Après la période du seul parti-État, le continent africain entre dans une nouvelle période historique fortement marquée par la quête du troisième mandat présidentiel. Une nouvelle donne politique qu’il faudra désormais intégrer dans les processus des transitions démocratiques et des alternances.
Les enjeux politiques du troisième mandat révèlent les difficultés de l’exercice du pouvoir étatique sous l’influence de la pression du vote affectif, des pesanteurs sociales et culturelles des sociétés africaines et des intérêts de groupes privés nationaux et internationaux. L’alternance politique n’est plus l’équivalent de progrès démocratiques et du développement.
Le Parti-État constitue une marque singulière de l’expression du pouvoir étatique dans l’Afrique post-coloniale. Les dirigeants africains de l’après indépendance ont installé, de manière durable, des partis super puissants. Qu’ils soient des continuateurs de l’œuvre coloniale sous sa forme néo-colonialiste ou des partisans du panafricanisme radical ou modéré, les chefs d’État africains ont exercé le pouvoir avec des partis présidentiels forts contrôlant d’une main de maître, tout le pouvoir de décision et l’État central. Dès le début des années 1990, le vent des alternances démocratiques avait nourri l’espoir d’une fin de cycle des dictatures civile et/ou militaire, du parti unique et du Parti-État. Elles ont porté cet espoir immense des démocrates africains.
La première alternance politique sénégalaise de mars 2000 constitue un exemple significatif du passage d’un Parti-État hégémonique à un Parti-État avec ses alliés taillés sur mesure. L’ancien Président de la République, Me Abdoulaye Wade, une des figures emblématiques du panafricanisme africain et de la lutte pour la démocratie et le pluralisme intégral a quitté le pouvoir en mars 2012 sous la pression d’une forte demande sociale et d’une gouvernance démocratique très contestée par ses adversaires et l’opinion publique.
Ce paradoxe politique alimenté par les changements de régime en Afrique, n’est point spécifique au Sénégal. La Guinée Conakry du professeur Alpha Condé, une figure de l’Afrique révoltée contre les régimes anti-démocratiques, est au centre de l’actualité brûlante des peuples épris de paix et de justice sociale. On peut multiplier les échecs des alternances. Le Parti-État des pères fondateurs de l’Afrique a certes échoué politiquement dans sa gouvernance avec la fin des dictatures civiles et militaires.
Toutefois, le modèle étatique et l’organisation du parti au pouvoir, n’est point mort. Il survit sous des formes multiples. Un regard attentif des évolutions chaotiques de l’exercice du pouvoir étatique sous l’ère des alternances africaines, laisse penser que les processus de transition démocratique se heurtent à des difficultés structurelles et des mentalités ancrées dans les sociétés africaines contemporaines.
La quête du troisième mandat présidentiel focalise ce malaise africain grandissant. Les Africains pensaient avoir tourné cette page sombre du continent. En dépit des alternances démocratiques, pacifiques, l’Afrique reste plombée par le cycle permanent de l’instabilité politique institutionnelle. La mauvaise organisation des élections, les contentieux électoraux avant et après les scrutins nationaux se conjuguent à des révisions systématiques des Constitutions et la répression aveugle des adversaires. Le troisième mandat est désormais une nouvelle donne politique remettant en cause toute rupture avec les héritages des pouvoirs anti-démocratiques.
L’explication de l’irruption du spectre du troisième mandat n’est guère évidente au regard de son ampleur et ses enjeux politiques. Ce sont des présidents de la République portés au pouvoir par des forces démocratiques qui revendiquent un troisième mandat. Ils défient toute la logique de la pensée et de l’exercice du pouvoir démocratique bâtie par les alternances et des traditions démocratiques. Après la révision de la Constitution et la reconduction du président sortant, le troisième mandat resurgit et pollue toute l’atmosphère politique sénégalaise. Le président de la République en exercice est désormais au cœur de sa succession. Il devra choisir entre le départ volontaire du pouvoir ou le troisième mandat ?
Au-delà des supputations à propos d’un troisième mandat probablement anti- constitutionnel, l’évocation de cette probabilité témoigne que le Sénégal n’est point à l’abri de cette controverse au cours des années se dessinant à l’horizon. La base électorale affective du président de la République sortant en 2024, ses inconditionnels et les intérêts objectifs du parti présidentiel et des alliés peuvent faire basculer la Constitution et les convictions présidentielles vers la préservation du pouvoir.
Ce sont là des pesanteurs sociales, culturelles et politiques très peu compatibles avec le respect de la charte fondamentale et l’esprit des alternances démocratiques. Ces forces sociales électorales peuvent influencer politiquement les choix d’une fin de mandat non désirée.