La passation du pouvoir se fait entre des “frères ennemis” intimes au Sénégal (Mamadou SY Albert)

L’Unité de la famille libérale, l’unité de la famille socialiste et les retrouvailles de la famille de la gauche révolutionnaire demeure la question centrale du processus de reconstruction du paysage politique sénégalais. Les velléités de rassembler les composantes de chacune de ces familles politiques historiques, existent.

Les divergences portent de moins en moins sur les questions politiques et/ou idéologiques. Les querelles de leadership prennent progressivement le dessus sur les orientations et les stratégies de gouvernance. Ces conflits de leadership semblent être le vecteur essentiel du blocage auquel se heurtent toutes les démarches inscrites dans la perspective des regroupements, en fonction des sensibilités identitaires communes.

Trois grandes familles politiques structurent le paysage politique sénégalais. La famille socialiste, la famille libérale et la famille de la gauche révolutionnaire. Depuis l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, ces familles sont restées les principaux acteurs de la vie politique. En dépit des deux alternances politiques survenues en mars 2000 et en mars 2012, la physionomie politique du Sénégal a très peu connu des modifications dans sa morphologie. Les changements de régime n’ont guère modifié le visage politique du Sénégal. Les changements de régime correspondent toutefois à l’irruption de l’éclatement des familles politiques libérales, socialistes et de la gauche révolutionnaire. Le Parti démocratique sénégalais a vu naître, sous ses flancs, l’Alliance pour la République actuellement au pouvoir, le Rewmi et plusieurs formations politiques de moindre importance se réclamant de la famille libérale.

Toutes ces sensibilités libérales revendiquent leur appartenance à la pensée du fondateur du libéralisme social au Sénégal, Me Abdoulaye Wade. Le Parti socialiste a lui, donné naissance, entre autres partis politiques, à l’Union pour le renouveau démocratique (Urd), l’Alliance des forces de progrès (Afp) et divers autres courants, notamment le Grand Parti et Taxawu Dakar.

La gauche révolutionnaire n’a pu, par contre, accéder au pouvoir. Certaines des sensibilités de la famille de la gauche révolutionnaire ont tantôt soutenu des pouvoirs libéraux et républicains, tantôt soutenu le pouvoir socialiste. La gauche révolutionnaire est composée essentiellement de quatre formations politiques, en l’occurrence And Jef, le Pit, la Ld et le Rnd, et de nombreux autres courants. Ces partis ont tous connu des scissions. L’unité de cette gauche révolutionnaire est probablement l’une des questions politiques les plus récurrentes dans le débat politique sénégalais, singulièrement entre les acteurs de la gauche. Diverses initiatives ont été initiées au cours de ces dernières décennies. Aucune de ces initiatives politiques unitaires n’a réellement pu réunir les responsables de ces acteurs de la gauche autour d’un projet politique pour l’unification organique et/programmatique de ces partis.

L’unité de la famille socialiste est également assez souvent évoquée depuis le départ de l’ancien maire de Dakar des rangs du Parti socialiste. L’enjeu de l’unité de la famille socialiste ne parvient pas, pour le moment, à mobiliser les acteurs de la famille socialistes dans un processus. Depuis l’arrivée au pouvoir du Président de la République en exercice, Macky Sall, la question de l’unité de la famille libérale revient fréquemment dans les espaces publics. Force est de constater l’échec de l’unité des familles politiques sénégalaises. Aucune de ces familles n’a réellement engagé un projet viable pour son unification. Les blocages résident de moins en moins dans des divergences au sujet des orientations et des stratégies de gouvernance. Les clivages politiques et idéologiques se réduisent de plus en plus.

Les querelles personnelles entre les chefs de partis et de chapelles semblent avoir pris le dessus sur l’unité organique et/programmatique indispensable. Dans le cas des libéraux, par exemple, les conflits personnels entre l’actuel chef de l’État et son ancien maître, Me Abdoulaye Wade, d’un côté, et avec son frère et ennemi intime, le président de Rewmi, de l’autre côté, témoignent de la pesanteur des conflits inter-personnels entre les trois hommes d’État porteurs du libéralisme au Sénégal. Les conflits entre les composantes de la famille socialiste ou entre les composantes de la gauche révolutionnaire obéissent à des logiques conflictuelles identiques à celles des libéraux. Les divergences de leadership deviennent fortement personnalisées. L’égo est peut-être la muraille infranchissable par les acteurs politiques.

Ces conflits compromettent, naturellement, toute possibilité de trouver des convergences susceptibles de mener à l’unité familiale. Cette réalité fait ainsi que les frères ennemis d’une même famille deviennent les ennemis mortels de celui qui exercent le pouvoir. Ce fut le cas des socialistes défaits par Me Abdoulaye Wade, un ancien militant du Parti socialiste. Ce sera évidemment le scénario de 2012 avec la défaite des libéraux par Macky Sall, un ancien membre du Parti démocratique sénégalais. L’histoire pourrait se répéter à la prochaine présidentielle de 2024, avec l’arrivée au pouvoir d’un frère ennemi libéral dans l’opposition.

C’est peut-être une manière de reconstruction politique à la sénégalaise. La passation du pouvoir se fait entre des frères ennemis intimes.

 

 

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