Pétrole, gaz, hydrocarbures, partage des ressources, investissements, multinationales, secteur privé… Tels étaient les maîtres-mots du panel organisé hier après-midi par le Club des investisseurs du Sénégal, autour de la place du secteur privé national dans la loi sur le contenu local. Cette loi est censée donner l’opportunité aux entreprises du secteur privé national de se positionner dans la chaîne de valeur pétrolière et gazière et de bénéficier de certains privilèges dans l’exploitation du pétrole et gaz face aux entreprises étrangères. Elle était au centre du panel présidé par le ministre de l’Économie, du plan et de la coopération Amadou Hott dans le cadre des jeudis du Club des investisseurs sénégalais.
La rencontre s’est tenue en présence d’une délégation du Cos Petrogaz, des ambassadeurs de la Gambie et du Rwanda, du médiateur de la République et diverses personnalités. Sans compter des têtes de gondole du secteur privé : Babacar Ngom, Youssou Ndour, Serigne Mboup du groupe Ccbm, Mbaye Guèye Emg ou encore Léna Sène, pour ne citer que ceux-là, ont pris part à ce conclave axé sur la mise en œuvre de la loi sur le contenu local dont les décrets d’application sont en phase de finalisation.
Les principaux motifs qui sous-tendent cette loi ouvrent des perspectives réelles d’implication du secteur privé à travers notamment l’instauration du principe de préférence nationale pour la fourniture de biens et services liés aux activités pétrolières et gazières et l’obligation pour les investisseurs sous-traitants d’ouvrir leur capital aux privés sénégalais. Les discussions sont toujours en cours entre l’État et diverses parties prenantes pour que les décrets d’application de la loi sur le contenu local prennent en charge les préoccupations des uns et des autres.
RÉACTIONS… RÉACTIONS…
«On risque de faire une loi totalement vidée de son sens»
«Le contenu local ce n’est pas de la morale, le contenu local ce n’est pas de la politique sociale, le contenu local c’est une politique économique et une obligation contractuelle des multinationales. Ce n’est pas de l’aumône qu’ils donnent, nous ne sommes pas non plus dans une situation de demandeurs. On doit organiser la relation économique pour que le Sénégal, qui n’a pas des sociétés suffisamment fortes pour aller explorer les gisements, puisse récupérer ce qui a été perdu à travers les contrats de sous-traitance (…) Il est absolument important que dans les décrets d’application la loi distingue juridiquement la responsabilité sociétale d’entreprise (Rse) et le contenu local qui encore une fois une obligation juridique contraignante. Les traités bilatéraux d’investissement posent aussi un problème juridique qu’il faut poser dès maintenant. La loi sur le contenu local est une loi sénégalaise qui s’applique à des multinationales. Ces multinationales qui arrivent opèrent à travers les traités bilatéraux signés entre l’État du Sénégal et leur État. Ils ne sont pas signataires mais bénéficiaires de ces traités. Or dans la hiérarchie des normes du droit international, ces traités bilatéraux d’investissement sont supérieurs à la loi sur le contenu local. Donc si on ne fait rien, demain n’importe quelle société multinationale pourra se réfugier derrière le traité bilatéral d’investissement qui lie son pays au Sénégal, des traités bilatéraux qui ne génèrent pas de contenu local, pour refuser de faire face à ses obligations. L’alternative pour le Sénégal c’est de faire l’audit des traités bilatéraux d’investissement qui nient le contenu local pour les dénoncer en temps opportun et faire en sorte que la loi sur le contenu local soit la loi qui s’applique à ces multinationales. Autrement on est en train de faire une loi totalement vidée de son sens car elle va être confrontée à des normes supérieures que sont les traités bilatéraux d’investissement»
BABACAR NGOM, PRÉSIDENT DU CLUB DES INVESTISSEURS SÉNÉGALAIS
«L’avenir du secteur privé dépend en partie de cette loi»
«La place du secteur privé dans la loi sur le contenu local est un sujet qui mérite d’être traité avec sérénité et hauteur. L’avenir de notre secteur privé dépend en partie de la consistance de la loi sur le contenu local. La configuration de notre économie doit être accompagnée par une volonté de l’État qui doit adapter ses lois et règlements aux besoins de ses contribuables. Le dispositif juridique et règlementaire est un excellent outil de promotion économique. Il est aussi un excellent instrument de la souveraineté économique. En l’occurrence, il devra être renforcé au service du secteur privé national et de la nation toute entière».
SERIGNE MBOUP, SOCIÉTÉ AFRICAINE DE RAFFINAGE
«La loi ne décline que des principes»
«La loi ne décline que des principes. La plupart des problématiques signalées sont des questions déjà prises en compte et seront déclinées dans les décrets d’application. Le gouvernement attend beaucoup du secteur privé en particulier du Club des investisseurs sénégalais qui balise de manière très large toute la chaîne de compétence. On a parlé des aspects financiers, des aspects juridiques qui sont pour moi les plus importants, mais aussi, on a pris en compte les aspects techniques. Les contributions arrivent, des mises en forme sont faites, des moutures assez élaborées existent et nous aurons, au sortir des échanges, un document consensuel prêt à être implémenté.»
AMADOU HOTT, MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DU PLAN ET DE LA COOPÉRATION
«Il faudra nécessairement une bonne préparation du secteur privé»
«L’objectif visé est d’arriver à faire des ressources pétrolières et gazières un véritable levier de diversification et de transformation structurelle de notre économie afin de renforcer sa résilience par rapport aux évolutions conjoncturelles du pétrole. Pour y arriver, il faudra nécessairement une bonne préparation du secteur privé en termes d’organisation, de renforcement de capacités et de mise à niveau afin de lui permettre de répondre à toutes les attentes pour la production de biens et de services de qualité répondant aux normes et standards requis. C’est pourquoi, le département que j’ai l’honneur de diriger, conscient des enjeux, a décidé de faire du contenu local un axe majeur de la stratégie de développement du secteur privé. Pour permettre à la loi sur le contenu local de produire tous ses effets, le Gouvernement et le Secteur Privé doivent travailler ensemble pour asseoir une feuille de route nous permettant de hisser le taux de contenu local à un niveau élevé. Les conclusions et recommandations qui en ressortiront permettront d’alimenter des réflexions pour définir une véritable stratégie de développement du contenu local impliquant, au-delà du pétrole et du gaz, tous les secteurs stratégiques.»