La riposte de l’expertise nationale au covid-19 (Mamadou SY Albert)

Le pouvoir politique a privilégié, au cours de l’évolution post-coloniale du Sénégal, les experts internationaux. Ils ont occupé et occupent encore une place privilégiée dans l’élaboration des stratégies de développement, des politiques publiques, dans la mise en œuvre et l’évaluation de l’action publique gouvernementale et des institutions républicaines. La crise profonde dans laquelle se meuvent le système sanitaire et tous les secteurs de l’économie nationale nourrie, par le coronavirus, correspond à un retrait brusque des experts au service des partenaires techniques et financiers mondiaux.

L’expertise nationale est désormais au cœur des stratégies de lutte contre le covid-19. Le Sénégal découvre, par l’impact multiforme de la crise, un élan patriotique de l’expertise nationale sur le covid-19, sa fonction fondamentale et sa place. Quand l’intérêt national suprême est menacé, les seules armes techniques et intellectuelles capables de construire une réponse endogène, à la hauteur des enjeux de la guerre contre un ennemi mondial si dévastateur, sont forcément l’expertise nationale, et l’élite, dans toute sa diversité professionnelle.

La controverse entre les gouvernants et des pans entiers de l’expertise nationale, singulièrement l’élite politique, a porté assez souvent, au cours de l’évolution post-coloniale du Sénégal, sur le poids énorme des techniciens et des experts des partenaires techniques et financiers, si influents sur les destinées nationales alors. Cette présence déterminante dans la déclinaison des politiques publiques explique la permanence des critiques mettant en exergue, sous des formes variées, la continuité de la domination politique et économique de l’Occident, singulièrement de l’ancienne puissance coloniale. L’exercice de la souveraineté effective reste d’ailleurs une préoccupation largement partagée par des franges significatives de l’expertise nationale.

En dépit de l’avènement des deux alternances politiques survenues en mars 2000 et en 2012, le Sénégal n’a pas réellement su ou pu mettre en œuvre des politiques nourries par son expertise, par son élite politique et économique. Les politiques publiques se suivent et se ressemblent en raison du diktat d’un modèle néolibéral sans cesse en crise, imposé par les experts des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. La crise sanitaire et économique marque apparemment un tournant politique entre le pouvoir en place et l’expertise nationale. Les techniciens sénégalais du développement, les opérateurs économiques privés nationaux et des franges importantes de l’élite intellectuelle sont désormais au centre de la stratégie de lutte contre le covid-19 – et l’après crise.

La stratégie de lutte contre la pandémie constitue, à ce titre, un moment important de la mobilisation de l’expertise nationale. Le corps médical national cristallise, depuis semaines, la contribution de l’expertise dans cette bataille. Universitaires, techniciens supérieurs de la santé, agents sanitaires sont au cœur d’un combat patriotique. Par ses résultats probants au plan médical et social, le monde médical démontre son savoir, son savoir- faire et ses capacités professionnelles à affronter un ennemi redoutable, malgré les déficits en ressources matérielles et financières.

Le Sénégal prend conscience – peut-être tardivement – de l’importance de son potentiel dans le domaine si fragile et délicat de la santé publique. Pendant que le corps médical prouve ses compétences techniques et scientifiques et son sens élevé des responsabilités sanitaires, d’autres acteurs dévoilent le potentiel sénégalais dans le domaine des sciences sociales, des sciences et techniques de la communication sociale. Tous ces acteurs exclus de la gouvernance des affaires publiques sont au chevet de la crise et de la société sénégalaise.

Le Sénégal découvre la fonction fondamentale de son expertise technique, de son élite politique et économique.

L’intérêt suprême du pays est un enjeu majeur de cette volonté commune de tous ces acteurs, plus que jamais déterminés à apporter leurs contributions dans la lutte contre le coronavirus. C’est un tournant que le pouvoir républicain devrait exploiter à sa juste valeur. Réconcilier la puissance publique avec l’expertise nationale doit être un impératif de la gouvernance de la crise et de l’après crise. Il ne s’agit point de verser dans la logique clientéliste ou des consensus politiciens sans lendemain. Il est question plutôt de trouver, les meilleures réponses pour une participation de l’expertise à l’élaboration des politiques publiques, l’évaluation de l’impact et les perspectives à court, moyen et long terme de cette pandémie. Une initiative politique dépouillée de tout calcul politicien pourrait créer les conditions historiques d’une mobilisation de l’expertise nationale autour de l’essentiel des préoccupations du Sénégal. Le pouvoir républicain pourra-t-il saisir cette opportunité pour enfin remettre le capital humain et social au cœur du développement du Sénégal et de l’Afrique ?

L’avenir édifiera quant aux capacités de la majorité présidentielle à sortir des clivages partisans qui ont contribué à l’exil de l’intelligentsia et des acteurs de la diaspora et à l’exclusion de l’expertise de la gouvernance des affaires publiques et à la désertion des intellectuels sénégalais du champ de la gouvernance des affaires publiques.

 

 

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