L’empire de la corruption politique (Mamadou SY Albert)

La corruption  politique est  au cœur de la gouvernance des affaires publiques et du fonctionnement de la société sénégalaise contemporaine. Elle n’épargne plus, ni les milieux religieux, ni les milieux des dignitaires traditionnels. Elle a fini par transformer la société sénégalaise en une société pourrie par la recherche effrénée de l’argent se transformant en un dieu. Les institutions de la République fortement ébranlées au cours de ces dernières décennies par des séries de scandales politiques, financiers et/ou de subordination à des intérêts privés, sont des reflets fidèles de l’ampleur sans précédent de l’empire de la corruption politique au Sénégal.

La corruption n’est point un phénomène nouveau dans la société sénégalaise. Tous les pouvoirs qui se succèdent au sommet de l’État depuis l’accession du pays à la souveraineté internationale à nos jours, ont affiché sous des formes variées, une volonté de combattre la corruption ou l’enrichissement illicite. Socialistes, libéraux et républicains ont, au moins eu en commun, cette ambition  d’éradiquer la corruption dans la gouvernance des affaires publiques. L’échec des politiques publiques en matière de lutte contre la corruption semble peut-être aujourd’hui plus manifeste.

Les rapports des organisations des Nations-Unies, des organisations non gouvernementales se suivent et aboutissent pratiquement d’une année à l’autre, à des conclusions quasi identiques : la corruption se développe dans l’administration sénégalaise. Le marché de la corruption prendrait des proportions inquiétantes dans certains secteurs administratifs, économiques et financiers. Les scandales politiques et financiers, singulièrement les détournements de deniers publics, qui ont eu cours sous les règnes du Parti socialiste, du Parti démocratique sénégalais et de l’Alliance pour la République, traduisent l’état de l’impuissance congénitale de l’État et de la gouvernance des pouvoirs publics successifs contre ce cancer de l’économie et de la gestion de l’intérêt général.

L’avortement de la lutte contre la corruption n’est guère aisé à comprendre et à expliquer, d’autant que les gouvernants brouillent les pistes. Tous souhaitent mener cette lutte au nom de la transparence et de la bonne gouvernance. Les analyses officielles des partenaires techniques, financiers et de l’État, ne facilitent la compréhension de cet échec récurrent. Les approches de cet échec se confinent à des approches administratives de la bonne gouvernance par des  mécanismes de surveillance, de contrôle et de régulation de la passation des marchés publics. Les deux partenaires que sont l’État et ses partenaires,  privilégient la mise en place de mécanismes administratifs et techniques susceptibles de garantir la passation transparente des marchés publics.

Cette approche souffre de limites sérieuses. Elle ne prend pas en compte suffisamment l’implication de hauts cadres et responsables politiques et administratifs dans la mauvaise gouvernance des affaires publiques. Ces agents de l’État au service de la majorité du moment sont au centre de nombreuses défaillances dans la passation des marchés publics, en raison de leur double fonction, administrative et politique. Le Parti-État a en réalité une grande part de responsabilité dans l’échec. Les responsables administratifs et politiques incriminés dans des affaires douteuses de passation de marchés, de détournements de deniers publics, sont des proches du pouvoir et du parti du Président de la République.

Le parti  au pouvoir secrète, par cette stratégie de contrôle de l’administration publique, la corruption à travers le placement de cadres et de responsables véreux au cœur de l’économie et de l’administration publique. Cette forme de gouvernance partisane au service d’un parti, nourrit naturellement la corruption au plus haut niveau de l’État. L’influence de cette forme de corruption se conjugue à une autre forme de corruption politique. C’est la corruption des  pouvoirs religieux, des dignitaires, des pouvoirs traditionnels et des leaders d’opinion de la société civile. Le pouvoir politique corrompt certains acteurs exerçant le pouvoir spirituel et des dignitaires traditionnels.

Ce type de corruption politique explique la compromission épisodique des guides religieux, des guides traditionnels, à l’occasion des élections, singulièrement l’élection présidentielle. La culture de subordination et de soutien inconditionnel des pouvoirs religieux et des dignitaires traditionnels à la majorité présidentielle est très ancrée dans les mentalités de ces acteurs toujours au côté de la majorité.

Ce sont des formes de corruption politique par le contrôle de la puissance publique. La corruption politique se transforme en un réel marché pour celui qui exercice le pouvoir étatique. Personne ne sait d’ailleurs combien l’État dépense pour entretenir cette corruption politique. L’omerta est la règle partagée de tous les pouvoirs.

La société sénégalaise a fini par intégrer ces formes de corruption dans les mœurs sociales et politiques. Les conséquences néfastes de ces formes de corruption politique se mesurent à la perte massive des valeurs culturelles, sociales et religieuses au profit de l’argent illicite. L’argent est désormais le dieu du Sénégalais et de son homme politique.

 

 

 

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