Infanticides : Récits poignants de jeunes parents dont les enfants sont tués par leurs copines

Au Sénégal, les coupables d’infanticide ont fait l’objet de tous les procès, mais rarement il a été fait cas des hommes, auteurs de leurs grossesses. Comment vivent-ils le meurtre de leur enfant ? Quelle est leur part de responsabilité ? Ont-ils assumé la grossesse ? Comment accueillent-ils la nouvelle du meurtre de leur enfant ? Dénoncent-ils leurs amantes coupables ou sont-ils mis devant le fait accompli ? A l’heure où beaucoup spéculent sur le sort des femmes coupables d’infanticide, L’Observateur s’est intéressé aux pères, ces mâles souvent épargnés durant ces tragédies.

Une idylle démoniaque qui prend fin plus tôt que prévu…

Il ne se remet toujours pas de sa douleur. Quinze ans après, Pape S., charretier vivant à Palène, dans le département de Kébémer, couve encore sa peine. L’air pensif, le regard perdu dans le vague, Pape a pardonné, mais peine à oublier. Oublier ce drame qui a troublé à jamais sa vie une matinée de l’an 2000 où la douloureuse nouvelle s’est abattue sur sa tête. Comme un couperet. Pape a payé du prix du sang sa relation adultérine avec la femme de son ex-employeur. Son enfant né de cette relation coupable a été l’agneau du sacrifice.

Aujourd’hui, plus de 20 ans plus tard, il s’en rappelle, une boule à la gorge. «Vers les années 2000, je travaillais comme saisonnier pour le compte d’un vieux émigré vivant en Espagne. Je logeais chez lui et j’étais bien traité par sa deuxième femme. Celle-ci me considérait comme son oncle. Elle faisait tout pour moi. Chaque nuit, elle me donnait à manger. Parfois, elle me taquinait en me demandant d’aller conquérir les jeunes femmes divorcées du village. Je lui rétorquais toujours que j’étais un homme marié qui travaille dur pour nourrir sa famille.»

Au fil des jours, la complicité grandit entre les deux. Tombée sous le charme du saisonnier, la jeune femme ne se cache plus et avoue ses sentiments au saisonnier. Une idylle naît entre les deux et aboutit à une relation amoureuse nouée en toute discrétion.

«Nous vivions le parfait amour à l’insu de tout le village, car elle attendait la tombée de la nuit pour venir me rejoindre dans ma chambre. Parfois, quand elle se rendait au marché hebdomadaire de Kébémer, elle me demandait de conduire la charrette. Nous en profitions pour passer du bon temps ensemble.»

Malheureusement, l’idylle prend fin plus tôt que prévu. Obligé de rentrer chez lui, à Diourbel, Pape S. rompt avec sa dulcinée qui, quelques semaines plus tard, l’appelle pour lui annoncer sa grossesse. Pape S. tombe des nues. Incrédule, il décide tout de même d’assumer. En toute responsabilité.

«Comme je savais qu’elle était mariée, je lui ai conseillé d’aviser son mari, car j’étais disposé à baptiser l’enfant. A ma grande surprise, elle a déversé sa bile sur moi en me taxant de traitre. Je voulais la raisonner, mais elle ne voulait pas m’écouter. Pis, elle a coupé tout contact avec moi. J’ai essayé à plusieurs reprises de la joindre, en vain. Quelques mois plus tard, j’ai appris qu’elle est retournée chez ses parents dans la région de Saint-Louis. J’ai compris qu’elle voulait cacher sa grossesse.»

Pensant que l’histoire s’en était arrêtée-là, Pape S. tourne la page. Grande fut sa surprise quand, en 2014, Pape S. reçoit l’appel d’un gendarme lui demandant de déférer à une convocation. Des nœuds au ventre, Pape S. se présente devant les gendarmes et manque de s’évanouir quand ces derniers lui annoncent que son amante avait été arrêtée pour avoir commis un infanticide.

«Le ciel m’est tombé sur la tête. Jamais je n’aurais cru Amy* capable d’une telle ignominie, d’une telle horreur. Elle avait tué notre garçon que j’étais décidé à reconnaître et à lui donner mon nom. Si j’avais imaginé un instant qu’elle arriverait à cet extrême, je l’aurais dénoncée parce que la vie est sacrée. Cet enfant-là, même s’il est issu d’une relation adultérine, avait droit à la vie.»

Relaxé au bout d’une rude journée d’interrogatoire, Pape S. qui avait tout confié aux enquêteurs, réitérera sa déclaration à la barre du tribunal lors du procès de la dame qui en tirera 5 ans. «Je l’ai revue pour la dernière fois au procès. J’ai appris qu’elle s’était remariée, à sa sortie de prison, à Touba et depuis, je n’ai plus eu de ses nouvelles. Pourtant durant son incarcération, je lui ai rendu visite à la prison, mais elle a refusé de me recevoir. Je lui ai pardonné son crime, mais je n’oublie pas.»

«Sur insistance de son oncle, elle finira par tuer notre bébé»

G. D. n’a eu que ses yeux pour constater l’irréparable. La quarantaine dépassée, l’homme dont la copine s’est débarrassée du fruit de leur amour, peine aujourd’hui encore, à digérer ce qu’il considère comme une «trahison». L’affaire remonte à il y a 24 ans, mais c’est comme si c’était hier.

Les traits défigurés par l’émotion, il souffle : «C’était en 1997. Je sortais avec une fille du quartier, F. Diémé, originaire de la région du Sud. Elle travaillait comme aide-ménagère pour ma mère et vivait avec sa grand-mère et son oncle. Elle avait 19 ans et nous étions fous amoureux. Pour ne pas commettre l’irréparable, mon père m’a demandé de la prendre comme épouse. J’en ai discuté avec elle d’abord avant de m’en ouvrir à son oncle qui m’a demandé de patienter, le temps qu’il en parle aux parents de ma dulcinée.»

Confiant, G. D. déchante quand les parents de la fille lui opposent un niet catégorique sous le prétexte que leur fille était déjà promise à un cousin au village. G.D ne l’entendra pas de cette oreille. Décidés à vivre leur amour en faisant fi de l’opposition des parents de sa dulcinée, G.D, d’un commun accord avec F. Diémé, concocte un plan qui consistait à engrosser la fille. Pensant sa dulcinée acquise et que ses «beaux-parents» ne s’opposeront plus à leur union¸ G.D est sur son nuage. «Tout se passait comme prévu, mais c’était sans compter avec la famille de F. Diémé qui campait toujours sur leur décision et qui ne cessait de la menacer.»

F. Diémé ne résistera pas longtemps. Un matin, G. D. est réveillé par un ami qui lui signale la présence des sapeurs-pompiers et des policiers devant le domicile de sa dulcinée. Au dehors, la nouvelle le clouera sur place. Face à la pression familiale, F. Diémé avait fini par franchir le Rubicon en abrégeant la vie de son nouveau-né. G. D. : «Ces images resteront à jamais gravées dans ma tête. Je suis tombé sur la scène des sapeurs qui venaient de repêcher de la fosse septique le corps sans vie d’un nouveau-né de sexe masculin avant de l’envelopper dans un sac en plastique.»

Optimiste, G. D. nie l’évidence. Ce n’est qu’une fois qu’il apercevra sa copine dans la fourgonnette de la police, menottée, en compagnie de son oncle, qu’il réalisera l’horreur. «J’ai compris qu’il s’agissait de mon gamin. Sur le coup, je ne ressentais plus mes jambes et j’ai failli tomber à la renverse. Ce n’est que des heures plus tard qu’un gamin qui habitait la maison de F. Diémé, m’a raconté ce qui s’était passé.» Au cours de la nuit, tenaillée par les douleurs de l’accouchement, F. Diémé donnera naissance à un garçon. Mais, sur insistance et assistance de son oncle, elle finira par tuer le bébé avant de simuler un avortement.

«C’était une lourde trahison. Jusqu’à présent, je ne m’en suis pas remis. Je l’avais accompagnée tout au long de la grossesse. Je subvenais à ses moindres besoins. Après sa condamnation et son emprisonnement à 5 ans ferme, j’ai coupé les ponts avec elle. Je n’avais plus envie de la revoir et l’amour que je ressentais pour elle s’est comme dissipé. Au début, je pensais que c’était son oncle qui l’avait poussée à agir de la sorte, mais c’était une décision personnelle, car F. Diémé m’a fait savoir qu’elle ne voulait pas décevoir ses parents en faisant fi de mes sentiments. Ma douleur et ma déception étaient inénarrables.»

«Je ne m’explique toujours pas comment elle a pu…»

«Personne ne peut imaginer ce que l’on ressent et vit après ce genre de drame», embraie B. Ndione. «Quand j’ai appris que ma copine avait tué de sang-froid notre bébé, j’ai eu l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds, car la déception était grande», pleure B. Ndione. Le drame que B. Ndione se remémore aujourd’hui remonte en 2002. C’est au courant d’une matinée qui s’annonçait ordinaire qu’il a appris la nouvelle.

«J’étais dans ma chambre, en train de dormir et un ami est venu toquer à ma porte. On a discuté un peu et je m’apprêtais à faire le thé, mais il m’a retenu en me disant qu’il avait une mauvaise nouvelle à m’annoncer. Dans un premier temps, je pensais qu’il voulait m’annoncer le décès d’un proche. Mais tel n’était pas le cas. Il m’a demandé de m’asseoir et je l’ai vu chercher ses mots. Après quelques secondes, il m’informe que ma copine F. Gningue venait d’être arrêtée par la Gendarmerie», confesse B. Ndione.

Pensant à une banale dispute qui a atterri à la gendarmerie, B. Ndione n’en fait pas trop cas. Jusqu’à ce que son ami lui apprenne que sa copine venait de mettre un terme à sa grossesse, d’après les gendarmes. Cette arrestation sera suivie par la convocation de B. Ndione.

«J’ai dit aux gendarmes que j’étais l’auteur de la grossesse et que nous avions décidé de garder l’enfant. Au début, elle avait refusé catégoriquement sous le prétexte que, si ses proches apprenaient sa grossesse, elle serait la risée de toute la famille. Mais je pensais que j’avais réussi à la convaincre de garder le bébé. Donc, je ne saurais expliquer son acte», témoigne-t-il.

«Selon les éléments de l’enquête, elle a accouché la nuit avant d’étouffer le nouveau-né de ses propres mains. Par la suite, elle a essayé d’enterrer le corps dans un trou non loin de leur maison. Ce sont les enfants qui jouaient au football qui ont découvert le corps sans vie du nouveau-né. C’était terrible, mais en père légitime de l’enfant, j’ai demandé et obtenu de la police de me livrer le corps de mon enfant après autopsie pour que je puisse l’enterrer dignement. Il n’avait pas demandé à naître et je l’ai conçu avec amour.»

Raison pour laquelle, les mois qui suivirent le drame, furent un véritable cauchemar pour lui. Alors que sa copine purgeait sa peine en prison, lui a vécu les pires mois de sa vie. «J’ai passé trois mois très difficiles. Je ne fermais pas l’œil durant la nuit. Le visage angélique de mon fils, figé à jamais par la mort, emplit encore mes nuits. Il semblait si fragile emmailloté dans son linceul quand je l’ai déposé dans sa tombe. Le choc post traumatique était terrible et cela se ressentait même dans mon travail de mécanicien. Jusqu’à présent, F. Gningue ne m’a pas expliqué les raisons de son crime. Et même si je ne le dis pas, j’avoue que je ne suis pas sorti indemne de ce drame qui m’a marqué à vie.»

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