Creuset de l’histoire du Sénégal, le Fuuta-Tooro est aussi une terre faite de paradoxes et d’injustices sociales conçues et développées par un groupe social « toroodo, pl. toroobe ». Le système politique toroodo, sous l’égide d’Abdul Kadeer Kan, a étouffé les aspirations de justice sociale de Ceerno Suleymaani Baal. La volonté de rassemblement de ce dernier s’est heurtée à la servitude imposée et maintenue au Fuuta-Tooro par Abdul Kadeer Kan. Si aucun système n’est parfait, ceux qui évoluent positivement sont ceux qui acceptent de se remettre en question. Or, le système toroodo, caractérisé par les pratiques mises en place par Abdul Kadeer Kan et ses proches après la mort de Suleymaani Baal perdure jusqu’à nos jours. L’administration coloniale, en instaurant des chefs de canton issus de la catégorie lettrée toroodo en arabe, a prolongé cette domination, malgré l’incompréhension de nombreux de ces chefs envers la langue française dont les descendants poursuivront l’oeuvre. Cette facilité à accéder au pouvoir et à l’argent proposé par les colons a facilité cette collaboration.
1 – De 1776 à 1778 : période courte qui correspond à une partie du vécu du sage de Boode et précurseur du mouvement toroodo (prosélyte). Cette période se traduit par le lancement de la construction des trente-trois (33) mosquées échelonnées sur presque plus de 20ans sous la direction de l’Almami (Elimaan) Abdul Kadeer Kan et la mise en œuvre de Ceerno Abdul Kariimu Daff de Seeno Paalel.
2 – De 1778 à 1807 : l’Almami Abdul Kadeer Kan a réussi à imposer son prestige en transformant le premier Etat peul du fuuta-Tooro fondé par les Deniyanké sous la direction de Koli Tennguella Bah en un Etat théocratique dans un contexte de dissensions internes, d’expéditions externes et d’invasions internes des Maures. Au plan interne, s’appuyant sur ses proches, il aurait réorganisé, hiérarchisé et classifié la société peule du Fuuta-Tooro comme suit :
- Les toroobbe (mendiants prosélytes) : vont être les seuls à accéder au savoir coranique et à diriger le pouvoir. Le prosélytisme devient ainsi une catégorie socioprofessionnelle.
- Les éleveurs (fulbe) : dont la mission est de s’occuper du bétail et non du coran et du pouvoir
- Les jawanbe : leur rôle est d’être les conseillers des toroobbe et n’ont pas à s’occuper du coran et de la religion.
- Les pêcheurs (subalbe) : leur rôle sera de s’occuper du fleuve et de ses ressources halieutiques et non de la religion et du pouvoir
- Les sebbe (sing. Ceddho, guerrier) : ils constituent l’armée et doivent assurer la sécurité
- Les awlube (sing. gawlo : rassembleur, généalogiste, ethnologue, griot) : feront l’éloge et la généalogie des gens du pouvoir que sont les torobbe et les militaires que sont les sebbe
- Les artistes et les artisans (ñeeñoe) dont leur rôle est de s’occuper des métiers artistiques
- Macube : esclaves et leurs descendants ont vocation de rester plus particulièrement au service des torobbe et des autres en général.
Cette classification contraire à la vision et au projet de Ceerno Suleymaani Bal a été inventée par l’Almami Abdul Kadeer Kan et ses proches dont l’objectif était la confiscation des savoirs coraniques, de la religion musulmane, des mosquées et des pouvoirs aussi bien temporel que spirituel. Ceerno Suleymaani Baal avait dénoncé et attiré l’attention sur la mise en place de la dévolution successorale dans la direction des mosquées et dans l’exercice du pouvoir : choisissez, le ou les plus sachants.
Ces catégories socioprofessionnelles s’acquièrent par ascendance autrement dit, elles se transmettent de mère en fille et de père en fils.
3 – De 1807 à 1883 : l’unité de l’Etat peul composé par les neuf (9) provinces du Fuuta-Tooro que sont Tulde-Dimat, Tooro, Laaw, Yirlaabe, Hebbiyaabe, Halaybe, Boossoya, Dammga et Nguenaar se fissure après la capture et l’emprisonnement de Abdul Kadeer Kan par les forces coalisées du Waalo, du Kajoor et du Jolof lors de son expédition. Chaque province désignait son dirigeant. S’installent des guerres internes ; dès lors le délitement de l’Etat peul du Fuuta-Tooro dans sa version théocratique s’accélère après la disparition de Abdul Kadeer Kan le 4 avril 1807.
Il est apparu lors de nos investigations des points de vue comparant l’arrivée au pouvoir du système toroodo et la révolution américaine avec une dose de glorification « que le Fuuta-Tooro a été en avance sur l’Amérique ». Il fallait oser ! Il y a lieu de préciser que la révolution américaine de 1776 sous la direction de Benjamin Franklin n’est pas comparable avec le régime théocratique instauré au Fuuta-Tooro par des coreligionnaires de Pire. Dans le premier cas, la bataille en Amérique ciblait les colons anglais et la naissance des Etats-Unis d’Amérique du Nord a résulté du processus de municipalisation depuis la base. Dans le second cas, des coreligionnaires de Pire ont pris le pouvoir par un coup d’Etat contre l’Etat peul du Fuuta-Tooro fondé par Koli Tenguella Bah ; c’est à cette issue que les toroobbe (appellation qui signifiait à l’origine mendiants prosélytes) ont instauré un régime théocratique qui après la disparition d’Abdul Kadeer Kan a désagrégé l’Etat peul du Fuuta-Tooro. En résumé, Benjamin Franklin a réuni et fédéré pour créer les Etats-Unis là où le système toroodo a désuni après Ceerno Suleymaani Baal et fait disloquer progressivement l’Etat peul du Fuuta-Tooro se traduisant par la collaboration avec des colonisateurs. Du côté des Etats-Unis d’Amérique du Nord on a un système libérateur (avec tout de même un grand bémol car l’esclavage et la traite des Noirs existaient encore dans ce pays) ; du côté du Fuuta-Tooro on a un système asservissant avec ses esclaves aussi et la confiscation du pouvoir. Il n’échappe à personne que le système toroodo est devenu l’interlocuteur local des colonisateurs arabo-berbères et français qui ont démoli le pluralisme normatif inhérent à nos sociétés.
L’illusion d’une révolution : le système toroodo sous le regard critique
Affirmer que le système toroodo est révolutionnaire et juste relève d’un contresens historique flagrant, particulièrement lorsqu’on l’examine sous l’angle de ceux qui en ont subi les conséquences. Loin d’être une avancée, ce régime a instauré une oppression durable, en contradiction directe avec les idéaux de Ceerno Suleymaani Baal.
Les chantres du système toroodo, souvent issus des élites et maîtrisant les outils de communication, tentent de le présenter comme une innovation sans précédent. Pourtant, comme le rappelait Albert Camus, l’intégrité intellectuelle exige de ne pas céder à la tentation de mentir et de résister à l’oppression. Le système politique toroodo, loin d’être une exception, répond à une définition classique du système politique : un ensemble d’éléments interconnectés servant un idéal particulier.
Dans le cas du Fuuta-Tooro, cet idéal a rapidement dévié vers une théocratie oppressive, fusionnant le pouvoir temporel et spirituel. Cette centralisation du pouvoir, associée à des alliances politiques opportunistes avec les esclavagistes et colonisateurs arabo-berbères et français, a plongé la région dans une ombre pesante. Les victoires militaires remportées contre les envahisseurs, loin de justifier les dérives ultérieures du régime, témoignent plutôt d’une résistance initiale qui a été trahie.
Il est essentiel de ne pas occulter les souffrances endurées par les populations sous le joug du système toroodo. En déconstruisant les mythes qui entourent ce régime, nous rendons hommage à ceux qui ont lutté pour la justice et la liberté.
Après la mort d’Abdul Kadeer Kan, les dissensions internes au système toroodo ont mis à jour les dérives autoritaires et inégalitaires qui le caractérisaient. En s’alliant aux arabo-berbères puis aux colonisateurs français, ce système a favorisé l’appropriation des terres, l’exploitation des individus et l’instauration d’une hiérarchie sociale rigide. Loin d’incarner un idéal d’égalité et de justice, le toroodo a contribué à la destruction du pluralisme normatif propre aux sociétés africaines.
Les pratiques des dirigeants toroodo sont en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux de l’islam, notamment en matière d’égalité, d’esclavage et de gestion des biens communs. La cruauté de ce régime est illustrée par l’expression populaire “Laamu ko ngu Abdul Kadeer jom bolonguel” (le pouvoir c’est celui d’Aboul Kadeer, l’homme au gourdin), qui témoigne de la peur et de la soumission qu’il inspirait. Malgré les défis auxquels il a dû faire face, notamment les attaques des Maures et les dissensions internes, le premier Almami du Fuuta-Tooro a réussi à imposer son autorité. Cependant, son héritage est marqué par des dérives qui ont éloigné le système toroodo de ses fondamentaux culturels et religieux.
Les sept principes ci-dessous fondateurs du Fuuta-Toro depuis les Deniyanke, censés garantir la probité et la justice, ont été progressivement oubliés au profit d’intérêts personnels et de considérations politiques. Le système toroodo, en dépit de ses origines, est devenu un instrument d’oppression et d’aliénation.
1 – Min ngujaataa (nous ne volerons et ne détournerons point)
2 – Min penataa (nous ne mentirons et ne déformerons point)
3 – Min kulataa (nous n’aurons ni peur ni crainte)
4 – Min Njanfotaako (nous ne trahirons point)
5 – Min tajata endam (nous ne renoncerons pas aux liens féconds du lignage et de la communauté)
6 – Min pirtataa aadi (nous tiendrons nos promesses et respecterons les contrats et les conventions légalement formés)
7 – Min dhawatta (on ne discriminera point, dans le domaine foncier notamment)
Le système toroodo : une déviation des idéaux fondateurs du Fuuta-Tooro
Les sept serments, fondés sur les principes de justice et de partage, incarnaient la vision d’un futur idéal pour le Fuuta-Tooro selon Suleymaani Baal. Ces principes, qui mettaient l’accent sur la collectivité et la responsabilité individuelle, étaient destinés à garantir un vivre-ensemble harmonieux et démocratique.
Cependant, le système toroodo, né de l’ambition personnelle d’Abdul Kadeer Kan, a détourné ces idéaux fondateurs. En s’alliant avec des puissances étrangères et en privilégiant ses propres intérêts, ce régime a instauré une hiérarchie sociale rigide et a bafoué les principes de justice et d’égalité. L’égalité des personnes, la démocratie, la solidarité et le vivre-ensemble paisible, autant de valeurs chères à Ceerno Suleymaani Baal, ont été progressivement érodées sous le système toroodo.
En s’appuyant sur une lecture anachronique et idéalisée de l’histoire, certains tentent de présenter le système toroodo comme une continuité de la tradition politique du Fuuta-Tooro. Or, il s’agit d’une instrumentalisation de l’histoire au service d’une vision politique particulariste. En réalité, le toroodo a rompu avec les pratiques démocratiques ancestrales, telles que les collèges électoraux (jaangordhe) sous les satigui, qui garantissaient une représentation pluraliste avec des techniques de démocratie semi-directe dans les neuf provinces.
Il est essentiel de démythifier le système toroodo et de le replacer dans son contexte historique. En le décrivant comme un système de pouvoir autoritaire et inégalitaire, nous rendons hommage aux idéaux de Ceerno Suleymaani Baal et à ceux qui ont lutté pour une société plus juste et plus équitable.
En s’obstinant à tout contrôler (la mainmise notamment sur des mosquées, des associations et des partis politiques en écartant des sachants) car se considérant supérieur à tout et à tous, notre système toroodo aux effets désastreux a organisé la faiblesse de tous.
Autocentré sur un égo surdimensionné (« moi-moi, man-man, fitaade becce e turooji Demba Jinnda ») que certains s’évertuent à autoglorifier pour faire l’éloge de supériorité et que d’autres pour de subsides dons et des services (subissant) ou se plaisant dans leur statut d’infériorisation oublient que nous formons une seule et unique humanité, que l’histoire est une œuvre commune des femmes et des hommes et que la vie n’est pas un champ de rancœurs et de nombrilisme. Chacun a une part de responsabilité dans l’existence de ce système toroodo qui est Nôtre. Ainsi, le sursaut contre ce système injuste est une œuvre à la fois individuelle et collective pour plus de justice sociale, de bien-être politique, économique et social : une meilleure manière de vivre-ensemble. Woni laamdho tan ko Allah, ko wona Allah fof ko meere (Yallah rek ay Buur, ludul Yallah du dara, te Yallay fal mooy folli).
Réfractaires à toute critique, réceptifs aux éloges, fumeux, verbeux et sans contenus, certains invoquent des légitimités passéistes et improductives, s’agrippent à un système toroodo générateur de désastres tus mais dont les dérives se murmurent entre personnes de confiance ; la filiation des réfractaires à la critique avec l’histoire est régie plus par l’affect que les résultats des travaux de recherche qu’ils s’obstinent vainement à dénigrer (xol lañu jiital bañ jiital xel) car ces travaux rompent avec la logique des éloges et celle des laudateurs qui disent ce qui plaît. Comme le rappelait François de la Rochefoucault, « Les esprits médiocres condamnent habituellement tout ce qui est hors de leur portée » et ce même si les propos sont avenants et circonstanciés.
La démarche des chercheurs s’inscrit dans une dynamique de déconstruction du champ de l’objet avec un surcroit de connaissance sans lequel, il n’y a pas de recherche. L’objectivité se démarque fondamentalement de l’affect et des faux sentiments. En cela, elle est à la fois déstabilisante, reminéralisante et s’émancipe des rancœurs et des règlements de comptes.
Le système politique toroodo a perdu ses repères annoncés avant sa prise de pouvoir en éliminant Ceerno Suleymaani Baal dès les premières années de l’exercice du pouvoir mais aussi en mettant à l’écart des coreligionnaires comme notamment Ceerno Mammadu Lamin Maabo dont El-Haj Umaar Taal ne tarissait pas d’éloges.
Le système toroodo n’est pas dans l’humanité ni dans l’humilité espérés ; il affiche un complexe de supériorité sans aucun fondement islamique : dès lors son islamité est récusable.
Les conflits du système toroodo avec l’administration coloniale avaient porté pour les redevances fluviales que devaient s’acquitter les colons et la traite des Noirs (le commerce des noirs). Le système toroodo tenait à maintenir les esclaves au Fuuta-Tooro pour en faire une main d’œuvre sur place. Des bateaux transportant des esclaves venus du Mali et d’autres contrées du Sénégal ont été arraisonnés pour servir de main d’œuvre à des familles. Des preuves ne manquent dans ce domaine. L’administration coloniale a fini par céder et signé un traité de paix se traduisant par la colonisation des terres agricoles dans le Waalo par la France le 31 décembre 1818 alors que les choix initiaux portaient sur l’Île à Morphil qu’avait refusé le Fuuta-Tooro mais qui finira par se plier. Mais, le 18 février 1820, les forces du Brakna, du Trarza et des peuls se sont coalisées contre le royaume du Waalo qui tombera le 5 mars 1820 par la prise de la capitale Ndeer mettant ainsi en échec la résistance organisée par le Brack intérimaire Yérim Mbagnick suppléant le Brack Amar Fatim absent. Le refus de l’humiliation et de la soumission poussa les dignes femmes au suicide plutôt que de se soumettre aux Maures et aux peuls du Fuuta-Tooro (cf. Archives du Sénégal IV, 16 C, Saint-Louis 24 septembre 1919).
Entre archaïsmes et instrumentalisations, notre système toroodo aux survivances rétrogrades, n’a jamais été révolutionnaire et demeure un moyen de prédation des personnes et des biens pour s’ancrer dans des politiques tortionnaires, collaborationnistes et courtisanes des colons (arabo-berbères et de l’administration française) dont il fut le pion clivant des peuls du Fuuta-Tooro (voir la stratification sociale figeant les catégories socioprofessionnelles). Le système toroodo symbolise ainsi l’injustice et la régression sociales par rapport au système peul deniyanke qui l’avait précédé. En somme, d’anciens coreligionnaires de l’école de Pire ont installé un Etat théocratique conformément au souhait des arabo-berbères musulmans que combattaient des années durant les satigui (aristocratie peule, gens du refus, insoumis) et les deniyanke pour préserver le premier Etat peul du Fuuta-Tooro qu’ils avaient fondés.
S’adressant à un monde encore étonné et curieux lors de ce qui fut son dernier l’Eïd El-Kébir il y a 1392 ans, le Prophète Mohamed (psl) avait prononcé ce qui suit :
« Ô peuple ! Ecoutez-moi attentivement, car je ne sais pas si, après-cette année-ci, je serai encore parmi vous.
Ecoutez, donc ce que je vous dis avec beaucoup d’attention et transmettez ce message à ceux qui ne pouvaient pas être parmi nous aujourd’hui.
Ô peuple ! Tout comme vous considérez ce mois, ce jour, cette cité comme sacrés, considérez aussi la vie et les biens de chaque musulman comme sacrés. Retournez à leurs légitimes propriétaires les biens qui vous ont été confiés. Ne blessez personne afin que personne ne puisse vous blesser.
Souvenez-vous qu’en vérité, vous rencontrerez votre Seigneur et qu’effectivement, il vous demandera compte de vos actes. Dieu vous a défendu de pratiquer l’usure (de prendre ou de payer l’intérêt) donc tout intérêt non-payé sera maintenant annulé. Votre capital, ce pendant vous revient. Vous n’infligerez ni n’endurerez aucune injustice ». Ce rappel qui profite aux croyants m’instruit de faire un travail d’introspection et une analyse socio-anthropologique de notre système. En la matière, il n’y a pas de tabous explicites, les données se sont avérées plus précieuses qu’elles ne l’étaient il y a quelques années. Dans un pays où presque tous sont apparentés, il est indispensable et nécessaire de privilégier notre appartenance commune qu’est notre sénégalité plus que tout. Les évocations du Prophète nous relient avec les prières de Saint-François d’Assise fondateur italien de l’ordre des Franciscains.
Dans Muslim, riyad as-salihin n°1570, il est rapporté ce qui suit concernant le Prophète swt : « …Soyez des serviteurs d’Allah et des frères comme [Allah] vous l’a ordonné. Le musulman est le frère du musulman, il ne l’opprime pas. C’est là (en désignant sa poitrine) que réside la crainte d’Allah. Le fait même qu’un musulman méprise son frère est déjà un mal. Toute la personne du musulman à l’égard de son frère est sacrée : tant sa vie que son honneur et ses biens. Allah ne regarde pas vos corps ni vos apparences, mais, il regarde vos cœurs et vos œuvres ». Cette prescription posée sur les relations interpersonnelles au Fuuta-Tooro, où les Torobbe se disent supérieurs aux autres qu’ils méprisent, exploitent et esclavagisent au besoin, éloigne cette contrée de l’islam et de la Sunna du Prophète Mohamed (psl).
« Comme aucune discipline universitaire ne mobilise la vérité » pour reprendre Rolland Barthes, il nous apparaît souhaitable et nécessaire de mobiliser et croiser d’autres disciplines notamment l’histoire, l’histoire du droit et des institutions, les sciences politiques ainsi que la socio-anthropologie du droit. En méthodologie de la recherche, l’observation participante n’est pas un travail d’approximation ; c’est un laboratoire d’idées et d’actions qui interpellent les usages, les conduites et comportements. Ainsi, en soi, n’intégrant pas l’islamité dans les conduites et comportements, le système toroodo ou l’incarnation de la collaboration et du désespoir dans des contrées du Fuuta-Tooro faites d’infortunes en baillons et parmi lesquels certains tout de même hautains se considèrent supérieurs aux autres alors qu’ils sont tous démunis comme ceux qu’ils rabaissent et humilient. Femmes et hommes de peine découragés et aux horizons sans espoir cherchent des conditions de vie meilleures stimulantes pour leur dignité et ne plus subir le système toroodo comme un pis-aller. De plus en plus, femmes et hommes de peine dans une quête incessante du semblable, refusent d’être la note d’une symphonie d’assujettissement de l’injustice. L’almamiya et le système toroodo qu’il a engendré n’ont été étudiés très souvent que sous l’angle de la glorification, de la crainte et de la peur. La peur est définie comme une réaction instinctive face à l’inconnue.
La force n’est pas l’absence de vulnérabilité mais réside dans le choix de combattre quelles qu’en soient les circonstances. Les héros ne sont pas ceux qui n’ont jamais peur. Les valeurs que défendait Ceerno Souleymaani Baal éliminé par le système toroodo sont toujours actuelles : notamment la démocratie au Fuuta-Tooro (potal) au sens large sur les plans temporel et spirituel.
Qu’on se le tienne pour dit : les faits ont contredit et bousculé les conclusions des « je sais tout, j’ai tout compris ». Du système toroodo, il convient d’en relativiser les bienfaits. Comme dirait l’autre, « Il y a quelque chose de plus haut que l’orgueil et de plus noble que la vanité, c’est la modestie. Et quelque chose de plus rare que la modestie, c’est la simplicité » et quelque chose de plus rare que la simplicité, c’est la foi en ce que Dieu a prescrit.
Nous vivons dans un monde de paradoxes et parfois d’absence de repères qui fait dire à l’essayiste Henry Millon de Montherlant ce qui suit : « Quand la bêtise gouverne, l’intelligence est un délit ».
Somme toute, notre sénégalité justifie et légitime notre parenté commune et inversement : ñiepp ay mbok lañu, waruñu wasso ; warnañu baayi sunu yommbe yemale ñepp, baayi tasteef, wax lu rafet ak luy rafetal. Yallah sunu borom nañu mussal ci ay nekiin yiy xañ diine (Yo Allah danndu en e gonaangal e gonndigal ngal yadaani e diine).
« Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité, même à ses devoirs » écrivait Rousseau
La bataille contre l’injustice sociale et l’inégalité qu’incarne le système toroodo au Fuuta-Tooro est un combat pour la liberté, la paix sociale et la dignité humaine.
« Vulnérable et entêté » comme disait Albert Camus, j’appartiens à une catégorie de citoyens au service de la vérité, de la liberté et de la justice sociale pour un vivre-ensemble paisible dans ce commun des mortels.
Que la vision et la foi du prophète Mohamed (psl) continuent d’illuminer la vie sur terre, notre vie que le système toroodo s’obstine à rendre obscure pour maintenir son pouvoir de prédation des personnes et des biens, sa mainmise sur des personnes que Dieu a créées et voulu libres depuis toujours.
Ibra Ciré Ndiaye
Docteur en droit
Anthropologue du Droit
Université Paris I
Panthéon-Sorbonne