Les institutions malades de la République qui la fragilisent (Mamadou SY Albert)

Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire constituent les institutions majeures de la République post-coloniale. Elles ont été fragilisées à coup de réformes institutionnelles obéissant plus à des logiques de fragilisation que de consolidation du pouvoir étatique. Au fil de l’évolution politique, ces institutions ont fini par tomber à terre à force d’être fragilisées. La fonction présidentielle, la fonction parlementaire et la fonction judiciaire sont aujourd’hui réduites à une expression très peu valorisante. Le crédit d’antan, le privilège et la sacralité de la fonction et le respect voué à ces institutions et aux personnalités qui incarnent ces autorités de l’État disparaissent progressivement à l’horizon du futur.

Les rapports des institutions de contrôle et de vérification du fonctionnement des organes de la puissance publique ont-ils encore un sens dans le Sénégal d’aujourd’hui ?

Cette question est certainement dans tous les esprits citoyens. La raison de ce questionnement angoissant est simple. La crédibilité des résultats des enquêtes qui se suivent est fortement remise en cause depuis des années. La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) est sans nul doute, l’institution la plus décriée par les acteurs politiques, par les acteurs de la société civile et des pans entiers de l’opinion publique nationale. Elle est apparue désormais au titre d’une institution plutôt une machine politique et administrative au service du pouvoir étatique et de la majorité gouvernante. On règle des comptes politiciens par cette structure.

L’Inspection générale d’État est sous les feux de l’actualité. Son rapport de 2016 est désormais l’objet d’une remise en cause grave au plus haut sommet de l’État, singulièrement à la Présidence de la République. Une première dans les annales de l’histoire des inspecteurs généraux. Les derniers rapports de la Cour des comptes suscitent une très forte controverse publique au sujet des suites à donner après la publication officielle des contenus par ses responsables.

Pendant que certaines juridictions et des corps de contrôle et de vérification, animées pourtant par de hauts cadres de l’administration et des experts incorruptibles font l’objet de critiques acerbes, au regard de la mainmise du pouvoir exécutif sur ces institutions, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ne se portent guère mieux. Jamais les Sénégalais n’ont autant douté de la fonction de président de la République, de président de l’Assemblée nationale ou président des Juridictions judiciaires. Le chef de l ’État, la plus haute fonction de la République, est devenu un partisan prisonnier des clivages politiques et des intérêts de groupes exerçant le pouvoir. Le parlementaire s’est muté de représentant du peuple à un vulgaire alimentaire politicien au service du président de la République.

L’Assemblée nationale est aux ordres du président de la République en exercice. Quant aux juridictions, leur image est la pire des images des institutions dans une République. La Justice a perdu son rang et sa classe. Évidemment, l’explication de cette fragilisation des institutions de la République ne tombe du ciel. La perte de crédibilité et du sens républicain résulte d’un long processus de réformes guidés plus par des calculs que la recherche d’une avancée démocratique. La dernière en date est la suppression du poste de Premier ministre. Ce choix personnel du président de la République en exercice, met présentement tout le système étatique au service d’un homme, le chef de l’État.

L’avenir des rapports des corps de contrôle dépend étroitement du tout-puissant président de la République. Le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Pouvoir judiciaire dépendent également de cette forte personnalité au cœur du fonctionnement de l’État central. Mettre en prison un opposant, un contestataire en prison est devenu si facile et fréquent, que l’on peut se demander si le Sénégal n’est pas en train de connaître une dérive institutionnelle. Les fonctions de président de la République, de président de l’Assemblée nationale ont ainsi fini par perdre le crédit, la sacralité institutionnelle. La République est devenue banale.

L’espoir de sortir de ce cycle infernal de fragilisation des institutions est peut-être permis avec les futures conclusions du dialogue national et le dialogue politique en cours. Les acteurs devront avant tout prendre conscience de la gravité de l’état de dégradation de l’image des institutions de la République. Qu’ils aient le courage et l’audace de prendre la responsabilité historique de tourner cette page de fragilisation de l’État et de l’exercice du pouvoir étatique, trop soumis au bon vouloir d’un seul chef, maître à bord de la République ! C’est un préalable indispensable à la rupture avec les héritages encombrants de la manie des réformes fragilisant la démocratie, ses institutions et les fonctions majeures des autorités politiques et administratives.

Rien n’est évident dans cette direction de l’histoire. Le président de la République pourra difficilement accepter orientation de rupture qu’il a évacuée depuis son accession au pouvoir en mars 2012. À moins que le rapport de force entre le pouvoir et les forces vives de la nation participant au dialogue ne bascule en faveur d’une République citoyenne plus ouverte à la critique constructive, au renforcement des institutions indépendantes et du contre-pouvoir.

 

 

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