Dès les premières heures de la proclamation des résultats de la présidentielle de février 2019, les quatre candidats-présidents se réclamant de la mouvance de l’opposition ont collectivement dénoncé le processus électoral, l’organisation de l’élection et la victoire du Président de la République sortant. Ils ne reconnaîtront pas la victoire de l’adversaire.
Dans ce sillage du refus démocratique de la réélection du candidat de la majorité présidentielle, ces 4 candidats et des franges importantes de l’opposition ont amorcé le processus de la reconstruction de l’unité la plus large possible des contestataires du régime républicain et envisagé de mener ensemble la bataille politique.
L’initiative du président de la République réélu d’organiser le dialogue politique avec son opposition et un dialogue national ouvert à toutes les forces de la Nation sénégalaise a été accueillie différemment par les responsables des partis de l’opposition. L’opposition se fissure en deux : les partisans du dialogue avec le pouvoir et les adversaires radicaux à tout dialogue national avec un pouvoir qui a failli au respect des consensus politiques électoraux ayant conduit la vie politique démocratique au Sénégal au cours des deux dernières décennies.
Cette ligne de fracture opposant partisans et adversaires du dialogue avec le pouvoir n’a fait l’objet d’une réflexion commune des adversaires du régime. Les partisans du dialogue politique acceptent la main tendue du chef de l’État. Les adversaires du dialogue politique persistent encore à dénoncer les pratiques anti-démocratiques du pouvoir républicain. La répression des marches pacifiques, les arrestations des leaders de la société civile, l’exil du candidat-président du Pds et des Karimistes, l’emprisonnement de l’ancien maire de Dakar, seront au centre des dénonciations systématiques des radicaux de la mouvance de l’opposition. Si cette opposition radicale critique toujours les mécanismes de fonctionnement de la démocratie et la gouvernance républicaine, elle n’en reste pas moins partagée au sujet de la participation au dialogue politique.
Dans les rangs de cette mouvance radicale émerge ainsi une fraction de l’opposition qui se dit favorable à la participation au dialogue national. La réconciliation entre l’ancien Président de la République, Me Abdoulaye Wade et l’actuel Président de la République, Macky Sall et les potentielles retrouvailles des composantes libérales agitées par certains dissidents du Pds, contraignent le chef historique des libéraux sénégalais et sa direction à jouer l’apaisement politique.
Le candidat-Sonko fait partie des rares acteurs politiques à décliner toute participation au dialogue. Le Pds ne rejette pas en soi le principe d’une participation. Le dialogue national suscite depuis quelques mois de sérieuses interrogations à la fois dans les rangs de l’opposition participationniste que ceux de l’opposition boycotteuse. La première rencontre officielle du Comité de Pilotage du dialogue national accélère le climat de la suspicion contenue jusque-là.
La cooptation de nouveaux membres par décret présidentiel est la goutte d’eau qui fait déborder le vase trop plein de non-dits politiques. Au-delà des procédures régulières, statutaires ou non de désignation de ces nouveaux participants, des critères de cooptation et des mobiles de ces nouveaux élus à la table nationale, se profile à l’horizon du dialogue, la compromission historique de l’opposition sénégalaise. Les adversaires du régime républicain semblent subir depuis le début de ce dialogue politique et le dialogue national démarrant dans la suspicion, le déroulement d’un processus qu’elle ne maîtrise point.
C’est le président de la République réélu qui mène son jeu de bout en bout. C’est son initiative politique. C’est lui qui détermine son format et les contours de ce dialogue. Ses partisans ne se trompent d’ailleurs guère quant à la suprématie de la parole présidentielle sur ce processus et sa finalité politique. C’est à peine si certains responsables du parti présidentiel et de la majorité républicaine ne disent pas ouvertement que le dialogue national et le dialogue politique sont exclusivement, l’œuvre de la générosité et de l’ouverture d’esprit démocratique du président de la République, par ailleurs, chef de parti.
Dans l’entendement commun des partisans du Président de la République en exercice, les contentieux électoraux relèvent du passé. La victoire écrasante du candidat à sa propre succession aurait tourné cette sombre page de l’image du pays. La contestation du processus électoral décrié autant que les résultats des élections ne sont plus de saison. On ne peut apparemment rien attendre des débats qui puissent remettre en cause fondamentalement les certitudes carrées des partisans acquis aux orientations du président de la République depuis son accession au pouvoir. On voit d’ailleurs mal, la majorité se soumettre au jeu démocratique des consensus politiques forts avec une opposition imaginaire alors qu’elle dispose de tous les moyens pour gouverner le Sénégal. Elle emprisonne et emprisonnera les radicaux et ceux qui sont susceptibles de perturber le jeu tel que son maître l’a défini. Il passera dans le cas extrême, outre à pertes et profits à l’instar des Conclusions de la Commission nationale réforme des Institutions.
Le Pds sent venir ce coup de poker et la compromission des adversaires du pouvoir. Les libéraux ont quitté le Front national de la résistance en se radicalisant. Me Abdoulaye Wade se prépare déjà à cette compromission de l’opposition sénégalaise. Sonko-président a probablement lui aussi compris la trame de cette histoire de la compromission de ses anciens compagnons de route. De quoi désespérer de mauvais compagnons, hélas !