Avec une croissance de 18,9% en 2019, les exportations sénégalaises empruntent une courbe ascendante ces dernières années. Au-delà des améliorations quantitatives, il y a une embellie qualitative du Made in Senegal. C’est le point de vue du Dr Malick Diop, Directeur général de l’Agence sénégalaise pour la promotion des exportations (Asepex), qui reconnaît cependant que des efforts restent à faire, dans un contexte où la balance commerciale du Sénégal est structurellement déficitaire. Entretien.
La promotion des exportations figure en bonne place dans les leviers porteurs de croissance pour le Sénégal. Quel est l’État des lieux huit ans après l’accession au pouvoir de Macky Sall ?
Les résultats provisoires ramènent aujourd’hui la croissance des exportations à +18,9% pour l’année 2019. Les exportations du Sénégal sont passées de 1670 milliards en valeur absolue au 31 décembre 2018 à 1985,1 milliards au 31 décembre 2019 ce qui est un record absolu. Ce résultat est le fruit d’une vision, la vision du Président Macky Sall qui est une vision politico-économique. Il a su dès le départ, qu’il fallait changer de paradigme économique. On est passé de la stratégie nationale de développement économique et sociale au Plan Sénégal émergent qui stipulait qu’il fallait transformer structurellement l’économie sénégalaise et surtout faire un focus et investir sur les secteurs porteurs de croissance et moteurs d’exportation. Les exportations sénégalaises doivent être multipliées par 2,5 à l’horizon 2035, ce qui fait qu’en moyenne il nous était assigné de faire plus de 10% de croissance des exportations tous les ans. Depuis 2013 on a fait plus de 10% chaque année. Cela suppose que chaque année 160 à 170 milliards sont rajoutés dans le cadre des exportations sénégalaises. C’est une plus-value exceptionnelle, et on n’était pas loin en 2019 de 200 milliards de croissance des exportations.
Qu’est ce qui explique cette avancée ?
Cette avancée est due à un travail d’équipe. L’Agence sénégalaise pour la promotion des exportations, toutes les structures du ministère du Commerce, la Dce, la Dci, l’Adepme, la Dpme le bureau de mise à niveau des entreprises, mais également d’autres ministères, le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Artisanat, le ministère de l’Économie sociale et solidaire, le ministère de l’Habitat… tous ces ministères aujourd’hui ont travaillé avec nous dans différents secteurs d’activité pour pouvoir atteindre nos objectifs. Ces objectifs on a pu les atteindre parce que tout simplement nous avons travaillé en synergie d’action avec d’autres structures telles que le Cosec, l’Apix, le Faise… et on s’est adossé à la stratégie nationale de développement des exportations du Sénégal avec un plan stratégique de développement et un plan de travail annuel. L’Asepex a signé un contrat de performance avec l’État du Sénégal lui permettant d’avancer très clairement. Sur le plan interne nous avons pu mettre en place une gestion axée sur les résultats avec des objectifs très clairs que nous avons pu atteindre sur des secteurs d’activité très complexes. Nous avons le secteur de la pêche qui est le premier poste d’exportation, l’agriculture l’élevage, la transformation agricole, l’agro-industrie. Nous avons travaillé également sur le secteur de l’artisanat, sur le secteur du tourisme, nous avons travaillé sur les Tic et télé services, sur le secteur minier. Notre objectif était d’améliorer l’offre exportable sénégalaise, d’aller dans les régions de production pour travailler à ce que la production puisse augmenter et soit aux normes exportables. Le deuxième élément c’est travailler à labelliser le made in Senegal à l’extérieur. Aujourd’hui, vous allez dans les marchés extérieurs, le made in Senegal devient une réalité. Nous avons accompagné également les entreprises sénégalaises dans les foires, dans les expositions, dans les salons pour que ces entreprises puissent voir des relations avec les acheteurs et nous avons encadré ces entreprises jusqu’au niveau de l’exportation.
Pour rebondir sur le Made In Senegal on reproche souvent aux économies africaines de n’être quasiment exportatrices que de matières premières. Quel travail est fait au niveau de la manufacture, des industries ?
Pour le Sénégal c’est une vue de l’esprit. Ce qu’il faut retenir déjà c’est que nous exportons 42,5% vers le marché africain. Et sur ce marché africain nous exportons des produits avec une forte valeur ajoutée. Le premier exemple concerne les produits pétroliers transformés, c’est de la raffinerie, du pétrole brut qu’on importe, qu’on raffine à partir du Sénégal et qu’on exporte vers des pays comme le Mali dans la zone sous régionale. La cimenterie est un secteur à fort potentiel, nous transformons, nous faisons des produits finis que nous exportons. Aujourd’hui sur le plan agricole nous transformons beaucoup de produits, même l’arachide qui est exportée décortiquée ou sous forme d’huile. En cosmétique naturel, beurre de karité, huile de baobab le Sénégal est présent au plus grand salon professionnel de la pharmacie, à savoir Pharmagora. C’est parce que nous avons su transformer les produits pour qu’ils aient une forte valeur ajoutée. Au-delà de cela, le président de la République intègre dans sa vision les parcs industriels, surtout au niveau de Diamniadio où aujourd’hui on a une forte augmentation des exportations sous Agoa aux États-Unis parce que tout simplement ce sont des usines qui sont dans le parc industriel qui transforment des produits textiles, et on a des produits finis qui sont exportés vers les États Unis. Au-delà de cela, nous avons dans le textile des produits exportés au niveau européen avec le costume Made in Senegal. On a aussi l’agropole sud qui est devenu une réalité depuis 2020 avec des filières comme l’anacarde, la mangue avec un niveau assez élevé de transformation.
La production d’arachide est polémique. Comment faire la balance entre ce qu’il faut exporter et ce qu’il faut réserver au marché intérieur ?
C’est une politique globale. D’abord, il faut se féliciter du fait qu’en 2012 le régime actuel a trouvé une filière qui n’existait quasiment plus. La filière arachide était une filière abandonnée. Aujourd’hui, ce qui a été retenu c’est travailler à ce que cette filière soit redynamisée jusqu’à arriver à une production extrêmement importante qui dépasse même les besoins du marché national. On a une demande tellement forte chez le plus grand importateur, à savoir la Chine, qu’aujourd’hui, on se dit qu’il faut réduire les exportations. Ça veut dire que la politique économique porte des fruits. C’est des indicateurs de résultat. On a une forte demande de produits made in Senegal : arachide décortiquée, huile d’arachide de première pression et on ne peut que s’en féliciter. Maintenant, on va laisser les huiliers continuer à collecter, on a déjà beaucoup exporté mais on peut exporter encore plus.
Malgré tout la balance commerciale reste déficitaire. Faut-il s’en inquiéter ?
On a une croissance permanente des exportations. Je vous ai dit que chaque année on enregistre une hausse de plus de 10%. Cette année on est à plus 18,9%. Le reste c’est de maîtriser les importations. Il faut avoir une certaine lecture. Si on importe des machines agricoles pour augmenter la production d’arachide, la production de riz… ce n’est pas de la mauvaise importation. C’est de l’importation de machines qui permettent aux Sénégalais de produire plus et mieux et même de pouvoir exporter. De mon point de vue, quand on importe aujourd’hui des produits textiles finis c’est de la mauvaise importation, parce qu’on peut produire du textile. Quand on importe des produits cosmétiques alors que nous savons qu’au Sénégal nous avons des produits cosmétiques de qualité, beurre de karité, huile de baobab qu’on ne retrouve pas à l’extérieur c’est de la mauvaise importation. Ceci, il faut tenir compte des règles de l’Organisation mondiale du Commerce, il y a le libre-échange et on n’y peut rien. L’État du Sénégal est en train de travailler à maîtriser surtout la production interne. Par exemple, au niveau de la filière oignon il y a huit mois de gel où c’est la production sénégalaise qui est consommée. Dans ce travail-là, le plus important c’est d’exporter plus et mieux, avec une plus-value plus importante, et importer surtout des produits qui vont nous permettre de travailler sur des secteurs d’activités et de booster ces secteurs d’activité.
L’économie sénégalaise est elle outillée pour faire face aux mutations induites par la zone de libre-échange continentale et les Ape ?
Bien entendu. Quand je vous dis aujourd’hui qu’on exporte beaucoup dans le cadre africain cela veut dire que dans la zone de libre-échange continentale nous sommes outillés. Je vous donne quelques exemples. Le commerce intra africain c’est 8%, cela veut dire qu’entre les pays africains il y a 8% d’échanges. Le commerce intra européen tourne autour de 80%. Un pays comme le Sénégal fait une fierté au niveau africain parce que nous avons 42,5% de nos exportations qui se font au niveau africain. Notre balance commerciale est positive au niveau africain. Donc nous avons déjà commencé la zone de libre-échange continentale. Nous avons déjà commencé à commercer avec les pays africains en termes surtout d’exportation. Donc, quand la zone de libre-échange continentale sera vraiment effective on sera prêt pour exporter des produits manufacturés comme l’or non monétaire, le pétrole brut transformé en pétrole raffiné, le ciment etc. C’est un travail que nous sommes en train de faire et le Sénégal est prêt. Aussi bien pour la zone de libre-échange que pour les Ape.