La Place de la Nation, un espace symbolique de la République, devient progressivement un lieu d’expression d’une aspiration profonde de nombreux citoyens sénégalais. Ils sont des militants de partis constitués. Ils sont des citoyens sans formation politique. Ils ont en commun un sentiment de révolte contre une mauvaise gestion des ressources nationales sénégalaises, et singulièrement, la gestion du pétrole et du gaz. Au-delà de ce ressenti qu’ils ont en commun, qui est du reste visible à travers les visages d’hommes et de femmes de générations différentes, des appartenances politiques hétérogènes, il y a une revendication patriotique. La revendication des manifestants à la place de la Nation est récurrente. Elle revient à toutes les manifestations. Elle revient dans les discours, dans les interventions médiatiques et dans les réseaux sociaux et culturels. Il est question de gestion des ressources nationales, de bonne gouvernance et de transparence au service du Sénégal.
Ce patriotisme en bandoulière est le cri du cœur pour ces citoyens. Il représente désormais le drapeau fédérateur brandi à l’occasion de toutes les rencontres par ces citoyens épris de paix et de justice sociale.
Évidemment, les arrestations de citoyens, libres penseurs, singulièrement de Guy Marius Sagna, un des porte-étendards de la lutte anti-impérialiste de nos jours, renforcent le ressenti patriotique de ces citoyens et leur aspiration à la souveraineté politique et économique. Ce mouvement n’est pas simplement citoyen. Il est aussi patriotique dans son essence. C’est probablement cette identité politique du mouvement social sénégalais qui est en train de se construire en marge des clivages classiques opposant le pouvoir et ses adversaires évoluant dans la mouvance de l’opposition.
Ce mouvement social et politique amorce un processus de construction citoyenne associant des citoyens libres, puisque ne faisant partie d’aucune formation politique, des acteurs de la société civile, et des acteurs politiques. C’est probablement cette diversité des identités libres acceptant de conjuguer la lutte citoyenne à la lutte patriotique et anti- impérialiste qui explique cette unité large que reflète ce mouvement social dans ses capacités de mobilisation effective.
Ce mouvement social est ainsi devenu un véritable mouvement porteur d’un message d’idées de rupture avec les échecs des alternances de 2000 et de 2012, en matière de gouvernance des ressources naturelles du Sénégal et de protection des libertés individuelles et collectives. Son mode privilégié d’expression est le consensus le plus large autour du bien commun et l’action de masse critique à la place de la Nation, ce lieu éminemment symbolique de la représentativité du peuple souverain.
La question centrale de ce mouvement social, au cœur de la controverse sur le pétrole et le gaz, du respect des libertés individuelles, réside dans sa capacité à faire aboutir cette bataille symbolique, à la fois citoyenne et patriotique, qu’il a engagée au sujet de la transparence et pour l’éclatement de la vérité dans les affaires du pétrole, du gaz ainsi que la libération des prisonniers politiques.
L’issue de cette épreuve et l’avenir de ce mouvement social dépendront sûrement des capacités des citoyens et militants engagés dans ce mouvement social à créer un rapport de force politique susceptible de faire éclater la vérité dans les accords et les conditions de l’exploitation du pétrole et du gaz par Frank Timis, les partenaires techniques et financiers du Sénégal.
La mobilisation de l’opinion publique sera sans nul doute le facteur déterminant de l’issue de cette bataille patriotique et citoyenne. Elle sera, vraisemblablement, longue, complexe et difficile à mener à son terme. C’est un véritable test citoyen et patriotique pour toutes les composantes de ce mouvement social.
La majorité présidentielle mesure les risques sociaux et politiques de la poursuite de cette lutte et les effets de la radicalisation de ce mouvement social sur les citoyens sénégalais et l’image du pays à l’étranger. Déjà, les réactions de la mouvance présidentielle ne trompent guère quant à la finalité de leur exercice de contre-attaque en règle contre les assaillants du régime. La dénonciation de la manipulation des adversaires du chef de l’État, les buts inavouables d’une recherche de l’instabilité du pays et des institutions et les tirs groupés sur les adversaires les plus radicaux, entre autres, en disent long sur leur volonté politique de mettre fin à cet épisode socialement tendu et polluant la quiétude du pouvoir étatique.
Le pouvoir pourrait naturellement mettre en place une stratégie pour contenir la poussée du mouvement, puis anéantir à néant la portée de cette lutte, les effets potentiels de la pression du mouvement social, en croissance continue, en jouant sur divers leviers. Le temps de la communication du dénigrement, de la négation des arguments du mouvement social, devra se combiner au temps long de la justice.
La justice prendra probablement tout son temps. Elle décidera, quand elle le voudra, en âme et conscience – heureuse ou malheureuse – d’enterrer sans suite ce dossier encombrant du deuxième mandat présidentiel ou d’aller jusqu’au bout de l’information judiciaire.
L’essoufflement des forces sociales de ce mouvement social, inédit depuis l’avènement de la seconde alternance en mars 2012, ou sa propension à se répandre à l’intérieur du pays et à l’étranger, sera la condition indispensable pour tourner cette page sombre du pétrole, du gaz et des libertés.