Par El Hassane SALL
«La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires», disait Clémenceau. Comme lui, nous sommes tentés de dire que la guerre sanitaire contre le coronavirus est une chose trop grave pour être confiée à des politiciens. Aujourd’hui, avec l’explosion des cas de contamination qui atteindra bientôt les 7000 cas, avec en prime des cas de décès qui avoisinent les 100, on peut dire sans risque de nous tromper que la guerre risque d’être perdue, à moins que le général ne change de stratégie.
Mais ce qui inquiète le plus dans la situation vécue est le fait qu’il n’y a aucune raison d’espérer, car on va de tâtonnement en pilotage à vue. Le professeur Seydi, qui au début de la pandémie était en première ligne, semble être relégué actuellement au second rang – d’ailleurs on ne l’entend plus alors qu’il semblait avoir une bonne stratégie pour vaincre l’ennemi. De surcroît, il a été l’un des premiers à sonner l’alerte, disant ceci : «On doit s’inquiéter grandement de l’augmentation des cas. Ne pas s’inquiéter serait de l’inconscience absolue. On doit s’inquiéter parce que la situation est inquiétante. Tant que le nombre de cas est limité il n’y a pas d’inquiétude. Je le répète, plus le nombre augmente, plus la catastrophe risque d’arriver», avait-t-il averti lors d’une interview diffusée le 28 mars dernier. «Dieu merci on n’a pas encore de décès, mais parce qu’on est toujours dans un nombre peut être pas encore explosif. Il ne faut pas regarder cette situation et dire qu’il n’y aura pas de décès. Si ce nombre augmente ce sera la catastrophe», avait insisté le professeur Seydi.
Aujourd’hui, les faits semblent lui donner raison avec plus de 6000 cas de contamination et 93 décès. Pire, au moment où la pandémie ne cesse de croître, on assiste à un relâchement de la part du général qui a levé toutes les mesures restrictives, appelant les populations à vivre avec «l’ennemi». Une mesure incompréhensible d’autant que face à l’augmentation exponentielle des cas, il fallait durcir au lieu de desserrer l’étau. Ce que semble déplorer le Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames), qui, dans une déclaration rendue publique, le mardi 23 juin, a indiqué que même si le Sames comprend la nécessité de faire reprendre les activités économiques brandie par l’État, la cacophonie des décisions prises par l’État, a conduit à la banalisation de la maladie par la population et le message subconscient : «L’État est passé à autre chose».
Selon leur Secrétaire général, Amadou Yéry Camara, le relâchement constaté dans la population est global, y compris au sein des forces de défense et de sécurité chargées d’appliquer les mesures de port obligatoire des masques dans les lieux publics et dans les transports.
Dans le même sillage, le Sames d’ajouter : «En communiquant à outrance sur les 1000 milliards du Plan de résilience économique que le secteur de la santé n’a pas vu, l’État a fait penser à une partie de la population que les agents de santé étaient rétribués en échange d’hospitalisations de malades de la Covid-19. C’est pourquoi nous tenons à informer la population qu’aucun agent de santé n’a reçu de l’argent en échange d’une hospitalisation de malades. D’ailleurs les équipes d’investigation manquent cruellement d’appui et les comités de développement sanitaires supportent la quasi-totalité des charges», a-t-il laissé entendre.
Face au dénuement des médecins, la question qui s’impose est de savoir comment peut-on les laisser dans une telle galère alors qu’on est en face d’une guerre sanitaire ? Étant donné qu’ils sont sur la ligne de front de la guerre, l’État devrait leur octroyer des munitions en quantité suffisante, les motiver pour qu’ils puissent exterminer l’ennemi. Mais leur allouer la somme de 64 milliards et vouloir qu’ils remportent la bataille, c’est une entreprise ardue, d’autant que tout le monde sait que nos structures sanitaires sont dans le dénuement total. Pendant ce temps, les populations font comme si de rien n’était et envahissent les plages et autres lieux publics sans aucun respect pour les mesures barrière, ouvrant par là des boulevards à la pandémie.
En tout cas, si le général ne se réajuste pas, et au rythme ou progresse la pandémie, il est fort à craindre que l’ennemi prenne le dessus.