La corruption n’est point un phénomène nouveau au Sénégal. Elle a probablement pris une nouvelle tournure par son ampleur politique et ses effets monstrueux sur le fonctionnement de la démocratie, de l’État de droit et de la société dans sa globalité.
Le dialogue national devrait être l’opportunité inouïe pour diagnostiquer ce mal profond destructeur, voire autodestructeur du tissu social et trouver des remèdes durables à la progression de la corruption envahissante.
L’enquête de la chaîne de télévision publique britannique aura le mérite historique d’avoir suscité un débat national au Sénégal au sujet de la gestion du pétrole et du gaz découvert à Saint-Louis et à Rufisque. Le débat est désormais national. Il interpelle les acteurs politiques, les acteurs de la société civile et des franges importantes de la population sénégalaise.
Tous ces acteurs veulent être édifiés après l’indignation d’avoir appris par une chaîne anglaise des dessous de corruption dans la gestion d’un bien public commun si prestigieux pour un pays phare de la démocratie africaine. La corruption n’est pas pour autant une nouveauté au Sénégal. Elle a rythmé la gouvernance du Président de la République, Léopold Sédar Senghor et celle du Président Abdou Diouf. Elle s’est transformée sous le règne du Président de la République Abdoulaye Wade en un cancer politique.
Les Sénégalais avaient espéré tourner cette page sombre de la corruption avec l’avènement de la seconde alternance. Tel n’est guère le cas. L’ampleur du phénomène de la corruption est certainement la nouveauté.
Elle est visible à l’œil nu. Tout acte administratif commis nécessite dans de nombreux cas un retour intéressé : financier, moral. La gratuité du service public est morte avec le règne de cet esprit mercantiliste.
La corruption politique est à la base de cette corruption et de la défaite de l’engagement politique au service de l’intérêt général, de l’État et des populations.
On entre en politique pour soi-même depuis quelques décennies. Le nombre de partis et de chef de partis cristallisent sans aucun doute ce basculement de la politique dans l’univers des affaires et de sa marchandisation définitive. Le ventre, le gain facile, l’enrichissement illicite se conjuguent et conditionnent la conduite des acteurs politiques.
La transhumance consistant à quitter son parti pour des raisons d’intérêt personnel inavouable et/ou à rejoindre les rangs de celui qui exerce le pouvoir étatique est devenue constante au cours des alternances politiques de mars 2000 et de mars 2012.
Au-delà du discrédit de l’engagement militant et de la politique, cette pratique massive de la transhumance indique l’état comateux avancé de la corruption politique. Les élections présidentielles, les élections des législatives et des locales, sont d’ailleurs des moments de prédilection pour marchander avec les détenteurs du pouvoir et ceux qui ont les moyens financiers destinés à l’achat de consciences citoyennes.
Ces formes de corruption politique ne dérangent plus les acteurs politiques. Ils se positionnent suivant qu’ils sont au pouvoir ou dans l’opposition. Quand ils sont dans l’opposition, ils dénoncent ces pratiques nocives de la démocratie. Ils sont les premiers à faire recours à telles pratiques quand ils accèdent au pouvoir.
Le Sénégal est ainsi dans ce cercle vicieux de la corruption politique et de l’achat de conscience des responsables politiques, des recruteurs et des citoyens réduits à un statut de bétail électoral. Comment ne pas comprendre que la corruption sévissant au sein des partis politiques, de l’administration publique, de l’État et de la société ne tombe pas du ciel sénégalais ?
Ce sont ces hommes et femmes qui ne croient plus à un projet de société, aux valeurs de la démocratie et à l’engagement militant, au sens des responsabilités et de l’éthique politique, qui occupent des fonctions au cœur de l’État et de ses démembrements. La ruée vers les secteurs d’activité les plus juteux de l’économie, n’est un secret pour personne dans les rangs des acteurs politiques.
Chaque homme ou femme politique cherche à diriger des départements ministériels, des sociétés nationales où l’argent circule à souhait. Le marché public est alors dans ces conditions de banalisation de la politique de la corruption et de l’impunité, ce qui fait courir les politiciens reconvertis, à la recherche de milliards, de commissions et de prébendes.
Les gouvernants, les partis politiques et la société ont une responsabilité sociétale partagée. Tous acceptent en réalité la corruption passive ou active et ses travers tant qu’ils bénéficient du prestige et de la protection de l’État. Le privé international n’ignore rien du tout de cette pratique. Bien au contraire. Elle se sert de ces faiblesses entretenues par les politiques.
Le dialogue est peut-être une opportunité pour enfin diagnostiquer le mal national et trouver des réponses consensuelles pour défendre, protéger le bien commun et mettre l’État au service des populations. Le bien commun n’est point la propriété privée de ceux qui gouvernent.