Le gouvernement sénégalais a souvent choisi, après des accords dûment signés entre les partenaires que sont l’État, le patronat et les syndicats, de laisser pourrir les mouvements sociaux des travailleurs, singulièrement dans les milieux scolaires et universitaires, avant qu’ils ne se terminent dans l’essoufflement et l’échec quasi inéluctable. Cette attitude semble se dessiner à l’horizon de l’année en cours au moment où le mouvement social monte en puissance dans les rangs des organisations des travailleurs décidés à faire pression sur le Président de la République en exercice, Macky Sall, et sa majorité.
Tous les accords ayant des incidences financières sont mis dans les tiroirs du gouvernement. Laisser pourrir constitue toutefois un risque énorme pour le gouvernement dès qu’il franchit son seuil critique. Cette méthode de gestion a secrété dans le passé, le discrédit gouvernemental, les remaniements ministériels et la chute du pouvoir. Laisser pourrir la situation dans laquelle se meuvent actuellement les organisations syndicales des travailleurs, singulièrement, des enseignants, n’a donc jamais profité à aucun pouvoir.
Cette tendance est fortement ressentie dans la chair des négociateurs syndicalistes réclamant la mise en œuvre effective des accords. Certains syndicalistes ne comprennent plus le jeu gouvernemental. Ils sont perdus entre les promesses jamais tenues et le laisser-pourrir conscient, mené de main de maître par les autorités administratives et politiques.
Les lenteurs des procédures administratives intriguent à cet effet plus d’un enseignant en attente de recasement, de rétablissement de droits administratifs légitimes et du respect des engagements financiers des pouvoirs publics. Les responsables syndicaux ne savent plus eux-mêmes quoi faire face au refus de l’autorité politique de mettre en œuvre des décisions consensuelles. La grève est une arme à double tranchant que le mouvement syndical enseignant brandit. La grève seule pourrait peut-être faire bouger le gouvernement de son jeu. Elle peut toutefois provoquer le désaveu de l’opinion publique.
Il faut savoir utiliser le mouvement de grève, cette arme légale au bon moment. Les syndicats se préparent, à ce titre depuis la rentrée, à cette bataille qui pourrait être très longue après les alertes, les débrayages, les grèves perlées. Le jeu du pouvoir face à cette menace syndicale consiste à actionner le levier classique des efforts consentis en matière de traitement du corps enseignant et l’engagement à respecter les engagements en tenant compte de l’état réel des finances publiques. C’est le cheval de baille de l’État.
Le gouvernement a choisi entre les lignes de son louvoiement de laisser pourrir la situation entre les mains des syndicalistes. Ce choix gouvernemental participe d’une méthode de gestion des mouvements sociaux très connue du reste des syndicalistes sénégalais. Tous les régimes ont usé et même abusé de ce subterfuge à chaque fois que les revendications des travailleurs sont susceptibles d’affecter de manière significative les dépenses publiques. Le régime socialiste des années 1980 a été très fortement secoué par les mouvements sociaux. Il utilisera la carotte avec les États Généraux de l’Éducation, le bâton et les promesses jamais suivies d’actes. Le régime libéral avait lui aussi fini par choisir cette option du laisser-pourrir et la confrontation. La présidentielle de 2012 s’est déroulée d’ailleurs dans un contexte de crise de confiance entre le gouvernement et les syndicats des enseignants, singulièrement avec les enseignants du supérieur.
Les libéraux mettront naturellement en exergue les sommes englouties dans le secteur éducatif : près de 40% du budget national. Cet argument massif ne résistera pas à la grève totale dans les universités publiques sénégalaises. C’est à la demande du candidat – président, Macky Sall, que les enseignants du supérieur regagneront les amphithéâtres au deuxième tour de la présidentielle qui le portera au pouvoir suprême. L’année a été sauvée de justesse. L’arrivée de ce dernier au pouvoir, ne semble guère correspondre à un pas qualitatif dans le respect des engagements financiers gouvernementaux. Le laisser-pourrir renaît sous le régime républicain. La reconduction du Président de la République, Macky Sall, en février 2019, n’est point étrangère à ce choix de gestion par le laisser-pourrir les conflits syndicaux ayant des incidences financières.
Jamais, la montée en puissance des syndicats en posture de grève totale n’a été aussi puissante sous le règne du président de la République en exercice. Le mouvement social se réchauffe dans de nombreux secteurs d’activité économique et sociale. La fin des régimes socialistes en 2000 et des libéraux en 2012 a en commun avec celui des républicains, l’échec des accords avec les syndicats, particulièrement avec les syndicats des enseignants. Le refus de la mise en œuvre des accords a été toujours précédé par la radicalisation du mouvement social, la perte de crédibilité gouvernementale et la chute du pouvoir. Le pouvoir républicain est certainement conscient de ces liens très étroits entre la contestation sociale et syndicale dans le domaine éducatif et la perte de confiance en l’autorité administrative et politique.