Le gouvernement du Sénégal est de nouveau sur le pied de guerre contre les statistiques produites par certaines organisations internationales de défense des droits humains, de la démocratie pluraliste et de la bonne gouvernance. Les dernières statistiques en date se focalisent sur la perception de la corruption et la gouvernance démocratique. Le Sénégal est mal placé à l’échelle de l’Afrique et du monde en matière de lutte contre la corruption, dans les domaines de l’approfondissement de la démocratie pluraliste et de l’organisation des élections libres et démocratiques.
La réalité de ce recul progressif dans ces secteurs fondamentaux de la bonne gouvernance se combine à un état de développement économique social et culturel compromis par une accélération des impacts de la crise à travers l’augmentation des prix des denrées de première nécessité et du renchérissement du coût de la vie.
La guerre gouvernementale contre les chiffres réels distillés par les organisations de la société civile et/ou de certaines institutions internationales proches du système des Nations-Unies, cache mal l’image écornée du pays et de ses politiques publiques. L’image d’un pays est devenue un des indicateurs de l’état de sa gouvernance politique et économique. Elle se révèle être, au cours de ces décennies, le baromètre de référence par excellence des organisations internationales, des investisseurs et des opérateurs privés internationaux. Le Sénégal a probablement compris les enjeux de cette importance de l’image dans la diplomatie et la gouvernance mondialisée des affaires publiques et privées. Les gouvernements qui se succèdent depuis le début des années 1980 partagent au moins cette prise de conscience de la fonction de l’image et le classement des États modernes.
La démocratie et la gouvernance politique et économique sont désormais ainsi l’objet d’enquêtes internationales régulières. Les acteurs-étatiques, internationaux, non étatiques, mènent des études suivant des approches scientifiques dans leurs domaines de compétences respectives. Ces résultats sont aujourd’hui des données indispensables aux décideurs publics et privés. Les États africains, et singulièrement celui du Sénégal, ont une posture allergique aux résultats des enquêtes, des avis, des conseils et des recommandations de ces organisations internationales. À chaque fois ces résultats sont en conflit ouvert avec des gouvernants. Les derniers exemples en date sont les rapports publiés au sujet de la lutte contre la corruption, la gouvernance démocratique et l’état réel de l’économie sénégalaise. Le Sénégal qui prétend encore être un modèle de bonne gouvernance, n’a point connu des avancées significatives en matière de lutte contre la corruption et de renforcement de la démocratie pluraliste. Le pays connaît plutôt des difficultés récurrentes, des conflits permanents et un malaise institutionnel en matière de respect des libertés individuelles et collectives. On peut ajouter à ces deux secteurs sensibles de l’image d’un pays qui se veut ouvert et démocratique, celui de l’économie.
Le gouvernement a construit son image autour de la croissance impulsée par le Plan Sénégal Émergent et de la bonne gouvernance. La stabilisation du taux de croissance autour de 6% est l’équivalent d’un référentiel absolu dans l’entendement gouvernemental d’une bonne gouvernance économique et de l’amorce d’un développement durable et inclusif. En dépit des démentis récurrents, à chaque fois que des chiffres publiés par les organisations internationales, particulièrement ceux des organisations des droits humains, vont dans le sens contraire des chiffres officiels, souvent préfabriqués avec la complicité des principaux bailleurs de fonds, le gouvernement peine à accepter la réalité des chiffres allant dans le sens de révéler l’état réel de la lutte contre la corruption, la gouvernance anti-démocratique et de l’économie nationale.
Après la diffusion publique de rapports épinglant des failles, des dysfonctionnements, des reculs de la démocratie et de la gouvernance économique, le gouvernement tente de discréditer les auteurs des enquêtes et les donneurs d’ordre de ces enquêtes internationales ou continentales. L’angoisse gouvernementale, dès la publication de rapports, est lisible à travers les réactions des autorités étatiques. Ces dernières cachent mal du reste les réalités objectives. L’État affiche une peur de ces chiffres traduisant des réalités observables et le vécu réel des populations. Le pire est que le gouvernement devient prisonnier de son image et ses vérités chiffrées.
À force de vouloir mener la guerre à tous ces indicateurs de mauvaise gouvernance, de mal développement, le gouvernement perdra toute crédibilité internationale. Le Sénégal fait partie des États les plus prompts à signer des conventions, des traités internationaux et à s’en glorifier. Il est aussi l’un des plus mauvais exemples en matière de respect de ses engagements internationaux. La guerre contre les résultats des études des organisations internationales témoigne de cette faiblesse congénitale de l’État peu respectueux de l’indépendance de l’expertise internationale.
Pendant que l’image de la démocratie et de la gouvernance politique et économique se dégrade, le gouvernement engage le tournant de l’ajustement structurel de son économie. Ce nouveau processus va davantage écorner l’image du Sénégal. La hausse du prix de l’électricité, déjà actée par le gouvernement, est un indice de la future montée des tensions sociales avec l’augmentation du prix des denrées de première nécessité et l’aggravation des conditions de vie des travailleurs et des populations.