Les mutations idéologiques de la gauche sénégalaise (Mamadou SY Albert)

La gauche sénégalaise a porté ses marques idéologiques et politiques avant l’indépendance et après les deux à trois premières décennies post-indépendance. En dépit des diversités des appartenances organisationnelles, les hommes et femmes de gauche se reconnaissaient entre eux par le discours, par la pratique sociale et par l’aspiration à un idéal commun en faveur d’un changement de société.

Être de gauche aujourd’hui, ne semble plus obéir à la logique des marqueurs des identités et de la confrontation traditionnelle entre deux camps : celui de la gauche contestataire et des adversaires au pouvoir. Être de gauche n’est plus simplement une évidence idéologique. Encore moins un signe distinctif dans un contexte fortement influencé par l’essoufflement des ambitions des organisations politiques se réclamant naguère de la gauche.

Le Parti africain pour l’indépendance (Pai) constitue la première formation de gauche au Sénégal. Il a porté le projet fondateur de la gauche avant et après l’indépendance du Sénégal en avril 1960. Les luttes politiques, syndicales et sociales, au cours du processus de décolonisation du continent africain et du Sénégal, auront été fortement marquées par l’empreinte de cette formation révolutionnaire inscrivant son combat dans la quête de la souveraineté politique et économique de l’Afrique et la construction du socialisme.

Le Pai a semé la graine idéologique de la gauche révolutionnaire. Cette graine a poussé dans le(s) campus universitaire(s), dans les espaces scolaires et dans le monde du travail. Puis, après l’interdiction du Pai, en 1963, et les effets néfastes de la répression sanglante du régime socialiste sur ce parti, ses militants, de nombreuses familles de responsables et militants de la première génération de révolutionnaires, ce sera l’heure de l’irruption de groupes idéologiques et politiques poursuivant la lutte de l’indépendance. Ces groupes et obédiences de gauche se réclament tous de la gauche révolutionnaire, en dépit de la diversité des sensibilités idéologiques et politiques.

Être de gauche, pour les fondateurs et les continuateurs du projet révolutionnaire, c’est appartenir à la mouvance identitaire de tous ceux qui luttent pour l’achèvement du  changement de société, nourri par les fondateurs du Parti africain de l’indépendance. Tout au long des années 70 jusqu’au début des années 80, être de gauche signifiera avant tout être dans l’opposition plurielle au pouvoir socialiste. Le multipartisme intégral offrira plus tard à la gauche, l’opportunité de sortir de la clandestinité étouffante et des formes de luttes semi- clandestines. Dès le début de ce nouveau processus de l’ouverture démocratique et de légalisation progressive de l’action clandestine de la mouvance de gauche, la nature identitaire de la gauche se modifie en profondeur. Le discours politique perd progressivement sa dimension idéologique et doctrinaire. On se réclamera moins des étendards : “Marxiste”, “Léniniste”, “Maoïste”, “Trotskiste”.

On assiste plutôt à un glissement sémantique du discours de gauche, et une baisse de régime du plan idéologique des militants de la gauche. La crise de l’idéologie prolétarienne marxisante, la défaite du socialisme scientifique en Urss et en Chine, sans oublier du reste, l’impasse politique des pays africains revendiquant le socialisme à l’africaine, ont pesé sur le repositionnement  idéologique de ces responsables et militants de partis de gauche.

Être de gauche se cristallise désormais dans la bataille en faveur de l’alternance démocratique. Le rapport de forces politiques, syndicales et sociales entre la gauche révolutionnaire, perdant à la fois son identité idéologique et politique, et le pouvoir socialiste, contraint de conjuguer avec forte la pression du Parti démocratique sénégalais à l’assaut de l’unité de l’opposition pour la conquête démocratique du pouvoir, a naturellement fait des partis de gauche des alliés naturels du leader des libéraux. La première alternance politique survenue en mars 2000 porte très fortement, une empreinte de l’influence de la gauche révolutionnaire.

Être de gauche va se traduire, sous le prisme de l’alternance, par la participation à l’exercice du pouvoir. Ce cycle de la participation de la gauche à la gouvernance se poursuit présentement sous la seconde alternance de mars 2012. Cette nouvelle forme d’être de gauche touche toutefois à certaines limites. Les  responsables et leaders politiques de la nouvelle gauche mettent de plus en plus l’accent sur la double faillite de la gauche sous l’alternance politique au Sénégal. La gauche aura servi, au mieux, d’escalier social et politique aux libéraux et aux républicains pour la conquête et l’accession au pouvoir en 2000 et 2012. La gauche ainsi devenue prisonnière du pouvoir étatique et de l’hégémonie libérale et/ou républicaine, contribuant malgré elle – paradoxalement ! – moins au  changement de la société.

Être de gauche aujourd’hui, se joue alors naturellement entre la volonté de faire partie des souteneurs des alternances libéralo-républicaines ou le choix  complexe de reconstruire une alternative plus citoyenne à gauche. La nouvelle frontière si situe désormais entre la gauche des alliés des républicains et/ou des libéraux et la gauche révolutionnaire citoyenne, aspirant à exercer pleinement le pouvoir, à l’instar des aspirations légitimes des militants fondateurs du Pai.

 

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