Le mode de fonctionnement informel de l’État décrié (Mamadou SY Albert)

Le mode de fonctionnement informel de l’État semble avoir pris le dessus sur le mode de fonctionnement formel. Le recrutement dans la Fonction publique, l’accès aux postes de responsabilités nationales, locales et aux marchés publics obéissent désormais plus à des critères informels qu’à des critères administratifs, techniques et professionnels formalisés. L’exécution des grands travaux publics, la mise en œuvre des politiques et la couverture des besoins territoriaux des populations dépendent également d’un marchandage électoraliste très peu soucieux d’un service public de qualité au service des collectivités locales. L’État est devenu au fil de son histoire, le premier acteur de l’informel au Sénégal.
L’expression informelle renvoie assez souvent à tout ce qui relève d’un mode de fonctionnement non formalisé à travers des lois, des règles et des pratiques institutionnalisées. Ce mode de fonctionnement informel a toutefois ses propres mécanismes internes antinomiques à ceux qualifiés de formels. Cet fonctionnement informel a son code de conduite non écrit dans les livres. C’est le cas assurément du secteur du commerce informel au Sénégal. L’activité de commerce est ouverte à tout citoyen qui le désire. L’activité de commerce n’exige à ce titre, aucun diplôme requis, aucune qualification professionnelle préalable à l’exercice du métier de commerçant. On apprend le métier par la pratique sociale. Tout ce mode de fonctionnement repose sur le socle informel : se débrouiller pour fructifier ses produits.
Dans le cas du commerce informel, le prix peut aller du simple au double suivant que le client a une idée approximative du prix réel ou non. Par contre, dans le mode de fonctionnement formel, il existe des lois, des règles et des pratiques. Le formel est par essence encadré par un environnement juridiquement formalisé. C’est le cas par exemple, de l’État, dont la mission centrale est de gérer les affaires de la Cité. La puissance publique est ainsi régie par des lois et des règles définissant son mode de fonctionnement et sa finalité. L’État est certainement l’incarnation suprême du mode formel. C’est tout le contraire de l’informel. Tout au moins sur le plan juridique et administratif. Pourtant, au regard de l’état actuel du mode dominant dans le fonctionnement de l’État de droit, il semble relativement établi que la puissance publique fonctionne plus sous le mode informel que sous le mode formel.
L’État est quasi réduit à une simple boîte d’expression administrative. Le mode de fonctionnement informel semble prendre le dessus sur le mode de fonctionnement formel dans de nombreux domaines de ses services. Le recrutement dans la Fonction publique constitue un exemple-phare, du basculement de l’État dans le fonctionnement informel. L’accès à des postes de responsabilité administrative et politique ne dépend plus d’un diplôme ou de l’expertise professionnelle. Il en est de même des promotions administratives. Tout se joue désormais sous un mode relationnel et d’influence du décideur. Les marchés publics sont eux-aussi soumis à des pratiques en rupture complète avec les pratiques classiques formelles de l’administration publique.
Le gré à gré, l’absence d’appels d’offre, la corruption ont pris une proportion sans précédent au cœur du fonctionnement de l’État et des passations de marchés publics nationaux et locaux. Le mode de fonctionnement informel affecte également les politiques publiques. Les grands travaux de l’État destinés à des terroirs sont mis en œuvre suivant les intérêts des gouvernants locaux et des majorités politiques. Que ces travaux soient des travaux routiers, des projets d’aménagement, d’urbanisation, de santé publique ou de l’éducation, ils obéissent tous ou presque avant tout à la volonté politique fortement soumise aux aléas politiciens.
L’État est de moins en moins au service des populations en souffrance chronique et des priorités lancinantes du développement du Sénégal. La puissance publique est en réalité au service d’une clientèle politique dictant ses choix propres en raison des gains électoraux attendus des investissements publics. Le pire se dessine peut-être à l’horizon. Les agents de l’État recrutés pour des raisons politiciennes, électoralistes constituent les véritables vecteurs principaux de ce mode informel du fonctionnement étatique. Ils finiront à terme par transformer la puissance publique de l’intérieur. Ce risque est déjà lisible à travers de nombreux dysfonctionnements de l’État, les carences notoires dans la gouvernance des affaires publiques et des fautes administratives dans les services publics. L’État informel est devenu au fil de son histoire un réel danger pour l’avenir du Sénégal dans un monde globalisé exigeant de la qualité des ressources humaines et des services publics et privés.

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