Pendant plusieurs décennies, le Sénégal avait construit une réputation diplomatique exemplaire, fondée sur un non-alignement pragmatique et un multilatéralisme équilibré et intelligent. Depuis Léopold Sédar Senghor jusqu’à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, le pays avait su habilement naviguer entre les grandes puissances mondiales, préservant sa souveraineté tout en entretenant des relations fructueuses avec divers partenaires tels que l’Occident, la Chine, la Russie et le monde arabo-musulman. Cette stratégie diplomatique avait permis au Sénégal d’occuper une place influente sur la scène internationale, notamment par une participation active aux missions de paix des Nations Unies et par des postes clés dans des organisations multilatérales comme l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Union africaine.
Cependant, depuis l’accession au pouvoir en 2024 de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko, le Sénégal connaît un tournant diplomatique particulièrement inquiétant, marqué par un virage brutal et idéologique qui menace sérieusement son rayonnement international. Cette nouvelle administration, portée par un discours populiste et souverainiste radical, rompt ostensiblement avec la prudence diplomatique de ses prédécesseurs. L’annonce précipitée de l’évacuation des bases militaires étrangères, particulièrement françaises, a profondément détérioré les relations avec la France, un allié stratégique majeur. Cette décision spectaculaire, prise sans dialogue préalable, a bouleversé des décennies de coopération sécuritaire essentielle pour la stabilité régionale.
Le duo Faye-Sonko a également lancé une campagne agressive de renégociation systématique des contrats internationaux liés aux ressources naturelles du pays, tels que le pétrole, le gaz et les mines. Bien qu’en théorie cette démarche vise à renforcer les intérêts économiques nationaux, la méthode choisie – combative, médiatique et sans réelle concertation – a eu l’effet inverse. Plusieurs grandes entreprises internationales ont décidé de geler ou de retarder leurs investissements, craignant une instabilité juridique et économique. Ainsi, des projets majeurs comme le gisement gazier Grande Tortue Ahmeyim ou encore le champ pétrolier Sangomar connaissent désormais des retards coûteux, compromettant gravement le potentiel de croissance économique du Sénégal.
Dans le domaine monétaire, les nouvelles autorités se sont engagées dans une critique virulente du franc CFA, héritage colonial selon eux. En prônant une sortie rapide de cette monnaie sans proposer de plan alternatif solide, elles ont généré une grande inquiétude auprès des institutions financières internationales et des pays voisins membres de la zone UEMOA. Cette imprudence diplomatique menace directement la stabilité monétaire du pays, avec des conséquences immédiates comme la hausse du coût de l’emprunt et une défiance accrue des marchés financiers internationaux envers le Sénégal.
Sur la scène occidentale, l’agressivité rhétorique d’Ousmane Sonko, notamment envers la France, a profondément affecté les relations avec les alliés traditionnels européens et américains. Jamais auparavant un dirigeant sénégalais n’avait adopté un ton aussi dur à l’égard de Paris, allant jusqu’à accuser publiquement le président Macron de complicité dans les abus politiques de l’ancienne administration sénégalaise. Ces déclarations ont eu un effet immédiat et durable, provoquant une prise de distance marquée des partenaires occidentaux, y compris des États-Unis, partenaires historiques et essentiels dans divers domaines comme le développement et la lutte antiterroriste.
Cette posture anti-occidentale a également rapproché le Sénégal des régimes militaires voisins comme ceux du Mali et du Burkina Faso, remettant ainsi en question l’engagement du pays envers les valeurs démocratiques et constitutionnelles défendues par la CEDEAO. Ce rapprochement avec des juntes militaires discréditées internationalement a gravement nui à la réputation régionale du Sénégal, rendant sa position de médiateur régional précaire et peu crédible.
La politique moyen-orientale de Faye et Sonko est également problématique. Adoptant une position radicalement pro-palestinienne lors du conflit à Gaza en 2024, Sonko s’est lancé dans une rhétorique très virulente contre Israël, rompant avec la traditionnelle modération diplomatique du Sénégal sur ce dossier sensible. Cette prise de position radicale a sérieusement refroidi les relations avec Israël, ainsi qu’avec certains alliés arabes modérés comme l’Arabie saoudite ou le Maroc, deux importants bailleurs de fonds historiques du Sénégal. Le risque est désormais réel de voir se tarir les flux financiers en provenance du Moyen-Orient, essentiels pour la réalisation de grands projets infrastructurels.
Les conséquences économiques de ces choix diplomatiques imprudents se font déjà sentir. Les investissements directs étrangers sont en chute libre, affectant durement le potentiel économique du Sénégal. Le secteur touristique subit également de plein fouet cette dégradation de l’image internationale, enregistrant une baisse significative des réservations venues des pays occidentaux. Même la diaspora sénégalaise, traditionnellement stable dans ses transferts financiers vers le pays, pourrait être indirectement affectée par les tensions croissantes entre le Sénégal et les pays occidentaux où elle réside principalement.
La cause profonde de ces dérives est à chercher du côté de l’inexpérience et du manque de crédibilité internationale de Bassirou Faye et Ousmane Sonko. Aucun d’eux n’avait eu de responsabilités diplomatiques importantes avant leur arrivée au pouvoir, et leur discours, souvent calibré pour séduire une audience domestique, peine à convaincre sur la scène internationale. De plus, les controverses judiciaires et politiques entourant Sonko contribuent à discréditer davantage leur gouvernement aux yeux des dirigeants étrangers. À cela s’ajoute une marginalisation préoccupante des diplomates sénégalais expérimentés, remplacés par des militants politiques sans réelle compétence diplomatique.
En conclusion, la diplomatie sénégalaise sous Faye et Sonko, censée renforcer la souveraineté nationale et restaurer la dignité du pays, se traduit paradoxalement par un isolement diplomatique grandissant et des difficultés économiques accrues. Les autorités actuelles ont dilapidé en quelques mois un précieux capital diplomatique accumulé patiemment au fil des décennies. Cette dérive inquiétante pourrait avoir des effets durables et dommageables, touchant directement la vie quotidienne des Sénégalais et compromettant l’avenir du pays sur la scène internationale.
Avec afriqueconfidentielle