L’Assemblée nationale a encore été le théâtre d’incidents graves qui ont choqué le Sénégal et le monde. Des députés s’en sont pris violemment à une de leurs collègues. Cet acte doit être condamné fermement, parce que d’abord il a été perpétré sur une femme ; ensuite il montre ce qu’est réellement devenu l’hémicycle : un terrain de pugilat. Il convient de rappeler les échauffourées du 25 juin 2021 au cours desquelles des députés ont fait montre d’une vulgarité indescriptible, d’autres ayant même échangé des coups de poings à l’intérieur de l’assemblée nationale, puis s’en vantaient.
Thierno Alassane Sall avait été l’un des rares à condamner de tels actes. Nombre de personnalités publiques et d’observateurs avaient passé sous silence cet événement grave en soi, mais déjà révélateur d’un nouveau palier de franchi dans la dégradation de la culture politique dans notre pays. Condamner des actes qui attentent à l’image du Sénégal et à la liberté d’expression pouvait valoir à son auteur insultes et calomnies. D’ailleurs, pour ce rappel élémentaire que le Parlement est par essence le lieu d’opinions différentes (voire irréconciliables) et que le recours à la violence en son sein portait atteinte aux fondements sur lesquels repose une assemblée délibérative, Thierno Alassane Sall avait été traité “d’opposant de l’opposition” par un média de la place.
Un tournant psychologique décisif fut opéré le 12 septembre 2022. Ce jour, pour imposer leur lecture de dispositions légales, un groupe de députés ne s’est pas contenté d’user des recours éventuels prévus par le Règlement intérieur de l’Assemblée mais a usé de la coercition pour bloquer les travaux. Dans un accès de violence tel qu’il n’en a jamais été noté par le monde, ils ont délibérément saccagé les biens de la République, au vu et su d’une large partie de l’opinion publique. Il y eut très peu de réprobations.
Ces événements (du 12 septembre) ont dès le départ cristallisé les antagonismes, avec un camp assumant le droit d’user, chaque fois qu’il le jugeait nécessaire, de violence pour faire valoir la volonté du Peuple dont il serait l’unique dépositaire ; et un autre décidé à rendre coup par coup. Dès lors que des députés refusent de débattre dans la sérénité et le respect mutuel, la violence était introduite dans l’hémicycle. L’apathie du Président et du bureau de l’Assemblée nationale, ainsi que des responsables des groupes parlementaires voire des coalitions, a constitué un encouragement pour certains députés. La mise en exergue de ces faits par une certaine presse avide de sensationnel et de comportements déviants au détriment des débats de fond, a participé à entretenir le climat de haine.
Cette apologie décomplexée et assumée de la violence trouve son terreau dans la violence d’Etat, qui a non seulement domestiqué jusqu’ici tous les autres pouvoirs, mais utilise les contre-pouvoirs institutionnels pour exercer une violence permanente contre les opposants. Dès lors, ces derniers n’ont d’autres choix que de se rendre (par la transhumance) ou de se rebeller. Les exemples patents qui heurtent la conscience sont là : les procès à la soviétique contre Khalifa Sall et Karim Wade, dont le cas semble illustrer un palier ultime. En effet, son exil au Qatar rappelle les temps obscurs où le Prince pouvait bannir un sujet. En République, le bannissement d’un citoyen est inconcevable. Macky Sall est devenu l’incarnation du Prince disposant d’un pouvoir absolu, de droit divin, avec pour seul antidote la violence populaire.
L’illustration parfaite de cette violence flagrante imposée au Peuple : la tentative en cours de valider une candidature à un 3e mandat de Macky Sall. L’opinion publique ne nourrit aucune illusion sur la décision à venir d’un Conseil constitutionnel domestiqué par le régime en place. Sans recours légal, impartial et juste, il ne reste que le recours à la violence aveugle.
Ce contexte, qui légitime une forme de violence libératrice, est exploité par des populistes, qui ont poussé à la surchauffe le climat politique par une campagne permanente d’injures (première forme de vengeance ou de catharsis), les calomnies et l’excommunication des autres franges de l’opposition qui, tout en étant sans concession à l’égard du gouvernement, demeurent constant dans les principes et les valeurs qu’elles incarnent.
Nous appelons les femmes politiques, quel que soit leur bord, à faire bloc pour dénoncer cette violence qui s’installe et dont elles sont les premières victimes. La violence des hommes politiques prépare toujours le terrain à la violence sociale et misogyne, si elle n’en est pas parfois l’expression. L’engagement politique doit rester un moyen pour dire les souffrances de la société et des femmes sénégalaises en particulier ; ni le gain politique ni la lutte pour le pouvoir ne doivent justifier que l’on piétine les valeurs sacrées de respect et de tolérance.