La fin chaotique du syndicalisme révolutionnaire (Mamadou SY Albert)

Les syndicats des travailleurs ont joué durant l’époque coloniale, au cours des années 1960 et 2000, une fonction déterminante dans la défense et la protection des droits des travailleurs et dans les processus de changement de gouvernance des pouvoirs publics et de l’entreprise privée. L’avènement des alternances politiques et la mondialisation de la gouvernance économique et politique marquent depuis quelques années, la fin du syndicalisme révolutionnaire et des luttes nationales des travailleurs.

Le syndicat constitue incontestablement une arme sociale majeure des travailleurs sénégalais contre l’oppression du système colonial et la protection des intérêts matériels et moraux des employés. Les travailleurs sénégalais furent d’ailleurs parmi les travailleurs africains les plus syndiqués. Ils ont mené des batailles diverses, y compris la décolonisation du continent africain. Cette page syndicale a produit de grandes figures emblématiques du syndicalisme révolutionnaire. Pendant l’occupation coloniale, les cheminots seront au centre d’un vaste mouvement social revendicatif des travailleurs et de la libération de l’Afrique du joug colonial.

Les syndicats des enseignants, des secteurs industriels, agricoles et manufacturiers, de l’administration publique, privée et les organisations du mouvement des élèves et étudiants, prendront le relais du syndicalisme en lutte au cours des décennies post-coloniales. Les évènements de mai 1968, ceux des années 1970, sans oublier les évènements syndicaux marquant les années 1980, constituent des étapes majeures de l’évolution du syndicalisme en lutte au Sénégal.

Sous des formes très variées, les syndicats des travailleurs ont pris en charge en priorité les questions sociales, notamment, la protection, la défense des droits du travailleur, l’amélioration des conditions de travail et de vie des employés. Ce syndicalisme en lutte a favorisé l’éveil des consciences des travailleurs, la protection des droits, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs et la participation des employés à la gestion publique et privée.

L’avènement de la première alternance politique en mars 2000 est inscrit dans ce processus de changement nourri par l’histoire des syndicats des travailleurs, singulièrement des syndicats des enseignants et du mouvement étudiant. Douze ans après le premier changement de régime, le visage du syndicalisme révolutionnaire hérité des époques coloniales et post-coloniales est en train de se modifier profondément. L’essoufflement des ardeurs syndicales se conjugue à  l’absence des luttes syndicales nationales.

Les syndicats semblent désormais se focaliser autour des luttes sectorielles. Ces dernières mettent en relief des revendications d’une corporation dans des  filières ou dans des secteurs d’activités socio-professionnelles. Le renoncement à la lutte syndicale nationale des travailleurs est d’ailleurs frappant dans le secteur de l’éducation. Ce secteur a toujours été sensible aux questions d’intérêt national. Il a été à la tête de nombreuses luttes sociales, démocratiques à caractère national. Cet esprit n’est plus de rigueur.

Le repli corporatiste cristallise l’ère de la fin du syndicalisme révolutionnaire ou de classes. Les explications de ce phénomène syndical grandissant mettent en relation plusieurs facteurs. La crise globale du militantisme et du syndicalisme en particulier, constitue un des facteurs significatifs de la fin du syndicalisme en  lutte pour le changement de société ou de gouvernance politique des services publics, des entreprises publiques et privées.

Quels que soient les secteurs d’activités, les syndicats des travailleurs se heurtent à une difficulté notoire, à savoir, la pléthore des organisations syndicales et des dirigeants. La seconde explication résulte des divisions syndicales. Elles sont alimentées par des querelles de leadership pour le contrôle des syndicats et la masse des travailleurs. Des pans entiers de syndicalistes ne sont motivés que par des intérêts personnels : promotion individuelle dans l’entreprise ou au sommet des institutions républicaines, l’accès au prestige et aux ressources financières.

Le syndicalisme des travailleurs a produit une élite de responsables syndicaux. Elle est coupée des travailleurs et des intérêts des employés. Ce basculement du syndicalisme révolutionnaire au syndicalisme corporatiste et personnalisé des chefs, correspond au triomphe de la mondialisation : le blocage systémique des salaires, la précarisation de l’emploi, le démantèlement des droits des travailleurs, la fin du mouvement social revendicatif et un nouveau management orienté par la performance. Les syndicats ne parviennent pas, ainsi, à trouver une réponse à la hauteur des impacts et de l’influence de la mondialisation de l’économie sur le travail salarié et l’organisation des employés.

La mondialisation a fini, au cours de ces dernières décennies, par imposer à la fois son modèle de développement économique et social de performance, son modèle syndical et ses chefs.

 

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