Le Président de la République à l’épreuve de la gestion du covid-19 (Mamadou SY Albert)

La loi d’habilitation accorde au chef de l’État l’opportunité de gouverner désormais le Sénégal par ordonnance. Les parlementaires, peu prudents dans un contexte de crise profonde, en ont voulu ainsi. La gestion du covid-19 ne sera guère une promenade de santé pour le maître du jeu de la gouvernance républicaine. Elle pourrait mettre personnellement le Président de la République, Macky Sall, à l’épreuve des exigences légitimes d’une gouvernance transparence et démocratique des affaires publiques.

Les interrogations au sujet de la gestion opaque du programme de résilience économique et sociale destiné à la lutte contre le covid-19,  la gouvernance trop centralisée de la stratégie de la lutte contre la pandémie, les conditions peu claires des passations des marchés publics, la distribution chaotique des vivres auprès des couches sociales les plus exposées à l’impact de la pandémie, la prise en charge défaillante des secteurs les plus affectés par l’impact de la crise sanitaire et économique s’enchevêtrent à des questions éminemment politiques touchant au pouvoir décisionnel énorme du président en exercice.

Ces épreuves de gouvernance en perspective, dans un contexte de crise de confiance et de suspicion se généralisant, pourraient à terme mener à la rupture du consensus politique national entre la majorité présidentielle, son chef d’orchestre et des franges significatives de l’opposition et de la société civile. La  crise sanitaire et économique n’aura alors servi à rien en termes de gouvernance recentrée sur l’humain et le bien commun de tous les Sénégalais.

Le président de la République est le seul maître à bord de la mise en œuvre des orientations qu’il a personnellement définies. L’absence d’un chef de gouvernement met subitement le Président de la République au cœur de toutes les controverses publiques et privées touchant à la mise en œuvre des mesures et procédures administratives et politiques. L’Assemblée nationale acquise à la cause du maître du jeu de la majorité présidentielle n’a pas probablement envisagé les risques propres à une telle concentration excessive du pouvoir de décision dans un contexte de crise sanitaire et économique de l’ampleur du covid-19.

Contrairement à ce que les parlementaires du Benno bokk yakaar ont dû penser, les périodes de crise d’envergure internationale exigent un contrôle rigoureux de la gouvernance administrative et financière des affaires publiques par le parlement. Les députés n’ont apparemment rien vu venir. Les acteurs de la société civile réclament déjà plus de démocratie dans la gestion du fonds consacré à la riposte. La création d’une structure ouverte à tous les acteurs nationaux et internationaux capable de superviser, de planifier tout le processus organisationnel, financier et opérationnel est un impératif démocratique légitime. La satisfaction d’une telle demande obéirait à une gestion transparente et démocratique. C’est également ce qui correspondrait réellement à l’élan de solidarité nationale et internationale et à l’esprit de l’unité nationale retrouvée contre le coronavirus.

Dans ce sillage, pour plus de démocratie, de transparence et de contrôle de l’action étatique et non étatique, de nombreux acteurs sociaux réclament du ministre en charge de la distribution des vivres destinés aux couches sociales les plus fragiles destinataires de l’aide publique, des règles claires dans les attributions des marchés publics. L’opinion publique doit savoir les critères de désignation de ces opérateurs choisis pour l’acheminement des produits de premières nécessité et les conditions de fixation des ayant-droit et  des quotas.

À défaut d’éclairer les citoyens, le pouvoir républicain crée lui-même un climat de suspicion grandissant. Le président de la République se retrouve  au centre de toutes les interrogations fusant de partout dans les rangs des épris de paix et de justice sociale. L’absence d’une participation effective des forces sociales, politiques et citoyennes à la gestion du fonds et au contrôle transparent de l’exécution des actions mises en œuvre par les ministères de tutelle explique la tension persistante au sujet des zones d’ombre de la stratégie de lutte contre le coronavirus et des actions de solidarité. Ce déficit de transparence peut conduire naturellement à une rupture de confiance entre le président de la République et son opposition et la société civile, d’un côté et de l’autre, la montée en puissance de la révolte populaire des couches sociales les plus affectées par l’impact de la crise.

Le président de la République sera sans nul doute à l’épreuve des critiques des acteurs économiques les plus touchés par les conséquences des mesures étatiques ralentissant gravement le fonctionnement de la production nationale, singulièrement du secteur informel. Ce dernier secteur n’est pas suffisamment pris en compte par le Programme de résilience économique et sociale. Ils sont des millions de travailleurs de l’économie solidaire confinés de force à la maison et laissés en rade par la politique de soutien financier et non financier aux entrepreneurs nationaux. Ils sont pourtant au cœur de la création des emplois, de la richesse nationale et de la vie sociale. Cette crise de confiance des acteurs politiques, de la société civile et des opérateurs privés de l’informel pourrait  anéantir tous les efforts louables consentis depuis quelques semaines par les Sénégalais. La rupture du consensus national ouvrira alors la page éternelle des adversités entre le pouvoir trop concentré et son opposition exclue de la gouvernance.

 

 

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