Une cinquantaine de jeunes tortues sillonnées ont découvert près de Dakar le sol africain de leurs ancêtres, où elles vont devoir oublier leurs années à Monaco et apprendre la vie sauvage pour contribuer à sauver leur espèce menacée.
Extraites avec ménagement des boîtes en contreplaqué dans lesquelles elles ont voyagé depuis samedi d’abord par la route puis par les airs, les 46 tortues, comme groggy, ont mis quelques minutes mardi à sortir la tête de leur carapace grande comme une main.
Puis elles ont posé une patte hésitante devant l’autre sur la terre sablonneuse et brûlante du Village des tortues de Noflaye, une localité à 35 km de la capitale sénégalaise.
Le choc est rude. La semaine passée encore, elles vivaient dans l’Ile aux tortues, espace aménagé sur la terrasse panoramique du Musée océanographique de Monaco. Elles y sont nées, il y a huit ans pour les plus vieilles, une bagatelle quand on peut atteindre plus de cent ans et à peu près autant de kilos.
A Noflaye, pour tenir leur rang de troisième plus grosse tortue terrestre après celles des Galapagos et des Seychelles, elles vont devoir commencer à recouvrer leurs instincts, chercher à manger par elles-mêmes, non plus de la laitue, mais des végétaux, voire des charognes, et faire leur terrier.
Autant d’activités superflues à Monaco mais vitales pour leurs aïeux, explique Olivier Brunel, responsable aquarium au Musée océanographique.
Leurs parents sont restés à Monaco, six individus de l’espèce Centrochelys sulcata, offerts en 2011 au Prince Albert II par le président Amadou Toumani Touré lors d’une visite au Mali, voisin sahélien du Sénégal.
Associé à l’Institut africain pour l’étude et la protection des tortues (ACI), l’Institut océanographique monégasque a confié aux 46 “juvéniles” la mission de participer au renforcement des populations de tortues sillonnées, ainsi appelées à cause des plis de leur carapace.
La tortue sillonnée, endémique au Sahel, immense bande subsaharienne semi-aride traversant l’Afrique d’est en ouest, est une espèce menacée. Il en reste “au maximum” 150 individus dans la nature au Sénégal, explique Tomas Diagne, directeur de l’ACI.
Elle est victime de ses prédateurs, les hyènes ou les chacals, mais aussi de la destruction de son habitat par le surpâturage et du trafic international. Elle finit trop souvent comme animal de compagnie.
Intermède aérien
“Si rien n’est fait d’urgent et de constructif, dans les trente prochaines années, l’espèce va disparaître dans la nature au Sénégal. Elle n’existera que dans les maisons, dans les élevages privées”, s’inquiète M. Diagne, par ailleurs président du comité scientifique du Village des tortues, un centre d’étude, de préservation et d’éducation où les 46 nouvelles venues vont passer leurs premiers mois.
D’une manière générale, c’est pour toutes les tortues africaines et sénégalaises, terrestres ou marines, que la situation n’est “pas reluisante”, juge-t-il à l’ombre des acacias et des baobabs du Village des tortues.
“Si j’étais une tortue, je ne demanderais pas à vivre ou à naître en Afrique de l’ouest, ou tout simplement en Afrique”, admet-il.
C’est pourtant la réalité que vont affronter les 46 pionnières. Leur voyage, régenté par les contrôles et les autorisations liés à leur statut d’espèce protégée, aura été un intermède entre deux vies, passé dans les compartiments individuels de six caisses en bois ajourées de trous et décorées au pochoir par les enfants du Prince Albert II et de la Princesse Charlène de Monaco.
Chargées avec soin à Roissy-Charles-de-Gaulle parmi les autres marchandises d’un vol commercial Air France Paris-Dakar, elles ont voyagé en soute chauffée à 23 degrés, détaille le commandant de bord François Charavin.
A Noflaye, elles ont été placées dans un enclos de quarantaine. Là, elles vont commencer à “réapprendre le B.A.BA de la vie sauvage” pendant quelques mois, souligne M. Diagne.
Ensuite, elles seront transférées dans une réserve au nord-ouest, au plus près du Sahel, dans un enclos dit de stabilisation d’abord, pour leur protection. Puis l’enclos sera abattu.
Un modèle à suivre, selon Tomas Diagne.
“Ce sont des tortues nées à Monaco, venues de parents d’Afrique, (elles) ont pu rejoindre leur terre, la terre de leurs ancêtres. La faune africaine part tout le temps, elle est tout le temps exportée (…) C’est très rare qu’elle revienne”.