Les routes sénégalaises s’américanisent de plus en plus. La raison du phénomène se trouve dans le faible coût de ces carrosses, dans leur résistance… Mais pas que… puisque le défaut y participe.
Il se frotte les mains : «Si ça ne dépendait que de nous, nous n’exporterions que des voitures américaines.» A Bagdad automobiles, on s’est déjà fait une religion. Debout au milieu des véhicules qu’il commercialise, nord-américains, venant des Etats-Unis ou du Canada pour la plupart, Cheikhouna Cissé confirme le constat qui se dégage sur les routes sénégalaises. Sur la Vdn où il a son parking, les voitures à l’américaine se distinguent. Distinction par leur fréquence de passage : il ne passe pas un lot dans lequel on ne lit pas «Ford» ou que le regard ne soit attiré par cette croix jaune qui symbolise les «Chevrolet». Et dans le lieu de commerce de M. Cissé, les «Gmc», d’autres américaines, imposent leur carrure. «On vend certes toutes les marques, souffle-t-il, seulement la vente de celles qui viennent des Etats-Unis et du Canada marche le plus», assure-t-il. La raison est toute simple pour lui : «Elles sont moins chères, leur design est plus beau et en cas de panne, il est très facile de trouver les pièces de rechange.» Ce qui attire les acheteurs. Le vendeur dont les marchandises lui arrivent du Canada, via son grand-frère, donne plus de détails sur les prix. Au-delà même de la marque, le seul fait qu’une voiture provienne des Etats-Unis est un élément qui participe à la réduction de son prix. «J’ai avec moi une «Hyundai Santafe» venant d’Europe, dont je ne peux me débarrasser en-deçà de onze millions de F Cfa, alors qu’il y a pas longtemps, j’en ai vendu une autre, avec les mêmes caractéristiques et venant des Etats-Unis, à seulement neuf millions», explique-t-il. Hormis la «Ford» qui marque sa forte présence aussi bien dans la circulation que dans les maisons de vente, il y a d’autres américaines telles que la «Cadillac». Mais, à en croire Cheikhouna Cissé, elles ne sont pas trop courues. Elles sont voraces en termes de consommation de carburant, ronronne-t-il.
Au parking Darou Salam aussi, situé dans le même secteur, les cylindres américains volent la vedette aux véhicules en provenance d’autres contrées du monde. Sur un lot de plus d’une vingtaine de voitures, le gérant ne dénombre que trois construites en Europe. «Même si elles sont déclarées venir du Vieux continent, précise-t-il, elles n’y font en réalité qu’un transit.» Mais, leur origine reste les Etats-Unis et le Canada. Et c’est la demande qui exige que les parkings dakarois soient autant américanisés. «Les deux critères que les clients demandent sont de savoir si le véhicule qu’ils comptent acquérir roule à l’essence et s’il est automatique», précise le concessionnaire. Il s’est adapté à la loi du marché. Plus de confort pendant la conduite et moins de consommation de carburant : telle semble l’essence du choix porté sur le made in Us. Pour le gérant qui souligne cela, les américaines répondent le mieux à ces exigences de la clientèle. «Et nous, rajoute-t-il, ne faisons que nous adapter aux attentes de nos clients. C’est ce qui justifie que nous ayons plus de «Ford» et d’autres marques américaines», enchaîne-t-il. Que ça soit à Bagdad ou Darou Salam d’ailleurs, il n’y a d’européennes que les voitures que les clients ont bien voulu commander de leur propre chef, pour que les importateurs les leur fassent venir ensuite. Sinon les vendeurs, eux, surfent sur la déferlante américano-canadienne, qui s’est abattue sur nos routes ces dernières années.
Plus endommagé, moins cher
Prosper Ndione est à l’Espace auto de la station Elton de Mermoz. Il a une «Ford» et l’a acquise le 2 février dernier. Ce n’est pas pour autant, la première fois qu’il s’offre une américaine. Avant celle-ci, c’était… une «Ford». Depuis que M. Ndione a goûté aux carrosses du pays de l’Oncle Sam, il n’a plus arrêté. Pourquoi cet attachement à cette marque ? «Parce que c’est moins cher et plus résistant», dit-il. Ces mots sont répétés partout où la question est posée. Parole d’usager ! Une parole que reprend le technicien qui s’est penché sur la petite panne qu’il est venu régler. A côté de cette route qui mène vers Ouakam, dans un environnement où la fumée des pots d’échappement se mélange à la poussière, Laye Faye n’en demeure pas moins soucieux de l’environnement. Sans détour, l’homme à la tenue qui porte les couleurs de son entreprise, dit penser que s’il y a une invasion des marques américaines, c’est plus dû au fait que ces dernières ont atteint un certain âge, qu’à leur bas prix. Ce serait pour ainsi dire que ce sont l’âge et l’état qui font chuter le prix. C’est cru dans sa bouche et clair dans son esprit : le marché sénégalais est plus un dépotoir qu’une cible privilégiée des constructeurs de l’autre bout de l’Atlantique. Le technicien n’est pas le seul à penser de la sorte, et des études confirment son constat. «Le développement des importations de véhicules, d’occasion pour l’essentiel, souvent très âgés, est observable dès la fin des années 1980 (…) et est étroitement lié à la libéralisation des échanges commerciaux (…). Il est d’autant plus vigoureux qu’il répond à des intérêts multiples. Au Nord, les procédures mises en place dans les pays de l’Union européenne, au Japon et aux Etats-Unis, dans l’objectif de réduire la pollution atmosphérique due à l’automobile, ont contribué à alimenter le parc de véhicules déclassés, dont le recyclage ou la remise aux normes sont économiquement moins intéressants que l’exportation en direction des pays tiers, africains pour la plupart», lit-on dans un article consultable sur Cain Info. Le même article qui poursuit, en montrant qu’ «au Sud, le commerce de véhicules est également porté par des intérêts multiples. Du côté de l’offre de voitures d’occasion, différents acteurs en vivent, structurés dans des filières d’importation : importateurs à grande échelle, parmi lesquels dominent les commerçants libanais en Afrique de l’Ouest (…) et pakistanais en Afrique australe (…), ou d’envergure plus locale, transitaires, revendeurs, intermédiaires et autres démarcheurs». Laye Faye précisera cependant que l’un des facteurs du succès des marques américaines, réside dans le fait que contrairement à celles européennes, elles sont tropicalisées. Construites de telle sorte qu’elles seront bien adaptées à beaucoup de types d’environnement, celui sénégalais y compris.
Du Canada, il arrive des véhicules qui peuvent avoir un défaut au moteur. «Parce qu’il y a beaucoup de neige et pour dégivrer les routes, on utilise souvent du sel. Les voitures roulant ainsi envoient dans le moteur, des particules qui l’endommagent à la longue», explique El Hadj Modou Fall, un autre importateur de véhicules. M. Fall déclare en effet que les canadiennes et les américaines débarquent en terre sénégalaise avec des dommages. Souvent ! Et d’ailleurs, au niveau de la douane, on préfère dire d’une marchandise automobile qu’elle a subie un accident ou qu’elle a un quelconque défaut, pour amoindrir le coût du dédouanement. Tous ces éléments contribuent alors à augmenter la présence des marques américaines au Sénégal. Moins le dédouanement est cher, moins le prix de vente l’est. Ainsi les voitures canadiennes et américaines envahissent-elles les asphaltes sénégalais. Le gérant de Bagdad, Cheikhouna Cissé, ne livre pas de détails sur comment son grand-frère acquiert la marchandise au Canada. Seulement, sur copart.ca, un site canadien spécialisé dans la vente de véhicules, un procédé y est exposé : des voitures pas neuves, certaines accidentées, d’autres apparemment en bon état, y sont proposées au public. La vente se fera aux enchères. En dollar canadien, il y en a pour toutes les bourses : 1000, 3000, 13 000… Et puisque ce sont des enchères, le prix grimpe avec les offres. La constante étant que c’est de la marchandise de seconde main, proposée au plus grand nombre. Même, sûrement, à un Sénégalais qui voit en cela un marché sénégalo-canadien. Dans ses explications, l’ancien émigré El Hadj Modou Fall, qui n’a pas encore perdu l’habitude de mélanger différentes langues en parlant, évoquera la notion de «salvage». Salvage pour dire «récupération» ou «sauvetage», spécialité d’une autre entreprise américaine (Insurance auto auction, Iaa), opérant à la manière de Copart au Canada et précédemment citée.
Les défauts de tels cylindres semblent faire l’affaire de tous : vendeurs, acheteurs et mécaniciens. Ass Faye est le chef d’un garage situé à la Zone A. Un de ses apprentis le retrouve sous la tente de l’atelier pour lui demander les clés d’une «Dodge» venue pour réparation. Le chef du garage souligne à l’occasion que «les voitures américaines ont éclipsé toutes les autres». En plus de leur prix abordable, elles ont l’avantage de la solidité et cela fait moins de frais pour les usagers, si l’on en croit l’explication de M. Faye. Il n’est pas sans se joindre à la remarque faite par l’importateur El Hadj Modou Fall, dont le parking est garni d’imposants «Lincoln», parmi lesquels est tristement placée une Opel. Ass Faye vient de recevoir une «Ford» qui souffre d’une anomalie au niveau du moteur. Cette voiture a débarqué telle qu’entreposée parmi les autres caisses, auxquelles le mécanicien doit offrir une nouvelle santé. Ce n’est pas à l’en croire un cas isolé. Ousmane Sène, qui travaille un peu plus loin, vers Point E, confirme la présence de défauts. Il se veut plus précis : «Les «Ford Escape» version américaine, dit-il, sont souvent endommagées au niveau de la soupape, dommage qui se répercute sur l’état du moteur.» En 2018, le constructeur américain, Ford, avait initié une campagne de rappel, du fait d’un problème qui a touché près de 550 mille véhicules en Amérique du Nord, dont 36 mille 887 au Canada. Les fameuses «Escape», très nombreuses sur les routes et parkings, qui peuvent s’acquérir au Sénégal à partir de six millions, selon Cheikhouna Cissé, font partie de ce lot de véhicules défectueux rappelés par la maison-mère, il y a de cela 3 ans. Et qui sait…
Importations de véhicules : Hausse à grande vitesse
Dakar étouffe. En plus d’insupportables embouteillages, la capitale est aussi frappée par la pollution automobile, qui va s’aggraver. Il y a 3 ans, on a évalué le Parc automobile du Sénégal à 820 mille 289 véhicules. Ce chiffre était de 766 mille 737 en 2017. En une décennie (2008-2018), l’évolution des chiffres dudit parc n’a cessé de grimper : 293 mille 800 en 2008 contre le chiffre de 820 mille 289, évoqué ci-dessus. Cette situation n’est pas sans lien avec les politiques relatives à l’exportation vers le Sénégal. Le décret qui a porté sur le relèvement de l’âge (de 5 à 8 ans), en 2012, des véhicules pouvant être importés au Sénégal, avait considérablement fait gonfler le Parc automobile dakarois.
Les caisses de la douane n’en ont pas pâti : entre 2011 et 2012, une hausse de 22, 55% est notée par rapport aux recettes collectées sur les véhicules importés. On est alors passé de 18 milliards 754 millions 965 mille 586 F Cfa à 22 mille 984 millions 305 mille 680 F Cfa. Or le chef de l’Etat, Macky Sall, avait signé un décret en septembre 2019, qui interdit l’importation de véhicules d’occasions âgés d’au moins 8 ans. Selon le décret parcouru par Le Quotidien, «tout véhicule importé âgé d’au moins 8 ans, sera interdit d’immatriculation au Sénégal et réexporté dans un délai de deux mois ou détruit à l’expiration dudit délais aux frais du propriétaire ou de l’importateur, sans préjudice d’une pénalité de deux millions de francs Cfa appliquée à l’encontre du propriétaire ou de l’importateur». Alors que les véhicules âgés de 5 ans au moins paient une pénalité d’importation d’au moins 20% et ceux âgés de moins de 8 ans mais ayant au moins 7 ans d’âge, paient 60% de pénalités.
ACTUNET AVEC LE QUOTIDIEN