Les luttes démocratiques et la vie politique nationale ont entretenu dans le passé des liens très étroits. Elles ont été un indicateur de mesure de la santé de la démocratie, de l’état de l’organisation et de la combativité des adversaires du pouvoir. Elles ont assez souvent été déterminantes dans le renversement des rapports de force entre le pouvoir et son opposition.
Au fil de l’histoire des changements de régimes politiques, les luttes démocratiques deviennent moins régulières. Elles ont de moins en moins de l’influence sur l’opinion publique nationale et la conduite des affaires publiques. L’essoufflement des luttes démocratiques devient de plus en plus pesant au cours de ces dernières années. L’opposition radicale devrait peut-être prendre son mal en patience.
Les radicaux des acteurs de la société civile et ceux de certaines franges de l’opposition, sont encore entre les mains de la police pour avoir protester énergétiquement contre l’augmentation récente du prix de l’électricité. Ils ont bravé, dans un passé récent, les forces de l’ordre pour exprimer ouvertement leurs ressentiments contre la conduite des affaires publiques par le Président de la République Macky Sall et sa majorité. Ils n’ont cessé de manifester sous le règne des républicains.
Les marches contre la mauvaise gouvernance des ressources nationales, singulièrement celles du pétrole et gaz, contre la gouvernance politique et économique, témoignent de l’engagement des militants et des responsables de la mouvance de la société civile et de l’opposition radicale à défendre l’intérêt général et les menaces pesant sur les libertés individuelles et collectives. Ces acteurs engagés contre l’injustice sont presque sur tous les fronts des luttes démocratiques.
Paradoxalement, ces luttes menées au nom de la justice sociale et des libertés, ne semblent pas réellement contribuer au renversement du rapport de force entre le pouvoir et la société civile d’une part, et entre le pouvoir et son opposition, d’autre part. Le pouvoir reste sourd à tous les appels des acteurs de la société civile et de son opposition radicale. L’État demeure le maître de l’initiative politique. Le Président de la République est parvenu à neutraliser les partisans des manifestations de la rue. Il a réussi également à canaliser les acteurs de l’opposition dans le cadre du dialogue politique. Le gouvernement gouverne, l’opposition dialogue avec le pouvoir.
Pendant que les acteurs de l’opposition participent aux concertations nationales, les radicaux de la société civile et de l’opposition paient les contre-coups de l’apaisement du climat social et de l’essoufflement des luttes démocratiques. Ils sont réprimés. Ils sont dans les prisons. Ils sont devant les tribunaux.
Les luttes démocratiques en prennent un sacré coup politique. Elles n’ont plus d’ailleurs le sens qu’elles avaient sous le régime socialiste. À l’époque du puissant Parti socialiste, les luttes démocratiques faisaient partie de la vie politique nationale sénégalaise. Acteurs politiques, acteurs syndicaux, de la société civile et les mouvements sociaux des étudiants et des élèves, ont été façonnés par l’esprit critique et protestataire des luttes démocratiques. Cette culture des luttes démocratiques s’est traduite périodiquement par la protestation, la contestation et la révolte sous des formes multiformes. Le changement de régime en mars 2000 sera le couronnement naturel de ces luttes démocratiques et politiques.
L’avènement de la première alternance n’a pas mis fin à cet esprit des luttes démocratiques. Elle a été marquée pendant les deux mandats présidentiels du Président de la République, Me Abdoulaye Wade, par des luttes démocratiques. Les évènements du 23 juin 2011 représentent à ce titre, un fait historique gravé dans la mémoire des acteurs de la société civile et des acteurs politiques. L’organisation des Assises de l’opposition est un autre moment politique cristallisant la continuité de l’esprit des luttes démocratiques et sociales.
La seconde alternance n’a pas connu réellement, des moments d’expression assimilables à ceux du 23 juin ou des Assises de l’opposition. Les luttes démocratiques sont devenues épisodiques sous la seconde alternance. Ce qui est probablement nouveau ou plutôt notoire, réside dans la faiblesse de l’organisation des manifestations de l’opposition et/ou de la société civile au cours de ces sept dernières années. Les adversaires politiques du pouvoir et les acteurs de la société, ne mobilisent pas pour le moment les grandes foules des grands jours. Ces acteurs influencent de moins en moins le gouvernement et le Président de la République en exercice. La majorité présidentielle est certainement consciente de l’état de cet essoufflement des luttes démocratiques, ses effets dans l’organisation et la combativité des adversaires du régime. Il use du bâton et de la carotte. C’est un moment difficile à supporter par l’opposition radicale et certaines franges de la société civile, mais ces acteurs doivent en prendre conscience. C’est le temps de l’essoufflement.
Après le beau temps du pouvoir, c’est toujours la tempête de l’opposition. Ce sont là, des moments naturels de reflux et de flux de la vie politique.