L’inattendu lauréat du Goncourt 2021 est un jeune auteur sénégalais coédité par deux petites maisons d’édition indépendantes.
1. Surprise
Sur le papier, le Goncourt 2021 n’avait rien pour décrocher ce Graal. Natif de Dakar (Sénégal) en 1990, Mohamed Mbougar Sarr n’appartient pas au « milieu », n’habite pas Paris, mais Beauvais (Oise) et son roman, « la Plus Secrète Mémoire des hommes », est copublié par Philippe Rey et Jimsaan – deux maisons d’édition indépendantes fort éloignées des habituels favoris du prix.
Là où le journaliste s’attend à rencontrer un tout jeune écrivain, surexcité d’avoir été reconnu, il tombe sur un vieux sage de 31 ans, sourire discret, phrasé choisi : « Il faut accueillir les choses comme elles viennent, avec joie mais lucidité. Ce qu’on appelle le succès est très relatif. Je m’inspire des stoïciens : n’agir que sur ce qui dépend de nous. Et moi, je ne peux agir que sur l’écriture. »
Pourtant, sa « Plus Secrète Mémoire des hommes », qui lui a réclamé trois ans de travail, a connu une fortune commerciale et critique inattendues. Après plusieurs réimpressions, il a déjà été diffusé à 30 000 exemplaires grâce à un vif bouche-à-oreille. « Nous avons reçu vingt-trois demandes de traductions et plusieurs coups de fil de producteurs, c’est un record pour notre maison ! », s’exclame son éditeur Philippe Rey.
Comment expliquer pareil succès ? Le récit est porté par une enquête, menée par un jeune écrivain africain sur les traces d’un autre auteur africain, le mystérieux T.C. Elimane. Ce dernier a publié en 1938 un chef-d’œuvre, « le Labyrinthe de l’inhumain », qui lui vaut le surnom de « Rimbaud nègre ». Hélas, Elimane a sombré dans le déshonneur après qu’un expert a trouvé son roman trop copié-collé sur une cascade d’auteurs classiques. Que s’est-il passé au juste et qu’est devenu l’auteur maudit ? C’est tout le nœud de l’intrigue.
Si Elimane est inventé, Mbougar Sarr s’est inspiré de la figure de Yambo Ouologuem, auteur malien récompensé par le Renaudot et accusé en 1972 d’avoir trop « emprunté » à d’autres, notamment Graham Greene. « Ouologuem est rentré au pays, humilié et n’a plus parlé. C’est un sort injuste, car il n’a plagié personne. Il s’agissait d’un jeu littéraire plein d’ironie. Mais un auteur africain a-t-il le droit de jouer avec les classiques de l’ancien colon ? »
Qu’on n’attende pas avec « la Plus Secrète Mémoire des hommes « un « roman africain » : Mbougar Sarr s’inscrit plutôt dans la lignée des grands bâtisseurs de labyrinthes narratifs, comme Jorge Luis Borges, Roberto Bolaño ou Witold Gombrowicz. L’intrigue repose ainsi sur une succession de récits enchâssés, dans divers formats (journal intime, articles de presse, mail…), à diverses périodes historiques et sur plusieurs continents. Pourtant, petit miracle : le lecteur ne s’y perd jamais !
Mbougar Sarr, fils de médecin généraliste, a passé son enfance à Diourbel, petite ville à l’ouest du Sénégal, avant d’intégrer l’établissement le plus prestigieux du pays, le Prytanée militaire de Saint-Louis. « J’ai hésité à devenir officier avant de me décider pour la littérature. Les deux vocations ont des points communs, d’abord une certaine discipline morale. En littérature, cette éthique vous fait refuser toutes les facilités et ce qui réduit un roman à un produit de consommation. »
Le jeune bachelier se paie même le luxe de dédaigner Saint-Cyr, l’école militaire française d’élite, pour intégrer une classe prépa littéraire. Il quitte le Sénégal et atterrit donc au lycée Pierre d’Ailly, à Compiègne (Oise). « Un ami de mon oncle, qui vivait en France, pensait que je ne supporterais pas l’ambiance cannibale des grandes parisiennes. Je lui en sais gré ! J’ai été très bien accueilli, je tiens à le souligner. »
Bien que vivant dans l’Oise depuis une douzaine d’années et ayant pour compagne une Française, il ne songe pas à demander la nationalité française. « Je ne suis pas en couple avec la France, plutôt en relation libre. Etre étranger est la position idéale pour toujours redécouvrir ce pays, même si ça ne simplifie pas les choses, notamment quand vous devez prendre l’avion ! » Il caresse même le projet de retourner vivre au Sénégal.
10. Littérature africaine
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De son Goncourt, il dit : « Je ne voudrais pas qu’il surprenne. » C’est-à-dire que personne ne pense qu’il s’agit d’« une faveur » accordée à un écrivain africain. « Le Sénégal écrit le français depuis plus d’un siècle. Il est normal qu’il apparaisse dans les prix littéraires. »