Le professeur Abdou Niang est le chef du Service de néphrologie de l’hôpital Dalal Jaam. Il est aussi président de la Société sénégalaise de néphrologie et de la transplantation et président de la Société africaine de néphrologie. À l’occasion de la Journée mondiale du rein célébrée ce 9 mars, il s’est entretenu avec Seneweb sur la situation de l’insuffisance rénale chronique au Sénégal.
Quel est le rôle du rein dans l’organisme ?
Le rein est un organe pair. On a en deux. Il est situé de part et d’autre de la colonne vertébrale. Il joue un rôle très important dans l’épuration de l’organisme. Les deux reins peuvent filtrer jusqu’à deux cents litres de sang en 24 heures pour en extraire les déchets. En dehors de ce rôle d’épuration plus connu, les reins ont une fonction endocrine. Ils sécrètent des substances appelées hormones et qui permettent de réguler plein de choses dans l’organisme. Par exemple, la régularisation de la pression artérielle. Il entre dans la fabrication du sang et la solidité des os comme la vitamine D qui est fabriquée par le rein.
Il faut donc noter que le rein est un véritable régulateur au milieu intérieur. C’est un organe important.
Chaque fois qu’on parle du rein, on pense à l’insuffisance rénale… Comment vous expliquez la pathologie ?
Très souvent, les gens confondent la maladie rénale de l’insuffisance rénale chronique. Il faut savoir que l’insuffisance rénale chronique est la partie ultime de la maladie rénale chronique. C’est pourquoi on dit que dans le monde, il y a 850 millions de personnes qui souffrent de maladies rénales. Toutes ces personnes courent des risques d’évoluer pour une insuffisance rénale chronique. Il se trouve que ceux qui ont une insuffisance rénale chronique et qui sont dialysés sont au-devant de la scène. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
Ils sont cependant un infime pourcentage de ceux qui souffrent de maladie rénale chronique et qui, s’ils ne sont traités précocement encourent une insuffisance rénale chronique. Il faut comprendre que l’insuffisance rénale est surnommée le ‘’tueur silencieux’’ et progresse sans symptomatologie jusqu’aux stades les plus avancés de la maladie.
Vous avez parlé de la précocité du diagnostic et la précocité de la prise en charge qui peuvent aboutir en une guérison avant qu’on en arrive à la phase chronique…
Absolument ! Et c’est tout le sens du dépistage. Il y a beaucoup de personnes qui vont faire une insuffisance rénale aiguë. L’insuffisance rénale chronique, c’est lorsque les signes persistent plus de trois mois. Cela veut dire dans les trois premiers mois, si l’on détecte la pathologie et qu’on identifie la cause, elle est traitable et curable. Donc, c’est extrêmement important de le découvrir précocement. Bien sûr, il faut une expertise, aller très vite voir un professionnel de santé, donc que le diagnostic soit fait de manière précoce et qu’on soit pris en charge très tôt, sinon on va vers le stade chronique. Parfois, il peut avoir une cause aussi mal qu’une diarrhée mal suivie.
Pourquoi donc dans la communication on ne met pas l’accès sur le diagnostic et le traitement précoces ?
C’est malheureusement parce que les malades on les voit au stade tardif. Cela parce qu’au début, la maladie n’a pas de symptômes. Il faut que la personne se lève et se dise que j’ai un facteur de risque tel que le diabète, l’hypertension ou autre chose et donc je vais faire un bilan de mes reins. Ce n’est pas une habitude de nos populations. Ce qui fait qu’on va les retrouver au stade avancé et cela impressionne. Le traitement coûte cher et tout le monde en parle. On doit s’appesantir sur le diagnostic et le traitement.
Par rapport à la prise en charge, la dialyse est mise en avant. C’est quoi la dialyse, comment ça se passe au Sénégal ?
Lorsqu’on arrive au stade 5, le plus avancé d’insuffisance rénale, cela veut dire qu’on a détruit plus de 80 % des filtres qui permettent de nettoyer le sang. Cela veut dire que si la personne ne bénéficie pas de suppléance, son sang est intoxiqué et a un certain moment, c’est ça qui va l’emporter. Il faut aussi comprendre qu’avant 1960, on n’avait pas de solution pour ces malades. C’est en ce moment qu’on a commencé à utiliser la dialyse. Il y a deux types de dialyse : celle qui utilise une machine qu’on appelle hémodialyse où l’on fait passer le sang hors du corps du malade vers une machine qui enlève les déchets et lui rend le sang. Il y a une autre technique de dialyse qui permet de transfuser non pas du sang, mais du liquide dans l’abdomen. Elle consiste à aspirer les déchets et il y a un troisième type de traitement qu’on appelle la transplantation rénale. Là, on prend un rein normal d’une personne qui n’est pas malade pour le greffer sur une personne qui a perdu ses deux reins.
Par rapport à la dialyse, on parle souvent de gratuité et les malades continuent de se plaindre.
Le problème, c’est l’importance de la demande par rapport à l’insuffisance de l’offre. Pour donner une idée de la situation, aujourd’hui, au Sénégal, il y a environ 700 mille personnes qui souffrent de maladies rénales chroniques. Parmi eux, 200 mille et 400 mille ont besoin de dialyse. Nous n’avons pas la capacité de traitement pour 2 000 malades. Chaque année, 2 000 cas sont accueillis. Cela démontre aisément que la demande est très forte. L’offre est minime.
Pourtant, des pas sont franchis. Il y a 29 ans, la presse avait écrit 10 machines pour 10 millions d’habitants. Entre cette période et aujourd’hui, l’État a mis un centre de dialyse dans chaque région ; la dernière qui reste est Kédougou et elle aura bientôt son centre. En ce moment, on était à 50 malades environ. Aujourd’hui, il y a plus de 1 500 malades qui sont en traitement sur l’étendue du territoire. Dans certaines villes, il y a un, ou deux centres. Ces dernières se remplissent très rapidement. Ceux qui n’ont pas de poste font recours au privé. Pour vivre avec la dialyse dans le privé, il faut payer 130 000 F CFA par semaine au minimum ; 65 mille deux fois, voire trois par semaine et c’est hors de portée de la plupart des bourses des populations.
Est-ce que dans ce cas de figure la transplantation peut être la solution ?
Il faut que les choses soient claires. La transplantation pourrait prendre des malades qui devraient être en dialyse pour une greffe rénale. La greffe offre une meilleure qualité de vie, de survie. Mais il faut prendre en compte une partie plus faible par rapport à la dialyse. Ce qui veut dire que si on oriente la communication vers le fait que la transplantation va régler les problèmes, on risque d’avoir des problèmes. Malheureusement, tous les dialysés ne seront pas transplantables.
Donc, la véritable solution, ce n’est pas dans la transplantation, mais la prévention. Elle va diminuer le nombre de malades qui va avoir besoin de transplantation. Il faut quand même que ce message passe auprès des populations.
L’insuffisance rénale fait beaucoup de victimes. Quelle est la situation de la mortalité au Sénégal ?
Il y a deux problèmes : les malades qui sont en insuffisance rénale qui sont dialysés ont une survie importante. Au Sénégal, on voit des dialysés pendant quinze ans et dans le monde il y a 20 au plus. Le problème ne se pose pas sur ce type de population. Par contre, ceux qui ont une insuffisance rénale chronique au stade de dialyse et qui non pas accès meurent à près 90 % dans un délai de six à douze mois.
Qu’en est-il du facteur favorisant ? Est-ce que c’est lié au mode de vie, aux habitudes culinaires ?
Les maladies qui sont à l’origine de l’insuffisance rénale sont appelées le couple infernal. Il s’agit de l’hypertension artérielle et le diabète. Elles représentent plus de 60 % des causes ; 2/3 des malades qui ont le rein détruit ont eu cette situation, du fait de ces deux maladies. Ces maladies non transmissibles sont en grande partie secondaires à notre mode de vie, notre alimentation. Il s’agit de la forte consommation de sel que nous devons réduire. Les Sénégalais consomment beaucoup plus que la quantité recommandée. Seulement 6 g par jour, alors que notre consommation moyenne est autour de 20 à 30 g par jour. Il y a le sucre, du fait de notre forte consommation de riz. Il y a aussi l’huile, le tabac, l’alcool et la sédentarité. Nous avons un facteur qui nous est propre : l’utilisation des produits toxiques traditionnels. Nous avons un recourt à la médecine traditionnelle. Malheureusement, l’utilisation de ces produits expose à l’insuffisance rénale. Les bouillons ont un contenu très important en sel et déjà qu’on parle de forte consommation en sel, il faut aussi les éviter.
Quels messages pour les malades et les politiques ?
Les malades ont besoin de soutien aussi bien de la part de la population que de la part des sociétés. Il faut les soutenir dans leurs efforts pour un meilleur accès au traitement, mais surtout comprendre que ce n’est pas la maladie de l’autre et respecter les règles de la prévention pour vivre convenablement.