” Aller résolument vers la profonde refondation de nos institutions ”
Le Sénégal politique vit un contexte particulièrement chargé où il se joue moins les enjeux d’une élection , si cruciale soit elle pour un grande démocratie comme le nôtre , que la préparation de notre pays à son entrée dans une nouvelle ère de sa trajectoire politique et démocratique .
Les crises entre les acteurs politiques qu’il faut distinguer des crises politiques en République ont objectivement atteint de nos jours une profondeur et une intensité hors du commun ; Au point d’ aboutir à cette situation de quasi impasse par le blocage objectif du processus électoral au stade si avancé où il en était .
Au delà des prises de positions et commentaires véhéments et radicaux inévitables en pareilles circonstances, il y a bien lieu de permettre que les regards les plus différents se croisent pour fournir les meilleurs éclairages possibles sur ce si grand sujet de portée nationale.
Il convient de rappeler que nous vivons depuis 43 ans sous l’empire d’un modèle de “démocratie multipartisane illimitée ” selon la formule du Président Abdou Diouf qui en a ete l’instigateur à son arrivée au pouvoir en 1981 .
Le système électoral négocié depuis lors entre les acteurs politiques a permis la survenue de deux alternances à la tète de l’état et engendré un élargissement sans précédent des espaces de libertés .
Plus de 300 partis politiques , des centaines d’organisations syndicales , une grande explosion médiatique dans toutes les filières, toutes choses qui font du Sénégal un modèle de démocratie de référence partout à travers le monde .
Quoiqu’en disent les adversaires du pouvoir en place , le Sénégal a bien gardé son rang de grand pays de démocratie. C’est précisément pour cette raison d’ailleurs que le pays prend sa part de la profonde crise que traverse le modèle de démocratie libérale représentative qui n’épargne aucune grande démocratie au monde , y compris celles qui se présentent en donneurs de leçons chez nous . Au moment même où chacune vit chez elle les tumultes et les tourmentes d’une ébullition sans précédent dans son espace politique local . Les cas les plus connus étant ceux de la France et des États-Unis d’Amérique où les incertitudes des lendemains politiques sont, sous certains rapports, aussi sérieuses, graves et inquiétantes que chez nous.
Tout cela pour dire que nous sommes au cœur d’un modèle de démocratie libérale à bout de souffle . Les moments que nous traversons, au lieu de nous inciter à une surenchère collective objectivement suicidaire pour tous , devraient plutôt nous porter au courage d’entreprendre les réformes de fond qui sont fondamentalement des réformes de gouvernance de nos états dans le cadre de systèmes rénovés qui placent pour une fois les citoyens et les acteurs réels de la vie économique, sociale et culturelle au cœur du débat public et des processus décisionnels majeurs.
Aucun changement au sommet de notre état ne peut être libérateur de notre potentiel optimal de développement sans le préalable d’un nouveau régime politique avec des institutions réformées dans le sens de nous libérer de la tyrannie de castes politico- bureaucratiques . Le système étant structuré de façon telle qu’une fois au sommet de l’état par les moyens du suffrage citoyen, on s’installe naturellement , souvent sans s’en rendre , dans un entre-soi objectivement mortel pour les dirigeants et pour la société dans son ensemble.
C’est pourquoi, quelles que soient aujourd’hui les performances réalisées en termes de bilan physique , les attentes citoyennes en matière de gouvernance sont devenues toutes aussi essentielles que les demandes sociales qui s’expriment dans les différents secteurs de la vie nationale.
Il doit par conséquent être entendu que le seul projet politique qui vaille aujourd’hui à nos yeux est celui qui ouvre la possibilité de rétablir la relation organique et de confiance entre l’état et la société, les administrateurs et les administrés, les dirigeants et les citoyens. En un mot , réconcilier le “Sénégal d’en haut ” avec le ‘Sénégal d’en bas ” . Ce qui passe nécessairement par la profonde refondation de notre régime politique dans une perspective de rupture totale avec le Presidentialisme de type monarchique hérité de la France du général De Gaulle, modèle soit dit en passant qui n’existe nulle part ailleurs à travers le monde .soumis à l’épreuve de la pratique sur plus d’un demi-diecle , ce modèle se révèle vicié à la base en ce qu’il porte intrinsèquement en lui les travers de ” l’exercice solitaire du pouvoir ” et du ” pouvoir personnel sans partage “.
C’est la raison pour laquelle nous en sommes arrivé à la conviction qu’on aura beau nous laisser aller à des radicalités contre-productives à tout point , voire même suicidaires pour notre pays , le Sénégal n’en tirera profit qu’à la condition de saisir l’opportunité du dialogue , unique voie praticable de sortie de crise , pour nous entendre sur les termes de la refondation de ce modèle de gouvernance en fin de de parcours historique . Nous ne pouvons faire l’économie, si nous voulons réellement aller de l’avant, de penser et inventer un modèle de gouvernance qui nous soit propre , qui nous sort du mimétisme , y compris dans nos manières de mener nos combats . Comment par exemple, le recours systématique aux moyens de la grève à l’école peut il avoir sens dans le contexte d’un pays pauvre en lutte pour son développement où l’école publique est le principal moyen de garantie d’égalité des chances de réussite sociale entre enfants issus de catégories sociales marquées par des grandes disparités ?
Ce sont des questions majeures qu’on ne saurait éluder si tant il est vrai que le souci partagé est celui de sortir nos pays du sous-développement.
On ne peut toutefois y arriver si nous n’entreprenions tous l’effort de nous soustraire de la tyrannie que le complexe politico-médiatique exerce sur nos ” démocraties d’opinion ” où on existe plus par les ” coups de communication ” dont on est capable que par la qualité des idées qu’on professe.
Au point que tout le système est pris en otage par des agitateurs, professionnels de la parole publique au détriment des acteurs du champ de la vie réelle et des authentiques porteurs de projets d’émancipation économique et sociale.
L’appel lancé ce jour par les coordination des organisations patronales du Sénégal ne dit pas autre chose lorsque les acteurs du secteur privé rappellent que l’agenda républicain n’est pas que politique . Il est aussi social et économique “
Rappel important au regard de la configuration de notre économie réelle dont la parole publique des acteurs est bien loin d’être le reflet de ce qu’ils représentent dans la vie authentique de notre nation.
Il est utile de nous rappeler à cet égard que le Sénégal compte de nos jours plus de 18 millions d’habitants. La fraction active de cette population génératrice des revenus des ménages est constituée de 6, 5 millions d’hommes et de femmes qui logent , habillent , nourrissent, soignent , éduquent et préparent à l’exercice d’un métier les enfants et jeunes à leurs charges , en même temps qu’ils entretiennent des parents que l’âge a éloigné de l’activité productive.
Savoir que la fraction de ses actifs issus du secteur formel, public et privé confondus, compte à peine 500 mille salariés au total , parmi lesquels 178 000 appartenant au secteur public dont les 100 000 sont enseignants. Les salariés du secteur privé formel étant moins de 300 000 dans leur globalité.
Rappeler ses chiffres est important car ça rend compte de l’extrême déséquilibre entre la fraction modeste en nombre des acteurs du secteur formel ( 500000 ) parmi lesquelles , quelques centaine pas plus , issus de l’école publique, se croient dépositaire privilégiés de la parole publique, y compris , le droit sous prétexte de démocratie , d’installer un climat permanent de tension et de conflits sans fin dans l’espace public par médias interposés.
Le temps n’est il pas arrivé de replacer les autres 6 millions de nos compatriotes , du “Sénégal d’en bas ” qui font le quotidien du pays dans l’économie réelle , cette économie sociale dite non structurée au cœur des débats et de la décision ?
Les réalités sont les mêmes dans les sphères religieuses qui structurent et encadrent le quotidien de millions de Sénégalais au sein de nos communautés. Même chose avec les travailleurs du secteur productif , des entreprises et des administrations qui gèrent leur vécu social avec leurs organisations syndicales représentatives .
Recentrer sur ces acteurs en mettant à contribution la masse critique extrêmement riche et diversifiée de grands intellectuels et cadres seniors que compte le pays dans tous les domaines de compétences , y compris les plus pointus ; C’est cet exercice d’échanges vivifiants et enrichissants que nous devons entreprendre ensemble et nourrir en permanence dans le cadre du dialogue de type nouveau que nous impose la situation actuelle que vit le Sénégal.
Il est de notre devoir et de notre responsabilité, comme nous y invite le Khalife Général des Tidianes Serigne Babacar Sy Mansour , les anciens Présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade , ainsi que toutes les personnalités de bonne volonté et de bon conseil de faire prévaloir la retenue, la sérénité et la sagesse en ces heures graves qui vit notre pays.
Le Sénégal et les Sénégalais passeraient dramatiquement à côté de ” quelque chose ” si le dialogue auquel convie le président Macky Sall n’était pas saisi comme une grande et belle opportunité d’emprunter la voie d’une sortie de crise par le haut dans un esprit de réconciliation nationale.
On passerait tout autant à côté de ” quelque chose ” si on manquait l’occasion de ce dialogue pour rompre définitivement avec le Presidentialisme de type Jupitérien et monarchique , mode de gouvernance d’un autre âge et pour la refondation de tout l’écosystème de notre démocratie
Ces moments critiques que traverse le Sénégal doivent déboucher sur des accords en faveur d’un régime politique nouveau, avec des pouvoirs rééquilibrés entre les différentes institutions qui le composent.
L’occasion devrait être également saisie pour rompre avec cette conception naïve et quelque part infantile de la démocratie , en restituant à celle ci toute sa noblesse d’un modèle de gestion sereine de la cité , qui fait prévaloir le consensuel sur le conflictuel et qui allie autant droits et devoirs, que libertés et responsabilités.