Le dialogue politique et le dialogue national devraient être un moment de réflexion sur les problèmes majeurs du Sénégal et de propositions de sortie du cycle conflictuel entre le pouvoir et son opposition au sujet de la loi sur le parrainage, l’organisation des élections et le calendrier électoral au cours du second mandat présidentiel. Pendant que les citoyens attendent les résultats de ces échanges, les difficultés du pays assaillent de toute part les populations : inondations, insécurité routière, les effets de l’hivernage tardif dans le monde rural et bientôt, les questions du système éducatif et du pouvoir d’achat des travailleurs et la gouvernance des ressources naturelles.
Le pouvoir et son opposition choisie, jouent une partie de dupes avec les attentes sociales, économiques et culturelles des populations et la gouvernance des affaires publiques. L’idée de lancer un dialogue politique et un dialogue national entre ceux qui gouvernent et ceux qui ont choisi de rester dans l’opposition à la majorité présidentielle est en soi une initiative politique susceptible de créer les conditions de l’organisation d’échanges au sujet de l’état des questions faisant l’objet de divergences fortes entre les acteurs politiques. Le passage d’une bonne intention à sa réalisation a au moins une exigence éthique : la sincérité et la détermination des acteurs à trouver des accords et la volonté commune de mettre en œuvre les décisions prises. Le lancement du dialogue politique en mai dernier participe certainement de la volonté du Président de la République, Macky Sall, réélu en février 2019, de franchir un pas décisif dans la recherche de consensus politiques nationaux post-électoraux forts.
Des franges de l’opposition ont accepté de répondre à l’invite du chef de l’État. Le dialogue politique amorcé consolide ainsi les expériences du Sénégal en matière de concertation et de recherche de solutions aux questions préoccupantes de l’heure. Paradoxalement, ce dialogue politique en cours alimente plus de questions que d’espoir de réponses aux grandes questions auxquelles la classe politique est confrontée depuis l’avènement de la seconde alternance. Le statut de l’opposition, l’organisation libre et transparente des élections par une structure indépendante, la séparation effective des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l’indépendance de la justice, l’exercice effectif des libertés publiques et individuelles, se conjuguent à la controverse la plus récente provoquée par la loi du parrainage.
Les problèmes à traiter ne manquent point aux acteurs du dialogue politique et du dialogue national.
Excepté le report des élections locales pour une date inconnue, aucune décision politique n’est faite en ce qui concerne un accord probable portant sur les véritables divergences récurrentes au centre du paysage politique. L’omerta est entretenue pour le moment. Ce qui semble par contre se dessiner, laisse entrevoir entre les lignes de ce dialogue, une manœuvre politicienne d’un ancien âge politique démocratique. L’évocation d’un gouvernement élargi à certains acteurs ayant participé au dialogue politique, n’est guère anodin dans le contexte de ce dialogue politique orienté, planifié et conduit à dessein dans une perspective entriste. Cette information vaut ce qu’elle vaut au Sénégal des manœuvres, des suspicions et des combinaisons politiciennes variant en fonction des aléas du climat politique.
Cette offre publique ne sera, si elle advenait dans les semaines à venir, ni plus, ni moins, qu’une volonté politique de museler une partie des adversaires du régime durant tout le second mandat. Elle sera doublée par une stratégie d’isolement des animateurs de l’opposition radicale.
Cette frange se radicalisant après la présidentielle de février 2019, n’a pas souhaité simplement cautionner le dialogue du président de la République en exercice. Le jeu de dupe est en réalité au cœur de ce dialogue quasi avorté. Le pouvoir cherche par ce dialogue, à gagner un temps de paix précieux après la présidentielle, absorber les adversaires les moins radicaux issus des flancs des libéraux du Pds et du Rewmi et former un gouvernement sous le sceau de l’unité nationale retrouvée autour du président de la République.
Pendant que ce jeu de dupe entre le pouvoir et une partie de l’opposition se mène, les Sénégalais attendent toujours des réponses sérieuses aux questions de gouvernance politique et économique. C’est probablement au sujet du traitement de ces attentes que l’on mesure cette autre facette du jeu de dupe entre le pouvoir et l’opposition. Le président de la République et son gouvernement viennent d’afficher, après un mandat de sept ans, la ferme volonté du chef de l’État de prendre en charge les questions touchant au train de vie de l’État, à l’école, à l’hécatombe routière, aux inondations et autres urgences datant de 2012. Ces problèmes sociaux, économiques et culturels persistent depuis des années. Ils ont fait l’objet de concertations, de séminaires et de recommandations souvent pertinentes qui ne demandaient que la mise œuvre effective par une volonté politique et la mobilisation de ressources techniques, humaines et financières. Ce jeu de dupe esquivant les préoccupations les plus importantes du pays plombe la trajectoire du Sénégal.