députée kényane, Fatuma Gedi, giflée deux fois dans la cour du Parlement en 2019.
Déjà en 2016, une étude à l’échelle mondiale avait fait apparaître des niveaux élevés de violence contre les femmes dans l’ensemble des Parlements. Mais les Africaines demeurent les plus vulnérables face aux violences sexuelles en milieu politique. Ainsi, 39 % des élues du continent déclarent en avoir été victimes, contre 25 % en Europe. Cet écart, les auteurs du rapport l’expliquent par l’instabilité politique ainsi que par les « contextes sociaux, culturels et religieux ». Ils notent également que l’appartenance à une minorité, le célibat ou le handicap renforcent la vulnérabilité des femmes.
Autre fait marquant, la proportion notable d’agressions sexuelles perpétrées au sein des Parlements – baisers forcés, tapes sur les fesses ou autres attouchements non consentis sur les seins ou les cuisses –, que rapportent 6 % des élues et 5 % des fonctionnaires parlementaires. « C’est très fréquent qu’on vous bouscule pour vous toucher les fesses. Des députés nous disent : “Vous les femmes, il faut qu’on vous touche avant la fin du mandat”. La hiérarchie est au courant de ces comportements mais ne fait rien », témoigne une députée citée dans le rapport.
Face à ces violences, la parole des femmes peine à se libérer. Les signalements demeurent marginaux – seules 7 % des répondantes qui ont été harcelées sexuellement ont alerté la direction de leur Parlement. Une omerta entretenue par la peur de « manquer de loyauté envers le parti, de lui nuire ou encore de devoir subir l’indifférence ou l’inaction des autorités parlementaires ». « Si on critique ouvertement, on meurt politiquement », résume une parlementaire.
La prédominance des hommes au sein des Parlements tend à renforcer le sentiment d’impunité et la récurrence des violences contre les femmes. Ainsi, au Sénégal, où la parité à l’Assemblée nationale est la norme depuis 2010, les attaques ouvertes contre les femmes semblent moins fréquentes, d’après Adji Mergane Kanouté, vice-présidente du groupe de la majorité présidentielle au Parlement. Engagée en politique depuis 2008, elle y voit une conséquence de la féminisation de l’hémicycle.
Toutefois, la députée note la persistance d’agressions verbales lors des débats en séance plénière : « Le but est clairement de nous dénigrer en tant que femmes, et cela atteint l’estime de soi de certaines. » C’est ainsi que 72 % des répondantes affirment avoir été affectées moralement par ces attaques.
Pour protéger les femmes, éviter leur exclusion de la sphère politique et le découragement des jeunes aspirantes, l’étude appelle à légiférer sur le cas particulier des violences sexistes en politique. Car pour le moment, en Afrique, seule la Tunisie reconnaît, dans sa loi nationale, la violence politique à l’égard des femmes et prévoit des sanctions spécifiques à l’encontre des agresseurs.