Le gouvernement alimente le radicalisme social et religieux (Mamadou SY Albert)

Le Président de la République en exercice et son gouvernement communiquent mal, voire très mal. C’est le ressentiment le mieux partagé par de nombreux observateurs du paysage politique sénégalais. Les exemples d’une mauvaise communication de la majorité présidentielle, singulièrement de l’appareil de l’État, ne manquent guère. L’actualité marquée par l’augmentation du prix de l’électricité et par l’invite incessante de l’implication des chefs religieux musulmans dans la lutte contre le terrorisme. Le pouvoir joue inconsciemment avec le feu.

Les explications servies depuis quelques semaines par les responsables de la société d’électricité, les ministres et les conseillers techniques se suivent et se ressemblent par des effets quasi identiques : la radicalisation sociale des contestataires de la mesure d’augmenter le prix de l’électricité. Le pouvoir ne réussit point à convaincre la population de la pertinence et de l’équité économique sous-tendant cette décision impopulaire. Le pire est que les mécontents exigent l’audit de la gestion et l’annulation de la hausse.

Face à ce refus des consommateurs et à la mobilisation sociale grandissante dans la capitale et à l’intérieur des régions, le gouvernement ne sait plus quel argument servir à une opinion révoltée. Toute une stratégie est mise en place pour faire croire que la société d’électricité est performante et que l’augmentation du prix de l’électricité est à inscrire dans la perspective de faciliter l’accès au courant aux populations les plus déshéritées. L’échec de cette argumentation est quasi inéluctable. Le radicalisme social va se propager à l’intérieur du Sénégal. D’autres secteurs, notamment celui de l’éducation, de la santé, la boulangerie et le transport, pourraient renouer avec la contestation sociale.

Alors que la contestation sociale couve de partout, le président de la République est en train d’allumer la flamme anti-terroriste dans les familles religieuses. Le Président de la République en exercice et son gouvernement font désormais de la lutte contre le radicalisme religieux islamique une des priorités du pouvoir central. Cette volonté de faire face au radicalisme musulman se conjugue à des appels répétés aux chefs religieux musulmans. En décidant de faire participer les chefs religieux à la lutte internationale contre le terrorisme, le pouvoir républicain allume par mégarde un feu dans son propre territoire.

Le mouvement intégriste international et ses ramifications dans le Sahel et le continent pourraient naturellement faire  du Sénégal une cible privilégiée des attaques djihadistes dans les années à venir. C’est une hypothèse d’école. Tous les pays qui sont devenus des acteurs de la stratégie de lutte contre le phénomène djihadiste se sont transformés en des cibles de la terreur internationale intégriste. Le Sénégal pourrait difficilement faire une exception. Le gouvernement ouvre lui-même le feu aux forces djihadistes de la région présentes au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

Pendant ce temps, il n’est un secret pour personne que le Sénégal abrite depuis des dizaines d’années des mouvements religieux pacifiques se réclamant de l’orthodoxie musulmane. Ces mouvements identitaires, intégristes à leur manière, ne cachent guère leur appartenance à la mouvance musulmane internationale revendiquant un projet de société musulman. Ils sont pour la Charia islamique.

Ces courants de pensée islamique ne sont point indifférents à la lutte la contre le terrorisme international. En dépit des divergences entre les groupes nationaux pacifiques et internationaux radicaux et violents, dans les approches militantes et les méthodes de luttes contre l’ennemi occidental et ses alliés locaux, les partisans du djihad islamique ont quelque chose en commun. Ce sont des militants de l’Islam mondialisé. Ils ont l’ambition partagée de faire de l’Islam une doctrine de référence dans la conduite des affaires publiques. Ils ont un projet de société globale.

Certains des acteurs de ce mouvement islamique présent au Sénégal sont très proches de la mouvance intégriste musulmane internationale. Dans ce contexte forment marqué par l’échec de la lutte anti-terroriste à l’échelle de la planète, particulièrement dans l’espace géostratégique sénégalais, l’invite aux chefs religieux à prendre une part idéologique dans cette stratégie de l’État ouvre des risques de conflits.

Associer les Confréries religieuses musulmanes nationales à cette lutte contre un ennemi international est un couteau à double tranchant. Les guides religieux pourraient être des cibles de la critique incendiaire des intégristes internationaux et ceux établis en terre sénégalaise.

La controverse doctrinaire entre les intégristes radicaux sénégalais et les confréries, d’un côté et le pouvoir républicain, de l’autre, n’est certes pas une nouveauté. Par contre, le pacte entre l’État laïc et les guides religieux va alimenter davantage des divergences religieuses et politiques, et peut-être, le pouvoir va  provoquer inconsciemment des tensions inattendues entre les confréries et ces groupes musulmans nationaux et internationaux. En voulant faire des chefs religieux musulmans et catholiques des alliés dans la lutte contre le terrorisme international, le gouvernement ouvre à terme des espaces d’expression au radicalisme religieux et social.

 

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