De la difficulté de s’opposer en Afrique ! (Par Moussa Diaw, politologue)

Depuis l’instauration de la démocratie en Afrique, les Etats ont mis en place des institutions pour répondre aux exigences d’un tel régime. Mais on constate un écart abyssal entre l’énonciation de la politique conformément aux règles et principes et sa traduction dans la réalité. Si la compétition est le soubassement de la démocratie en termes de débat  contradictoire d’idées dans l’espace public, des contraintes multiformes pèsent sur certains acteurs identifiés comme opposants au régime en place. En effet, ces derniers sont traqués par des régimes qui, malgré leur label de démocratie, n’accordent aucune marge de manœuvre à leurs détracteurs. Ceux-ci s’insurgent contre l’accaparement du pouvoir par un clan ou groupe mais surtout dénoncent  une gestion peu transparente des biens publics au détriment de la majorité des populations. Cette position fera de l’opposant modéré ou radical, selon la terminologie utilisée, un ennemi  « à  abattre » par des régimes enclins à en découdre avec ceux qui apparaissent comme  déterminés à changer la conception  et les pratiques politiques. Autrement dit, cette sacralisation du pouvoir qui incite les gouvernants  à modifier, à leur convenance, les constitutions de façon à contrôler tous les leviers leur permettant d’étendre leur mainmise  sur tous les attributs de pouvoir. Cette politique de concentration et d’exercice du pouvoir sans partage  réduit considérablement les moyens d’expression et les libertés d’une opposition en souffrance. Alors que la démocratie se mesure à l’aune des garanties consubstantielles au fondement de l’espace public dans lequel les acteurs, qui ont une certaine légitimité, participent à la vitalité du discours politique contradictoire.

Pourquoi ce sentiment de haine et de violence ?

On peut avancer deux hypothèses pour comprendre ce phénomène persistant de manière notoire dans le paysage politique africain sans qu’il ne soit l’apanage d’un environnement particulier. La première hypothèse  s’adosse à  l’incompréhension du politique ou sa dénaturation consistant à en faire un autre usage dérivant de son objectif initial afin de satisfaire des intérêts spécifiques selon la logique clientéliste d’accès et de partage des ressources dans une perspective de survie. Cette perception du politique est largement répandue en Afrique poussant des dirigeants à faire mains basses sur les biens communs pour satisfaire les besoins de leur famille ou communauté, marginalisant et appauvrissant des populations, consignées à la résignation ou exposées à la répression
Ainsi, la contestation de cette forme de gouvernance  est interprétée comme une remise en cause de leurs privilèges. Par conséquent, tous les moyens sont utilisés pour préserver la pérennité de ce système qui semble correspondre à une question de vie ou de mort. On ne lésine pas sur la mobilisation des ressources matérielles ou immatérielles  pour corrompre et garder le pouvoir. Le constat est que la plupart de ces engagés politiques n’ont pas de métier, c’est par le truchement de la politique qu’ils sont devenus une « bourgeoisie comprador » pour reprendre le vocable des révolutionnaires marxistes. Ils résistent à tout changement pouvant anéantir leur place dans la configuration politique et sociale.

 
La deuxième hypothèse s’articule autour du niveau de formation  des leaders politiques qui se renouvellent rarement et le phénomène de la transhumance politique contribue à procéder à un recyclage et un recasement  d’un personnel politique réfractaire  à la circularité de l’élite dirigeante. C’est la raison pour laquelle des dirigeants de la période des indépendances restent encore actifs dans les institutions nouvelles. Il est donc peu probable qu’ils militent pour des transformations institutionnelles et politiques de qualité. De même les pratiques politiques n’ont pas vraiment changé, et les méthodes autoritaires, à la hussarde, dans le maintien de l’ordre et de la sécurité, n’ont pas varié foulant aux pieds certains principes et règles encadrant la démocratie et l’Etat de droit. Les formes de discours puisés dans les registres communautaristes commencent à prospérer à défaut de projets de société qui pourraient enrichir les débats éclairant  ainsi les citoyens pour réaliser leur choix au moment des consultations électorales. Au contraire, on s’adonne à des stratégies, indignes d’une démocratie pour éliminer un adversaire politique ou compromettre ses chances de réussites et même sa vie. Les exemples sont nombreux et similaires dans la plupart des Etats africains à l’exception de quelques rares pays. De toute façon, l’absence de formation suffisante et le manque d’imprégnation des valeurs étatiques se ressentent dans le comportement déviant de certains leaders dominant l’espace public. Cela découle en partie d’un processus de politisation de l’administration et de la société, favorisant la fusion entre l’Etat et le parti ou la coalition au pouvoir. Cette articulation engendre de graves dysfonctionnements, des contraintes pour l’ancrage et le respect des principes démocratiques.

L’impérieuse valorisation de la culture démocratique

Cette nécessité de placer la culture démocratique au cœur de l’activité politique dépend d’une volonté clairement exprimée devant servir de canevas pour impliquer tous les acteurs dans la consolidation d’un cadre politique pacifié. Ce dernier ne peut être établi que dans la confiance restaurée, la crédibilité et la croyance aux idées qui fondent la République. Cela dit, la consécration de la démocratie, qui suppose la participation active de l’opposition dans les mêmes conditions que les autres acteurs, impose un modèle de comportement politique en cohérence avec des valeurs universellement partagées et celles relevant de notre histoire et culture. Certes, nous avons besoin d’institutions fortes mais la question est de savoir si nous disposons d’hommes truffés de valeurs et capables de les faire fonctionner de manière rationnelle. C’est dans ce sens que la culture démocratique trouve toute son importance en fonction de la capacité d’agir pour conforter la démocratie par des initiatives s’inscrivant dans les logiques qui ouvrent des perspectives dans la légalité et l’équité entre les acteurs politiques quelles que soient leurs convictions et références idéologiques. Pour que l’opposition joue sa partition dans un paysage politique répondant aux critères de régimes démocratiques, il faut un changement de paradigmes, dicté par le souci de préserver la stabilité et le contrat social existant dans certaines entités politiques afin de garantir l’avenir dans un environnement trouble.
Moussa DIAW, enseignant-chercheur en science politique, UGB, Saint-Louis.

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