Au pouvoir depuis onze ans, le président guinéen a été arrêté dimanche lors d’un coup d’État militaire. Très critiqué depuis sa réélection contestée à un troisième mandat, Alpha Condé a également fait les frais d’un contexte régional propice à la prise de pouvoir par l’armée. Décryptage.
Ses opposants l’accusent d’avoir mené un “hold-up électoral”. Moins d’un an après sa réélection controversée à un troisième mandat, le président guinéen Alpha Condé a été arrêté, dimanche 5 septembre, par l’armée, qui a annoncé la dissolution des institutions, la fermeture des frontières et l’instauration d’un couvre-feu.
“Toute l’armée guinéenne, de Nzérékoré jusqu’à Conakry, nous allons nous donner la main pour aider le pays” et “mettre fin au mal guinéen”, a déclaré le chef du Groupement des forces spéciales (GFS), Mamady Doumbouya, instigateur du coup d’État, au micro de France 24, confirmant l’abrupte fin de règne du président après onze ans passés au pouvoir. Une opération d’une rapidité déconcertante, sans effusion de sang, qui renforce encore un peu plus le contrôle des militaires dans la sous-région.
Autoritarisme et crise sociale
En octobre 2020, à quelques semaines de l’élection présidentielle en Guinée, le président Alpha Condé, candidat à un troisième mandat, est sous le feu des critiques. “C’est extraordinaire que moi, qui me suis battu durant quarante-cinq ans, je sois considéré comme un dictateur anti-démocrate !”, s’indigne-t-il alors dans un entretien à France 24.
Dix ans après son accession au pouvoir, le premier président démocratiquement élu de Guinée, opposant historique aux régimes dictatoriaux, est à son tour accusé de dérive autoritaire. Il a fait modifier la Constitution qui fixe un maximum de deux mandats présidentiels pour pouvoir se présenter à nouveau. Un pari réussi, puisqu’il lui vaut d’être réélu avec près de 60 % des voix le 24 octobre 2020, mais qui a terni considérablement son image. “Alpha Condé est allergique à la critique et son modèle de gouvernance est de ne pas discuter avec l’opposition, radicale comme modérée”, explique sur France 24 Doudou Sidibe, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université Gustave-Eiffel. “Cela a créé une crispation de la vie politique guinéenne, qui a fini par pousser les militaires à prendre le pouvoir pour assouvir les besoins de la population.”
Pour Alioune Tine, fondateur du think tank pro-démocratie AfrikaJom Center et ancien proche d’Alpha Condé contacté par France 24, la fronde à laquelle fait face le président dépasse de loin le champ politique : “Il en était arrivé à exercer une répression totale, que ce soit vis-à-vis de l’opposition, de la société civile mais aussi des organisations internationales”, déplore-t-il. “Moi-même, qui ai soutenu activement son engagement démocratique par le passé, j’en ai fait les frais, en février, lorsque ma mission de prévention des conflits en Guinée a été interrompue abruptement sans motif valable, car elle ne plaisait pas au pouvoir. Certains dirigeants comme Paul Kagamé au Rwanda parviennent à mener ce genre de politique en s’abritant derrière le développement économique et la paix sociale. Alpha Condé, lui, ne peut se prévaloir de tels arguments.”
Dans ce pays en proie à des difficultés économiques aggravées par la pandémie de Covid-19, l’augmentation de plusieurs taxes, décrétées en juillet par le gouvernement, notamment sur l’essence, a encore accentué le sentiment d’abandon d’une partie de la population et donné lieu à des violences. Dimanche, l’annonce de l’arrestation d’Alpha Condé a été accueillie par des scènes de liesse dans plusieurs quartiers de la capitale Conakry.
Un contexte régional propice aux militaires
Si certains observateurs se sont étonnés de la facilité avec laquelle les militaires étaient parvenus à prendre le pouvoir en Guinée, peu se disent surpris de la survenue d’un coup d’État militaire pour chasser l’ancien démocrate désormais largement considéré comme un dictateur. Un scénario d’autant plus envisageable qu’il s’était déjà produit au Mali voisin en août 2020, pour chasser le président Ibrahim Boubacar Keïta, également confronté à une profonde crise sociale et politique.
À l’époque pourtant, le président guinéen affirmait qu’une telle situation ne pouvait advenir dans son pays : “Il n’y a jamais eu de coup d’État en Guinée. L’armée a pris le pouvoir après la mort du président Sékou Touré. Ensuite, l’armée a pris le pouvoir après la mort du président Conté. La Guinée n’a jamais eu de rébellion, jamais eu de guerre civile, jamais de coup d’État. Depuis que je suis venu [au pouvoir], l’armée a été réformée. Aujourd’hui, nous avons une armée républicaine. Donc la situation n’a rien à voir [avec le Mali]”, déclarait-t-il en octobre 2020 sur France 24.
Quelques mois plus tard, en avril, un autre pays de la région passait aux mains des militaires, le Tchad, où un conseil militaire, formé et dirigé par le fils du défunt président Mahamat Idriss Déby, prenait le pouvoir en dépit des règles constitutionnelles. Une transition alors soutenue par la France malgré son caractère antidémocratique. “La contagion de prise de pouvoir militaire est aujourd’hui un phénomène indéniable dans la région”, juge Alioune Tine. “Cette tendance est notamment due à la perte d’influence des organismes internationaux et régionaux censés faire respecter la démocratie, comme l’Union africaine, la Cédéao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), les Nations unies ou l’Union européenne, face à des pays comme la Chine, la Russie ou la Turquie qui étendent leur influence en Afrique et ne demandent aucune contrepartie démocratique pour faire du business. Dans ce contexte, pourquoi l‘armée guinéenne protégerait un dirigeant certes élu mais qui règne seul en tyran ?”, interroge l’ancien soutien d’Alpha Condé. “En ne permettant pas d’option démocratique de sortie du pouvoir, le président guinéen a lui-même mis en place les éléments de sa chute. Et il a été le seul à ne pas la voir venir.”