Gabon-Présidentielle 2023 : Entretien avec Raymond Ndong Sima , ex Premier ministre, qui défie Bongo

Comme tous les 7 ans, les Gabonais se rendront aux urnes pour (ré)élire leur président de la République. Prévue en août 2023, la présidentielle au Gabon promet d’être une bataille acharnée entre le parti au pouvoir et l’opposition, qui malgré sa volonté de s’unir, avance, pour le moment, en ordre dispersé. Parmi les challengers au président sortant Ali Bongo, on retrouve Raymond Ndong Sima. L’ex-premier ministre se présente pour la deuxième fois d’affilée après 2016. Dans cette interview accordée à Seneweb, l’économiste passe au crible le bilan du président sortant et donne son avis sur la volonté de l’opposition à avancer ensemble, chose qui, d’après lui, devrait se faire sur la base de certains critères.

Seneweb : Après 2016, vous revoilà en 2023 candidat à la présidentielle. Quelles en sont les raisons ?

Raymond Ndong Sima : La situation ne s’est pas améliorée depuis 2016 et chacun a eu désormais le temps de voir en tout premier lieu que le problème de la gestion du Gabon ne se réduisait pas à la personne d’Ali Bongo mais qu’il renvoyait à un système qui a ses mécanismes et ses automatismes. Il faut donc relancer l’offre politique de redressement du pays et repartir vers les électeurs.

Seneweb : Quel regard portez-vous sur la gestion du Gabon du président sortant Ali Bongo ?

Raymond Ndong Sima : La situation générale du pays s’est considérablement dégradée. Le mandat qui vient de s’achever s’est, en outre, caractérisé par une intensification des affaires, des détournements à très grande échelle des deniers publics, par une désorganisation accélérée de l’articulation des pouvoirs avec la mainmise du cabinet du président sur le fonctionnement du gouvernement, avec la disparition  de nombreuses structures qui se sont exonérées des comptes qu’elles avaient à rendre de la gestion des énormes ressources budgétaires qui leur ont été confiées. Je pense notamment mais pas seulement à la très célèbre ANGT, etc.

Seneweb : Concernant la jeunesse gabonaise, quelles politiques comptez-vous mener à leur égard ?

Raymond Ndong Sima : Le projet que je propose traite globalement de la jeunesse notamment dans les deux axes consacrés au modèle économique et à la solidarité nationale et chacun aura l’occasion de le découvrir lors de sa présentation détaillée.

« Je rappelle que le dispositif législatif et réglementaire qui régit les élections est largement biaisé »

Seneweb : Face à ces tous ces maux, vous affirmez détenir des solutions. Que préconisez-vous ?

Raymond Ndong Sima : Je considère que les dérapages mis en lumière par  le diagnostic de la situation n’ont été permis qu’en raison d’une excessive concentration des pouvoirs entre les mains du président de la République. Il faut donc réformer l’architecture institutionnelle et assurer rééquilibrage et une réelle indépendance des différents pouvoirs et notamment ceux en charge des contrôles. Il faut ensuite revoir le modèle économique derrière lequel nous courrons depuis l’indépendance en 1960 et qui repose sur le commerce international des matières premières. Ce modèle peut induire de la croissance sans susciter le moindre développement. Il est en train de sécréter un chômage structurel insoutenable.

Seneweb : Votre dernière expérience à la présidentielle s’est soldée par un résultat de 0,42% des suffrages exprimés. Avez-vous bon espoir d’obtenir un meilleur score en 2023 ?

Raymond Ndong Sima : Oui, je suis en course pour gagner et non simplement pour améliorer mon score. En 2016, le débat a tourné à l’invective et n’a absolument pas porté sur les solutions. Exaspérés par la longévité au pourvoir des Bongo et de leurs alliés, beaucoup ont cédé à une colère compréhensible mais également préjudiciable à l’analyse. Ils ont vu en un candidat comme moi qui voulait placer le curseur sur la confrontation des projets, un mou, et même un complice du pouvoir incapable de faire preuve d’agressivité envers celui qui détenait et exerçait le pouvoir. Sept années se sont écoulées et nous pouvons faire le constat des résultats obtenus par cette stratégie de l’agressivité et de l’invective. Je crois bien au contraire que beaucoup admettent désormais qu’ils avaient fait une mauvaise lecture de mon attitude et qu’il faut placer les propositions de solutions au centre du débat. Je ne doute donc pas que les électeurs vont réviser leur jugement et leur appréciation à mon égard.

Seneweb : D’une manière générale, quelles sont les chances de l’opposition à cette présidentielle. Pensez-vous que la roue pourra (enfin) tourner ?

Raymond Ndong Sima : Les chances de l’opposition dépendent largement de la transparence du processus électoral et de la détermination des électeurs à porter leurs résultats. Je rappelle que le dispositif législatif et réglementaire qui régit les élections est largement biaisé.

L’objet d’une élection est d’identifier la personne ou le groupe de personnes qui détiennent la majorité dans le pays. Hélas, les organes de gestion des élections partent d’un clivage binaire d’ailleurs non constitutionnel, d’un partage des postes entre Majorité et Opposition. Ce clivage permet d’entrée de jeu à ceux qui sont en fin de mandat de se prévaloir d’un nombre de sièges disproportionné dans les instances qui organisent les élections et d’être ainsi juge et partie. C’est pourquoi il est capital que le  plus grand nombre de personnes enrôlées prenne part au vote. C’est ce nombre qui fera la différence.

Sur la volonté de l’opposition de s’unir : « Pour ce que j’en sais à ce stade, il n’est pas question de candidature unique »

Seneweb : Vous dites que le dispositif législatif et réglementaire qui régit les élections est largement biaisé, craignez-vous que les dés soient déjà jetés ?

Raymond Ndong Sima : Dans une large mesure, les dés sont en effet déjà jetés puisque la période des élections est fixée par la Constitution comme d’ailleurs l’organe chargé des élections est connu dans sa composition et dans ses modalités de fonctionnement. Pour autant, je ne crois pas que les résultats soient déjà connus d’avance. Je pense en effet que le cadre de ces élections est l’objet de manœuvres qui pourraient faciliter la partialité. L’opposition a donc raison ou tout à fait intérêt à jeter toutes ses forces dans la bataille des modalités de fonctionnement de l’organe chargé de gérer les élections.

Seneweb : Dans une déclaration, Mme Paulette Missambo, présidente de l’Union Nationale (UN), a fait part de sa volonté de réunir l’opposition autour d’une grande coalition comme en 2016. Qu’en pensez-vous ?

Raymond Ndong Sima : La plateforme Alternance 2023, mise en place à l’initiative de madame Missambo et présidée par elle, a pour but de réunir les conditions de la transparence électorale. C’est une initiative louable. C’est pourquoi j’y ai souscrit récemment. Pour ce que j’en sais à ce stade, il n’est pas question de candidature unique.

Je ne crois pas à une candidature unique spontanée. L’opinion a tendance à en faire une question d’ego, or tel n’est pas le cas. Je pense que chacun des partis a sa conception du fonctionnement de l’économie, de la monnaie, de l’exercice de la solidarité etc. Et si on n’y prend pas garde, on pourrait avoir un accord entre des partis pour faire partir l’équipe en place et par la suite être tout à fait incapables de s’accorder sur les choix de gouvernance.

Par exemple certains, pour faire face à une inflation galopante, préconisent le blocage intégral et strict des prix. D’autres y sont farouchement opposés. Certains sont favorables à une réduction et peut-être même à la suppression des aides de l’État comme les bourses aux étudiants, d’autres ne sont pas de cet avis. Une fois au pouvoir quelle décision sera  retenue dans ces domaines ? Il est crucial de clarifier ces questions. Il est pour le moins inutile et même dangereux de vouloir réunir, pour gouverner, des partis qui s’opposent sur ces questions.

Seneweb : L’union des forces de l’opposition est-elle le seul moyen afin de venir à bout du pouvoir en place lors de cette élection ?

Raymond Ndong Sima : C’est probablement l’un des moyens d’y parvenir. Il est rare qu’il y ait une solution unique à un problème humain.

 « L’opposition doit essayer de se regrouper sur la base de la convergence des projets »

Seneweb : En 2016, vous aviez décliné l’invitation de l’opposition à rejoindre cette coalition. Aujourd’hui, quels sont les préalables nécessaires pour votre adhésion ?

Raymond Ndong Sima : Non, je n’ai pas décliné l’offre en 2016. Je suis même un des quatre (4) candidats qui a fait le déplacement du 13 août pour une telle candidature avec messieurs Nzouba, Oyé Mba et Ping. C’est par la suite que nous ne sous sommes pas entendus justement parce que je demandais un accord sur le programme d’actions.

Seneweb : Selon vous, quel est l’ordre de bataille que l’opposition devrait adopter en vue de cette élection ?

Raymond Ndong Sima : L’opposition a raison de se regrouper pour obtenir une amélioration de la transparence et de l’équité dans l’organisation des différentes élections. Je crois qu’ensuite elle doit essayer de se regrouper sur la base de la convergence des projets.

Seneweb : Récemment, le gouvernement gabonais a connu un remaniement assez inédit avec le retour d’anciennes figures du pouvoir auparavant dans l’opposition. S’agit-il là d’une manière d’affaiblir le camp adverse en vue de la présidentielle ?

Raymond Ndong Sima : Je ne sais pas lire les intentions du président qui a remanié son gouvernement. J’imagine qu’il ne l’a pas fait de façon fortuite. Je crois surtout qu’il a mis en place son équipe de campagne dans ses grandes lignes.

Seneweb : Avez-vous été approché ?

Raymond Ndong Sima : Non et pourquoi l’aurais-je été ? Je suis en désaccord avec les orientations de la gestion du pays et, que je sache, un gouvernement rassemble des hommes et des femmes qui partagent les mêmes objectifs, les mêmes convictions.

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