Le Sénégal indépendant a hérité un modèle de développement. Ce modèle a été pensé et construit autour de la langue française, des institutions républicaines, un mode de gouvernance de l’État et d’un jeu politique bipolaire entre la majorité et son opposition.
Cinquante neuf ans après l’indépendance acquise en avril 1960, ce modèle a produit des résultats. Au fil de l’évolution du pays, la fragilisation des fondements du modèle par la pression conjuguée d’une vision stratégique sous l’influence des intérêts de l’ancienne puissance colonisatrice, de l’ajustement structurel et de la mondialisation, le Sénégal entre dans l’ère de l’effondrement d’un modèle. Ce dernier s’est essoufflé. Il est devenu impuissant face à de nouvelles réalités politiques, sociales, culturelles et religieuses exigeant une rupture audacieuse avec les héritages et les illusions d’un nouveau Sénégal émergent quasi impossible en raison des règles du cadre des orientations de la mondialisation de l’économie et de la globalisation du marché international du commerce.
La gouvernance du Président de la République, Léopold Sédar Senghor, est la concentration la mieux exprimée du modèle de développement post-colonial au Sénégal et peut-être du continent africain. Le Président- poète a mis en place un système politique. La langue française sera un des instruments privilégiés de la construction progressive du pouvoir politique, de l’État, de la Nation et du développement. Durant ces deux décennies d’exercice du pouvoir étatique, le Président Senghor a hissé le Sénégal parmi les exemples de référence en matière de vision, d’approche et de conduite d’un État post- colonial et son modèle de développement.
L’ouverture par la francophonie et l’ancrage dans son approche culturelle des réalités sociales et religieuses seront deux leviers de l’État central, et du modèle de société du Président Senghor.
Le Président de la République, Abdou Diouf, sera l’héritier de cette expérience politique. On peut relever une certaine continuité du modèle construit par le premier Président de la République du Sénégal. Force est toutefois de constater la différence énorme entre l’époque de l’après indépendance et l’époque du Président Diouf. L’une est éminemment politique, l’autre est forcément administrative et technocratique. Les enjeux de ces deux époques sont aussi différents au regard des exigences de l’ajustement structurel. C’est probablement, l’ajustement structurel qui sera une des causes de la rupture entre la pensée et le modèle de développement du Président-poète et son dauphin.
Le «Moins d’État» redéfinissant la fonction et le rôle de la puissance publique dans le marché, la gestion de l’économie, des finances publiques et le désengagement de l’État des secteurs sociaux, culturels traduisent définitivement la fin de la gouvernance de la première République sénégalaise. L’État est affaibli. L’économie peine dans sa relance et sa croissance. Les secteurs éducatifs, sanitaires et le transport public entrent dans un processus de crise globale. Le nouveau modèle post-colonial sous l’Ajustement change profondément le visage de l’État et du modèle de développement. La performance, la croissance, le marché et le partenariat public- privé sont désormais à la mode. C’est le nouveau capitalisme ajusté.
La langue française, langue officielle du Sénégal indépendant n’a plus le même statut qu’à l’époque du Président Senghor. L’administration publique, le système éducatif, les institutions républicaines, sont fortement affectés par l’affaiblissement de cette langue de travail. Le français perd son lustre d’antan. Les réformes administratives, institutionnelles et éducatives se suivent depuis des décennies et des décennies. Les résultats administratifs, éducatifs et institutionnels affichent l’insatisfaction générale des Sénégalais. Le modèle de développement néo-libéral ne répond plus au changement indispensable de la société et de sa gouvernance. L’élite gouvernante persiste à croire que la mondialisation de l’économie et la globalisation du marché international constituent l’unique issue au modèle rudement mis à l’épreuve par des politiques publiques peu en adéquation avec les besoins et les aspirations des populations sénégalaises.
Jamais le Sénégal n’a été autant soumis à l’influence du modèle de développement néo-libéral. L’État a fini par se transformer en un courtier intermédiaire entre les opérateurs privés internationaux et les pays du Nord. Ce statut peu reluisant de la puissance étatique explique la présence massive de groupes privés internationaux au cœur de tous les secteurs porteurs de croissance : énergies, ressources naturelles, marchés publics. Le modèle étatique est à la fois impuissant au plan économique qu’en matière de réforme des institutions républicaines et de gouvernance. La séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, la prise en charge effectives des collectivités locales, du système éducatif, de la santé et du transport public, demeurent des questions sociales nationales sans réponse.
Le Nouveau Sénégal auquel aspire la République citoyenne depuis l’avènement de la première alternance politique exige certainement de l’audace politique. Rompre avec le modèle d’inspiration française et de la mondialisation et de la globalisation aveugle sera le prix à payer.