Dimension anthropologique meurtrière de la crise que vit la société sénégalaise (Mamadou SY Albert)

L’accélération du délitement des liens sociaux entre les membres d’une même famille, entre des conjoints, entre des voisins ou entre des collègues de travail semble résulter de l’impact d’une crise multiforme. Cette dernière revêt des aspects socio-économiques et culturels. Elle revêt aussi une dimension psychologique et psychanalytique. Cette crise économique et psycho-sociale détruit les liens sociaux à la fois de l’intérieur et à l’extérieur. Le visage de la famille, de la société est ainsi en train de se modifier profondément. Le profil du meurtrier dans la société sénégalaise contemporaine constitue le fidèle reflet de sa société en pleines mutations.

Le Sénégalais d’antan, ses valeurs, son comportement et ses modes relationnels avec l’autre disparaissent progressivement au profit d’un citoyen fragilisé par la crise devenant plus violent dans ses rapports : mettre fin à la vie d’autrui, à celle de son enfant, de son épouse, de son voisin ou de l’étranger, les scènes se reproduisent fréquemment dans la cellule familiale sénégalaise rurale et urbaine. Des scènes toujours plus féroces les unes que les autres. Une véritable série noire de meurtres de femmes, de pères de familles, de jeunes et de personnes âgées provoque ainsi une angoisse nationale des citoyens, meurtris dans leur chair.

Ces derniers ne comprenant plus ce qui se trame dans la tête de ces tueurs enragés. L’ampleur de ce phénomène du meurtre souvent accompagné par une agressivité sexuelle inquiète et désarçonne. Personne n’est à l’abri de ces actes commis sur des proches en plein jour ou tard dans la nuit. Le meurtrier peut être un parent proche, un ami, un étranger de passage dans le quartier. Les rasions de ces meurtres sont à rechercher dans l’impact grandissant de cette crise multiforme.

Le Sénégal est véritablement à un tournant de son histoire sociale et humaine. Les indices d’un basculement des liens traditionnels vers la violence meurtrière entretiennent des relations étroites avec l’impact de la crise dans laquelle se meuvent les citoyens depuis ces sombres décennies de l’aggravation de la pauvreté urbaine et rurale et de la déroute de la jeunesse. Jamais la crise économique et sociale n’a autant affecté l’état mental, psychologique des Sénégalais et les relations humaines entre les membres d’une famille ou entre les citoyens. La dimension psychologique et humaine de la crise est apparemment sous-estimée. Elle est manifeste au regard des mobiles potentiels de tous ses meurtres se déroulant au cœur de la famille traditionnelle sénégalaise.

Le phénomène du chômage endémique des jeunes et des femmes a secrété des effets sociaux et culturels monstrueux sur les comportements individuels et collectifs. Le chômage a entraîné des pans entiers de la société, notamment, les jeunes dans la longue oisiveté et le recours systématique à l’alcool, à la drogue et à la prostitution. Le manque d’emploi et de revenus ont fini par disloquer de nombreux jeunes couples. Le chômage a détruit des familles entières après la perte de l’emploi du mari ou après la retraite de nombreux pères de famille. Ces facteurs économiques et sociaux alimentent aujourd’hui une détresse insoupçonnée de la cellule famille. Ils ont accéléré la fracture sociale. La source des délitements des liens sociaux et familiaux demeure cette crise infinie de l’emploi et du sens de la vie sur terre.

Ce contexte insoutenable, humainement et psychologiquement par les citoyens sans emploi, sans revenu, sans soutien familial, est celui dans lequel vit souvent avec une atrocité intensive la majorité des Sénégalais. Ce fléau des temps modernes porte le délitement des liens sociaux et culturels. Le meurtre se nourrit de cette misère sociale et culturelle de la cellule familiale. La cellule de base de la société implose sous les effets de la crise et le délitement des liens. La violence verbale, physique sont devenus à ce titre le lot quotidien de nombreuses familles.

La rue publique se transformant en une zone de non droits où tout est permis, témoigne de la montée croissante de la nervosité, de l’intolérance et de la violence rampante dans le tissu social et culturel du Sénégal. Le meurtre est un acte abominable. Personne ne peut le justifier. Pour autant, il serait peu prudent de croire que le fait de tuer relève de troubles mentaux ou d’une volonté de puissance de l’homme sur la femme ou de l’adulte sur le jeune. Les meurtres actuels ont des liens très étroits avec la situation de crise et les mutations de la cellule familiale.

La famille sénégalaise traditionnelle et ses valeurs se meurent à petit feu dans les villes et en campagne. Elle a façonné dans le passé, le Sénégalais, avec des valeurs culturelles, sociales et religieuses. Elle disparaît avec ses valeurs, ses modes relationnels. Elle est entrée dans un processus de mutations profondes. Le meurtre constitue un indicateur de la gravité de l’impact de la crise des relations familiale et des rapports humains.

 

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