Les confessions de Kabirou Mbodje

Il a imprimé dans l’imaginaire de millions de Sénégalais, l’image d’un «golden boy» plein d’idées et d’initiatives, qui mettait en lumière la réalité de la possibilité de travailler et réussir au pays. Avant l’éclosion des applications électroniques de transfert d’argent, il a lancé «Wari», une «licorne» dont la réussite a été fulgurante, et qui a bouleversé les méthodes de transfert d’argent. Il a montré qu’il était possible pour des Sénégalais de posséder une compagnie de téléphonie au sein de leur pays. Et c’est, semble-t-il, à ce moment que ses ennuis ont commencé. Non seulement sa volonté de rachat de «Tigo» a fait long feu, mais sa compagnie phare a périclité. Lui-même a entamé sa descente aux enfers, attrait en Justice pour de sordides histoires de mœurs qui risquent de le poursuivre pour longtemps. Et pour ne rien arranger, ses anciens «partenaires» au sein de Wari ne semblent pas vouloir se suffire d’une décision de Justice qui les avait déboutés de leurs prétentions, et voudraient relancer la machine judiciaire. Tout cela ne freine pas les ambitions de l’homme d’affaires qui souhaite de l’Etat un encadrement qui lui permettrait, ainsi qu’à d’autres Sénégalais, de bénéficier d’un bon cadre pour investir au pays.Les Sénégalais retiennent de vous l’image d’un précurseur et d’un novateur. Vous avez créé Wari, et vous avez voulu rendre l’opérateur Tigo aux Sénégalais. Pourquoi ces deux initiatives ont-elles tourné court ?

Wari a effectivement été une entreprise novatrice dans l’offre de services financiers au grand public de par son caractère inclusif pour les banques et autres partenaires financiers de Wari. De même, nous avons permis au Sénégal de créer près de 50 000 emplois directs, ce qui est sans précédent dans ce pays. Mais certaines personnes nichées dans les institutions régulatrices ont usé de leur pouvoir pour saborder l’entreprise, afin de servir des intérêts étrangers. Concernant Tigo, c’est au sommet de l’Etat que cela s’est joué en notre défaveur, là où on devait plutôt s’attendre à un soutien régalien. Il est impossible pour une entreprise de survivre quand elle est combattue par l’Adminis­tration.

Pensez-vous, dans ces opérations, n’avoir pas assez bénéficié du soutien des pouvoirs publics, ou bien avez-vous aussi, quelque peu, manqué d’anticipation ?

Nous avons fait les choses de façon régulière et transparente. Nous avons, pour Tigo, soumissionné et gagné régulièrement un appel d’offres. L’Etat, délibérément, n’a pas joué son rôle en ne nous délivrant pas les autorisations de transfert dans les délais requis, ce qui nous a empêchés de clôturer l’achat.
Pour Wari, vous ne pouvez pas anticiper ou vous en sortir quand les régulateurs, en l’occurrence la Banque centrale et le ministère des Finances, ont décidé de vous éliminer.
Nous avions pourtant démontré le caractère d’utilité publique de Wari pour les populations et pour l’Etat, en mettant en place un véritable système d’inclusion financière et de formalisation du secteur informel de nos pays. C’est un impératif pour le développement de nos économies.

Il a été dit, à la suite de ces échecs, que vous avez migré certains de vos investissements dans d’autres pays africains. Qu’y a-t-il de vrai dans cela, et éventuellement, de quel secteur s’agit-il ?
Wari était présent dans une trentaine de pays, mais était un système intégré et fonctionnait en vase communicant. Des banques partenaires n’ont pas respecté les règles de compense du système, ce qui l’a mis à l’arrêt dans l’ensemble des pays où le service était offert.

Les banques occidentales se désengagent en Afrique, et aussi au Sénégal. On ne vous entend pas vous positionner pour une quelconque reprise ou participation. Pourquoi cela ?
Nous avions à l’époque une véritable stratégie d’acquisition de banques et d’institutions financières dans la zone Uemoa, puis Cemac et enfin africaine. Mais nous en avons été empêchés. Si aujourd’hui nous avons le soutien des pouvoirs publics, nous relancerons les choses. Les banques et institutions financières de nos pays doivent appartenir au capital national. Il y va de notre souveraineté.

Il se dit que vous avez investi dans une banque dans un pays de l’Afrique de l’Ouest. Est-ce vrai ? Pensez-vous la transférer un jour au Sénégal ?
Nous n’avons aujourd’hui plus de participation dans une banque d’Afrique francophone. Comme je l’ai indiqué plus haut, nous sommes à l’écoute des nouvelles autorités pour apporter notre concours actif au Projet. Nous en avons les capacités, l’expertise et surtout la volonté. Nous avons toujours été des patriotes et toutes nos entreprises et initiatives ont eu pour soubassement l’intérêt national. C’est ensemble que nous pouvons développer nos pays.

Que pensez-vous de l’environnement des affaires au Sénégal. Est-il propice aux investissements ?
De ce que j’entends, un tournant décisif est amorcé avec une volonté ferme des pouvoirs publics de mettre en avant l’intérêt national et les nationaux. Nous observons avec attention ce qui est en train d’être proposé pour voir comment contribuer à l’essor du pays.

En tant que Sénégalais, entrepreneur de renom, qu’est-ce qui pourrait vous motiver à investir ou réinvestir dans le pays, à une époque où le «souverainisme économique» est à la mode ?
Nous sommes toujours motivés dès lors qu’une initiative nationaliste est proposée, car il en va de la survie de nos nations. Aucun pays au monde ne s’est développé de façon exogène et nous ne serons pas une exception. Nous avons toujours milité pour la préférence nationale, qui est une nécessité absolue quand on parle de souveraineté économique. Tous les secteurs stratégiques doivent être entre les mains exclusives des nationaux. Le capital étranger doit intervenir à la marge. Pour notre part, nous nous tenons à la disposition des autorités pour apporter notre contribution afin de faire décoller enfin notre pays. C’est une obligation pour chacun d’entre nous.

Si vous n’êtes pas à la Une des journaux économiques, votre vie s’étale souvent dans les colonnes à scandales de certains jour­naux. Ce sont vos mœurs qui sont épinglées. Pouvez-vous rassurer vos compatriotes sur ces points ?

Si vous faites allusion aux fausses accusations portées contre moi et qui m’ont valu une arrestation, nous sommes malheureusement dans un nouveau monde d’antagonismes qui va à la dérive, où tout se déconstruit, se radicalise, et où il est désormais possible de détruire la vie de quelqu’un, plus précisément celle d’un homme, sur une simple accusation. Si vous êtes dans une situation sociale élevée ou si vous êtes médiatisé, alors vous êtes la proie de personnes mal intentionnées qui, si elles n’obtiennent pas de vous de l’attention ou des cadeaux, à cause du développement des réseaux sociaux et internet, vont pouvoir impunément vous nuire en portant atteinte à votre réputation et, pour mon cas, à votre liberté.

Je n’ai absolument rien à me reprocher tant au niveau de mes mœurs que de mon respect des autres et de la loi.
Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour que la vérité soit faite sur cette affaire et que ma réputation soit rétablie pour mes enfants et mes parents.
Concernant la procédure au Sénégal entre moi et d’anciens employés de Wari, reprise et faussement commentée dernièrement par des journaux locaux, c’est une affaire qui avait déjà été jugée en première instance, en appel et pour finir en cassation, et pour laquelle il y a eu trois fois non-lieu en ma faveur.
Par une opération inexpliquée, la même procédure s’est retrouvée enrôlée une nouvelle fois et je me vois condamné en première instance car n’étant pas présent au Sénégal.
J’ai confiance en la Justice de mon pays pour corriger cette étrange situation.
Actunet avec lequotidien.sn