La  mafia au cœur de l’agriculture (Mamadou SY Albert)

L’agriculture sénégalaise reste encore soumise à l’influence d’une élite bureaucratique. Celle-ci contrôle l’administration de l’agriculture, l’accès à la terre, la distribution des semences, les outils de production et les circuits de commercialisation de nombreux produits agricoles. Une véritable “mafia” agraire a eu le temps de se constituer au sommet de l’État, au cœur des collectivités locales. L’Empire de cette mafia agraire dispose de ramifications insoupçonnées dans les milieux religieux, dans celui des affaires, de la finance du développement et dans les milieux politiques. Le monde paysan restera longtemps sous cette influence administrative et politicienne. À moins que les producteurs ne prennent leurs responsabilités historiques, en se libérant des chaînes d’une domination multiséculaire.
Les difficultés de l’agriculture sénégalaise sont quasi-identiques, au fil de l’évolution politique du Sénégal. La compagne arachidière ouverte depuis quelques jours seulement, met au- devant de la scène nationale les maux et les faiblesses chroniques de cette filière. Le prix au producteur ne satisfait point, de nouveau, ses acteurs principaux. Certains bradent la production dans les marchés quotidiens ou hebdomadaires. D’autres, mieux connectés aux circuits de commercialisation de l’arachide, vendent plus cher que le prix officiel auprès de revendeurs internationaux, de préférence chinois. Ceux qui ne peuvent écouler dans les marchés locaux et internationaux leur production attendent, la mort dans l’âme, l’ouverture souvent hypothétique de points de collecte mis en place par le circuit officiel ou parallèle des huiliers locaux et nationaux. Le drame paysan, au cœur de la vente de l’arachide? est récurrent depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. On se souvient encore des campagnes catastrophiques antérieures et de la mal gouvernance de l’Oncad de cette filière, rythmée par des scandales financiers et politiques, la mévente et le bradage à vils prix.
Ce vieux souvenir de l’époque de l’Oncad, hante encore de nos jours les esprits de franges significatives du monde rural. Il ne  s’agit plus seulement de la gestion chaotique de l’arachide, mais de toute la gestion népotique de l’agriculture sénégalaise dans sa globalité. Les semences destinées aux producteurs d’arachide, de riz local ou des autres produits agricoles, sont fortement soumises à l’influence d’une chaîne d’intermédiaires : commerçants, courtiers, agents financiers véreux du développement rural et certains prête-noms évoluant au sommet de l’État, les pouvoirs locaux de la chefferie traditionnelle et drs hiérarchies religieuses etc. Les acteurs de l’agriculture et les vrais destinataires n’accèdent que difficilement aux semences, aux outils de production agricole et aux financements publics et privés.
L’accès aux semences, aux machines, à la terre fertile dépend étroitement de ces réseaux politiciens organisés en chaîne de décisions et tapis au cœur de l’administration tiennent l’agriculture sénégalaise en otage, en aval et en amont des filières de production. Une véritable mafia agraire, politique et bureaucratique a pris le temps de se constituer, de mettre en place ses réseaux, ses ramifications et ses connections. La gangrène !
L’emprise de cette mafia agraire sur les filières agricoles, la distribution des semences, la commercialisation, l’accès à la terre et aux machines modernes devient tentaculaire. Un vrai empire que ces groupes de pression qui contrôlent ainsi  toute la chaîne des valeurs marchandes de l’agriculture. Certains acteurs politiques ont très tôt compris les enjeux politiques du contrôle de l’agriculture, des semences et des outils de production. Ils sont devenus des cultivateurs du dimanche sous des formes multiples.
Ils accèdent plus facilement que les producteurs aux intrants agricoles, aux machines et aux sources de financement du développement rural. Certains bénéficient naturellement de la complicité de cadres et de décideurs politiques placés au sommet de l’État. Ce sont ces acteurs qui installent et nourrissent les réseaux de la mafia de l’agriculture sénégalaise.
Cette mainmise des acteurs politiciens et leurs complices à l’échelle de la distribution, de l’accès au financement et aux outils de production, explique pourquoi le malaise paysan, si récurrent, trouvera difficilement des solutions durables à la hauteur des espérances du monde rural et des producteurs. Ces derniers demeurent les victimes éternelles de cette mafia dictant sa loi implacable dans tous les compartiments et les secteurs les plus rentables de l’agriculture.
Le monde paysan devrait se rendre à l’évidence. Son sort dépend désormais de ses capacités à refuser de se soumettre à la logique de marginalisation des producteurs et de s’opposer à l’exploitation des travailleurs de la terre par cette mafia et ses alliés. Les multinationales risquent d’ailleurs de transformer les producteurs en des ouvriers agricoles. Le monde rural a aujourd’hui suffisamment de ressources humaines qualifiées et d’expériences négatives de l’impact des influences politiciennes nationales et internationales, pour se prendre en charge. La dénonciation des détournements d’objectifs à des fins clientélistes, ne suffira guère, pour sortir les producteurs de ce cercle entretenu par la logique d’une élite administrative, politique et économique et sa clientèle.
C’est au monde des producteurs et ceux qui vivent réellement de la terre et de leurs labeurs, de défendre avant tout, ses intérêts et ceux de l’agriculture du Sénégal.

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