«En cas de récession économique, le Sénégal » (Economiste)

Par Abdoulaye MBOW

 

Quelles peuvent être les conséquences d’une récession économique pour le Sénégal ?

 

Une récession, c’est le lieu de le rappeler, correspond à une phase de diminution de l’activité économique. Elle décrit tout simplement un ralentissement du rythme de la croissance économique sur deux trimestres consécutifs. Cette année, le Sénégal attendait une augmentation de son Pib (croissance) estimée à 6,87%. Aujourd’hui, avec cette pandémie, tous les partenaires techniques et financiers (Fmi, Bm, Bad, Ue…) sont formels : elle ne sera en fait que de 1%. Sous ce rapport, la déclaration du Président de la République Macky Sall sur la récession ne me surprend guère, parce que je l’avais dit déjà depuis le 18 mars, lorsque l’on n’arrivera pas à une maîtrise rapide de la pandémie, nous vivrons au meilleur des cas une récession et au pire des cas une dépression. En réalité, l’économie de notre pays est fortement liée à l’économie mondiale. Ce qui veut dire que même avec zéro cas on aurait souffert. Même sans état d’urgence, sans couvre-feu, sans confinement, la pandémie pèserait sur notre économie. Ce choc, qualifié d’historique par l’Oms, a des conséquences fâcheuses sur d’abord une dégradation de notre Pib qui jusqu’ici était estimé à 15.000 Milliards Cfa, qui va nous maintenir dans le rang des pays sous-développés avec son corolaire de Pib/habitant encore très faible, de l’ordre de plus ou moins 2000$, qui s’effondre. Ensuite, des marges de manœuvre encore faibles, car le stock de la dette est déjà très important, atteignant 9200 milliards Cfa, soit 65% du Pib ; ce qui ne nous laisse pas beaucoup de possibilité, non seulement dans son paiement, mais également dans sa recomposition. Egalement, la récession renforce notre dépendance et notre vulnérabilité énergétique. Aujourd’hui, la facture pétrolière, 10% du Pib, soit 60% de nos recettes d’exportation, se situe à environ 900 milliards Cfa, constituant un lourd fardeau pour nos finances publiques déjà éprouvées par des recettes fiscales amoindries, par l’arrêt de l’activité… Et enfin, un effondrement des sources de financement pour l’Etat et à la fois pour tous les acteurs économiques. En somme, cette croissance plus faible, engendre un chômage, des niveaux de richesses à partager plus faibles et, par voie de conséquence, une augmentation relative de la pauvreté pouvant déboucher sur des tensions sociales.

 

Pensez-vous que le désastre économique sera majeur si l’on sait que nous dépendons de l’extérieur, également fortement touché par la pandémie ?

Notre dépendance de l’extérieur est très accrue. Les importations totales de notre pays se chiffrent à près de 3000 milliards de Cfa dont, rien que celles en riz se situent à 500 milliards Cfa – une vraie tyrannie du riz au regard de nos capacités -. 90% du lait vendu au Sénégal est importé sous forme de poudre pour plus de 100 milliards Cfa. Le Sénégal importe environ 70% de ses besoins en produits alimentaires. Tout cela n’est pas sans conséquences. À la fin de la plupart des chaînes d’approvisionnement et peu intégré dans les chaînes de valeurs mondiales, le Sénégal, après la crise actuelle, devrait tout faire – après avoir gagné le pari Santé bien évidemment – augmenter l’investissement dans les secteurs-clés pour un retour en force de la politique industrielle qui reclasse les agriculteurs. Une industrialisation agricole est inévitable.

 

Quelles peuvent être les meilleures solutions pour faire face à une récession économique si effectivement nous ne parvenons pas à vaincre le virus ?

 

Si l’on veut éviter que cette pandémie ne rende des forts plus forts dans un pays affaibli, il nous faut renforcer notre Arsenal pour protéger nos entreprises stratégiques. En fait, le Sénégal présente quatre caractéristiques particulières rendant l’aspect économique de cette crise très difficile. La faiblesse des revenus, l’informalité (80%, 3% et 40%), la sous-industrialisation, le financement monétaire (la difficulté d’utiliser la planche à billet) ne permettent pas à notre pays d’atteindre les niveaux de réponses de 10% du Pib des pays développé (10%). Alors, qu’est-ce qu’il faudra faire ? Creuser d’avantage les déficits budgétaires, sortir des sentiers battus et saisir la situation du Covid-19 pour mettre l’accent sur nos capacités à développer les segments de l’économie locale (le lait dans le Fouta, le cuir à Ngaye, les mangues en Casamance etc.).

Dans une telle situation la souveraineté d’État et la solidarité commune commande à retrouver l’esprit d’État, celui du progrès par l’État. Cela passe par des plans de relance exempts d’embûches. Dans cette situation de scénario noir deux possibilités nous guettent selon le choix des politiques économiques.

 

Un Rebond ou un Plongeon ?

 

Pour éviter le dernier, quelques solutions au banc d’essai sont versées dans le panier : aller très vite vers la mise en place d’un Isf (impôt sur la fortune, ndlr) pour trouver des revenus supplémentaires, gagner le combat de l’annulation des dettes, taxer davantage les multinationales, et enfin, mettre en place un revenu universel pour renforcer le lien social, diminuer les inégalités et bâtir une justice sociale.

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