Le spectre communautariste bascule à la stigmatisation (Mamadou SY Albert)

La transmission communautaire hante désormais les esprits angoissés par la pénétration rapide du covid-19 dans le tissu social et culturel national sénégalais. La peur d’une réelle Pandémie grandit dans les foyers, dans la rue et dans les espaces des lieux de travail et de commerce – plutôt ce qui en reste – depuis la mise en œuvre de l’état d’urgence et du couvre-feu. On parle de moins en moins des origines étrangères, notamment celles provenant hors des frontières poreuses du pays. Le relais communautaire prend très fortement le relais de la transmission des importateurs involontaires du virus tant banni des bancs de la société mondiale.

Ce passage dans la désignation des porteurs de l’introduction aux porteurs de l’expansion du covid-19 au Sénégal suscite de sérieuses interrogations en ce qui concerne les arrière-pensées enveloppant la caractérisation communautaire de la transmission. Le spectre communautariste constitue une sérieuse menace sociale et culturelle de l’équilibre de la société sénégalaise en raison du glissement communicationnel de la stratégie de la lutte contre la maladie se répandant dans la région dakaroise et à l’intérieur des régions. Le spectre communautaire pourrait cacher une stigmatisation importée.

Dès les premières manifestations du covid-19 au Sénégal, l’origine du virus est clairement mise en relief par le corps médical, les autorités politiques et administratives. Les voyageurs débarquant au Sénégal sont exclusivement ou presque les porteurs de la Pandémie. Certaines franges de l’opinion publique nationale finiront d’ailleurs par alimenter une spéculation raciale bien précoce. Puis, les Sénégalais se rendent compte que la piste raciale était fausse et impertinente quand les porteurs nationaux entrent en scène. Étrangers et Sénégalais sont logés à la cage de l’Humanité sous la menace d’un virus planétaire. La stratégie de lutte contre la pénétration de la Pandémie dans le territoire national alertera progressivement quant aux risques potentiels de la pénétration de la maladie à l’intérieur des frontières.

Au regard de la progression si redoutée par les experts et spécialistes dans le tissu social et culturel national sénégalais, la communication officielle bascule de l’origine étrangère du virus au relais communautaire. La menace n’est plus externe. Elle est de plus en plus interne. Ce changement de cap correspond à une communication très fortement orientée vers les communautés de base par opposant aux pays européens moins marqués par la vie communautaire. On parle depuis quelques semaines davantage de transmission communautaire que de virus transporté de l’étranger. Ce passage dans l’identification et la caractérisation des sources de la maladie et des porteurs devrait être interrogé au même titre du reste que la caractérisation antérieure de l’opinion mettant l’accent à tort sur l’étranger, la race, la nationalité, la religion et la culture des peuples. La caractérisation communautaire met en exergue l’influence de la transmission des structures sociales, mentales, culturelles, des modes de vie et des mécanismes de fonctionnement de groupes socio-culturels et économiques.

Ces communautés sont présentement les principales sources de l’expansion du covid-19. La source étrangère s’estompe. Prendre conscience de ces risques est une chose. Communautariser la maladie en est une autre. Il revient naturellement aux responsables médicaux et de l’administration publique d’informer les Sénégalais et de préparer l’opinion à ce qui se dessine à l’horizon dans les semaines à venir. Le Sénégal, c’est aussi l’imaginaire fertile de ses citoyens. La stratégie de lutte contre une maladie si ravageuse doit intégrer la dimension culturelle, sociale et psychologique des Sénégalais et les capacités de construction et propagation des fausses idées, des rumeurs et de marginalisation des populations.

L’opinion publique acquise à la rumeur pourrait stigmatiser des communautés entières en raison des appartenances communautaires : ethniques, religieuses, sociales et culturelles. Ce type de réflexe socio-culturel est de l’ordre de l’établi dans l’inconscience et de l’imaginaire collectif des peuples. L’opinion publique fabrique souvent des boucs émissaires, singulièrement pendant ces moments de crise des sociétés contemporaines. La Pandémie du covid-19 est propice à alimenter ce genre de panique et de manipulation de l’opinion publique, à dessein. La stigmatisation des étrangers d’origine française, européenne et chinoise renseigne suffisamment sur les capacités de stigmatisation et de marginalisation de la société sénégalaise. La stratégie de lutte contre la Pandémie n’est pas probablement à l’origine de la stigmatisation ou de la manipulation. Loin s’en faut ! C’est plutôt l’usage de concepts de distanciation identitaire – importé, étranger, communautaire – qui nourrit la stigmatisation, la rumeur la moins attendue. Les acteurs de la stratégie devraient mesurer les risques potentiels d’une mauvaise communication de masse.

La stratégie de lutte contre la Pandémie devrait mettre plus l’accent sur le malade, les pathologies, les mécanismes de protection collective et individuelle et les remèdes. Le patient ou la personne en danger de mort ne devrait point être réduit à son identité nationale, ethnique, religieuse. Il est avant tout un être humain avant d’être un membre d’une communauté nationale ou étrangère.

 

 

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