En 2023, le Sénégal va devenir un pays producteur et exportateur de pétrole et de gaz naturel. Le pays compte, fortement, s’appuyer, sur la deuxième ressource citée dans son processus de développement, en partie grâce à son exportation. Et les potentiels clients se manifestent déjà, en nombre.
Avec des réserves de gaz estimées à 1400 milliards de m3, La Grande Tortue Ahmeyim (GTA) est considérée comme l’un des plus grands champs gaziers d’Afrique. Ce projet gazier, né d’une initiative commune entre le Sénégal et la Mauritanie, pourrait rapporter aux deux pays sur les 20 prochaines années entre 80 et 90 milliards de dollars. Un potentiel énorme qui nourrit des ambitions et aiguise des appétits surtout de pays européens. L’exemple le plus récent est la première sortie africaine du chancelier allemand, Olaf Scholz, au Sénégal le 22 mai dernier. Cette visite, bien loin d’être qu’une simple prise de contact, a été l’occasion pour l’homme d’État allemand d’aborder, avec le Président Macky Sall, la question du gaz sénégalais dans l’optique d’une future coopération entre les deux Etats.
Une demande que son hôte, Macky Sall a assuré être prêt à satisfaire et à faire bien plus encore : « Nous sommes prêts, nous au Sénégal en tout cas, à travailler dans une perspective d’alimenter le marché européen en GNL (gaz naturel liquéfié). Le chancelier allemand a, par ailleurs, promis que des discussions se poursuivront « de manière intensive ».
Toujours au cours de cette année 2022, la République Tchèque a, elle aussi, manifesté sa volonté de nouer un partenariat avec le Sénégal pour l’exportation de son gaz. Le 15 juillet dernier, le ministre du pétrole et des énergies, Aïssatou Sophie Gladima a reçu le Vice-Ministre Tchèque des Affaires étrangères pour les questions économiques, Martin Tlapa. Ce dernier a confié que la Tchéquie était particulièrement intéressée par le gaz sénégalais. « Tenant compte de la situation actuelle due à la crise ukrainienne, la République Tchèque est à la recherche de partenaires et souhaiterait ainsi investir en Afrique, dans le domaine de l’énergie et des mines et spécialement au Sénégal », a-t-il indiqué, assurant que son pays souhaite investir au Sénégal dans le domaine de la coopération interuniversitaire.
Poutine dispose, Sall propose
Il faut dire que cette succession d’opérations de charme effectuées au cours de cette année est loin d’être un hasard. Elles interviennent au moment où l’Union Européenne a pris la décision d’infliger à la Russie une cascade de sanctions en réponse à son opération militaire russe entamée en Ukraine en début d’année. Des sanctions qui touchent plusieurs secteurs et se répercutent sur l’approvisionnement en énergie russe. En effet, la Russie a décidé de contre-attaquer en exigeant aux pays ayant adopté ces sanctions de régler leurs achats de gaz en roubles et non plus en dollars ou en euros au risque de couper les livraisons. Une proposition déclinée par les Etats de l’UE qui ont préféré se tourner vers des alternatives. Une décision compréhensible au vu de la dépendance vis-à-vis de la Russie en matière d’approvisionnement en gaz, soit 45%. Raison pour laquelle, bon nombre de pays européens se rabattent sur le continent africain notamment le Sénégal, l’Algérie, l’Egypte et le Nigéria. Sans oublier l’alternative américaine qui reste moins avantageuse que le Sénégal à cause du temps d’acheminement de 12 à 15 jours vers l’Europe contre 5 à 6 jours pour le pays de la Teranga.
L’engrais, l’autre enjeu du gaz
Cette volonté à vouloir trouver des options au gaz russe ne découle pas de la simple raison d’un désir de se tenir au chaud durant l’hiver, il se trouve qu’elle a, également, une importance alimentaire. Le gaz est un élément essentiel dans la production d’engrais minéraux. Ces fertilisants sont fabriqués à partir d’ammoniac, obtenus en combinant l’azote de l’air et l’hydrogène provenant du gaz naturel. Cet enjeu a, d’ailleurs, été évoqué par le colonel de gendarmerie Patrick Martzinek lors d’un atelier à Dakar sur la crise alimentaire dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la pandémie de Covid-19. « Il faut aussi savoir que la Russie est l’un des plus gros producteurs d’engrais dans le monde et il faut retrouver une certaine indépendance. Et quand on sait que le Sénégal va devenir un gros producteur de gaz, il faut anticiper. C’est d’ailleurs logique et c’est une bonne chose pour le Sénégal de savoir qu’il aura de nouveaux clients », a-t-il analysé. Une double dépendance corollaire (gaz et engrais) qui se fait d’ores et déjà ressentir en raison de la flambée du prix de ces fertilisants. Conscient de cela, le gouvernement russe a recommandé à ses producteurs d’engrais de suspendre leurs exportations.
Dilemme entre transition écologique et développement économique
Depuis plusieurs années déjà, les questions liées au réchauffement climatique et à la raréfaction des ressources sont au centre de toutes les tables rondes entre Etats. Des conséquences sur le plan climatiques qui invitent ces pays à agir en adoptant des plans de transition écologique. Chose qui a poussé une vingtaine d’Etats à s’engager d’ici fin 2022 à mettre un terme au financement à l’étranger de projets d’énergies fossiles lors de la COP 26 en 2021. Une feuille de route désavantageuse pour de nombreux pays africains dont le Sénégal qui n’a pour le moment pas encore démarré la production de ses hydrocarbures. A ce sujet, le Président de la République Macky Sall, en sa qualité de Président en exercice de l’Union Africaine, n’a eu de cesse de porter la voix du continent en déplorant ce choix drastique. “Dans le cadre d’une transition d’une durée de 20 à 30 ans, nous devrons développer le gaz, et permettre que les banques de développement financent des projets gaziers. Les pays africains devraient investir dans des énergies propres, tout en continuant à avoir des énergies de base qui permettent le développement et l’accès à l’électricité aux 600 millions de personnes qui en sont encore privées. Nous interdire l’exploitation du gaz serait injuste”, a-t-il rappelé au cours du forum annuel de la fondation Mo Ibrahim sur le changement climatique en mai 2022. Une position sans doute confortée par le faible taux de pollution du continent s’élevant à 4% contre 95% pour les pays développés.
“À partir de 2030, le Sénégal espère percevoir jusqu’à 400 milliards de francs CFA par an de recettes directes”
Pour le colonel Mbarick Diop, ancien conseiller technique à la présidence de 1994 à 2003, le Sénégal doit faire fi des avis extérieures : « si nos intérêts au Sénégal c’est d’utiliser notre gaz pour notre développement propre grâce à la production d’électricité et à l’exportation nous ne pouvons pas nous en passer. Nous avons besoin d’engranger des ressources ». Le Colonel Diop a été, aussi, le premier président du comité national du changement climatique, poste qu’il a occupé pendant 7 ans. « Mais on doit les encourager à développer parallèlement des énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolienne », ajoute-t-il. Toujours sur ce point, le Sénégal, avec le parc éolien de Taïba Ndiaye, a entamé lentement sa transition. Ce projet d’une puissance de 158,7 MW fournira de l’électricité à près de 2 millions de foyers Sénégalais.
Diversification des revenus du gaz : la clé du succès
Il est clair qu’au vu du potentiel de cette ressource naturelle (le gaz), elle sera considérée comme une véritable rampe de lancement pour l’essor de l’économie sénégalaise. Selon Mamadou Fall Kane, conseiller du président Macky Sall en matière d’énergie : « À partir de 2030, le Sénégal espère percevoir jusqu’à 400 milliards de francs CFA par an de recettes directes. La clé de répartition du gaz entre la Mauritanie et le Sénégal est de 50-50, puisque les experts estiment que le gisement se situe dans les mêmes proportions de chaque côté de la frontière maritime ». Il précise que dans la phase 1 du projet GTA, la production de gaz sera destinée à l’exportation. Par la suite, elle alimentera les centrales d’électricité de la Senelec qui jusque-là tourne grâce au gaz importé. A cela s’ajoute l’ambition pour l’Etat du Sénégal de créer 300 000 emplois par an pour les jeunes grâce à l’industrialisation financée par le gaz.
Le colonel Mbarick Diop estime qu’un réinvestissement rationnel des bénéfices tirées de ces ressources est un impératif pour créer une dynamique vertueuse du gaz : « Il faut qu’il y ait des projets structurants qui vont permettre au Sénégal de se développer. Je pense à la construction de chemins de fer mais aussi à la construction d’infrastructures d’exploitations du phosphate de Matam. Mais aussi à l’éducation car le capital humain est très important ».
« Il nous faut avoir une identification de tout notre potentiel humain », Mactar Sylla
Jusque là, les personnes et les structures chargées de l’exploitation et de la gestion des ressources naturelles sénégalaises étaient perçues comme des grandes muettes en raison de leur déficit criard en communication. Pour tenter de rectifier le tir, un panel de haut niveau a été organisé ce 29 juillet 2022 à Dakar par Petrosen Trading and Services. L’occasion a été saisie par le directeur général de la structure de prendre à revers certaines idées reçues sur la répartition des revenues sur l’exploitation des énergies sénégalaises. « Je vous dis clairement que cette communication est fausse. Les 10% dont on parle, c’est la part de Petrosen avant les découvertes. Pendant la phase d’exploration, on a voulu nous faire croire que c’est ce que le Sénégal récupère. On est tous conscient aujourd’hui que le minimum sera 52% sur l’un de nos champs et l’autre à 64%. Il faut alors oublier les 10% », a expliqué, Manar Sall. Le DG de Petrosen Trading and Services a, aussi, loué la qualité de la ressource humaine en charge de la gestion de ces ressources.
Dans le même sillage, Mactar Sylla, expert en communication et l’un des concepteurs du plan stratégique Gabon émergent, estime que l’Etat doit se tourner vers l’expertise sénégalaise en la matière présente à l’international. « Il faut qu’on tire le plus grand profit de tous ces experts que nous avons au niveau international », dit-il. Il ajoute : « Il y a beaucoup de sénégalais qui sont dans les structures gazières et pétrolières et qui connaissent ces marchés. Il nous faut véritablement avoir une identification de tout ce potentiel humain et les associer à la démarche en termes de concertation, en termes de conseils et en termes d’orientation ».