Les résultats des examens se suivent et expriment l’état de santé chaotique du système éducatif sénégalais. Les échecs massifs des élèves au Brevet de fin d’études, au Baccalauréat et à l’échelle des cycles supérieurs de la formation technique et professionnelle et des Universités publiques constituent les indices d’une plaie profonde. Le système éducatif a atteint ses limites historiques à travers des échecs massifs au cœur du système éducatif.
L’échec massif aux examens est, et reste au cœur du système éducatif depuis plusieurs décennies. Cette donnée quasi structurelle est, à la limite, intégrée par les acteurs de la famille éducative. L’État, l’administration des établissements scolaires, le corps des enseignants, les parents des élèves et les apprenants eux-mêmes, acceptent, la mort dans l’âme, de composer avec ce “mal scolaire” profond.
C’est un consensus éducatif national inédit, autour de l’échec de millions d’enfants, accepté dans la logique normale des dysfonctionnements du système éducatif. L’école est ainsi rythmée par des taux d’échecs programmés et valorisés par certains puristes de l’excellence et de la performance, peu regardants aux effets destructeurs de ces échecs corrosifs sur notre système éducatif et le développement du Sénégal.
L’échec n’émeut plus. Personne ne penserait de nos jours porter une plainte contre l’État et les responsables académiques de ce fléau national. Ce “mal scolaire”, devenu ainsi un fait de société, devrait pourtant interpeler tout le système éducatif, tous les acteurs du système éducatif.
Au-delà de l’acceptation de l’échec scolaire ou de sa condamnation, l’échec scolaire massif des pans entiers de la jeunesse, met en relief la combinaison de plusieurs facteurs. Ces faits s’enchevêtrent et se combinent.
Il y a d’abord le niveau de préparation et de formation des élèves aux examens, les perturbations des enseignements, le déficit de l’encadrement pédagogique et les faibles moyens financiers consentis par l’État et qui se réduisent drastiquement au fil des évolutions. Ces faits constituent des facteurs explicatifs de ces échecs scolaires, toujours catastrophiques d’une année à l’autre. L’échec massif serait, dans l’entendement général, ainsi la conséquence majeure du fonctionnement du système éducatif.
C’est une approche classique que l’on avance fréquemment pour expliquer, pour valider l’acceptation de l’échec scolaire. Elle vaut ce qu’elle vaut. De nombreux acteurs du système éducatif, singulièrement les enseignants et les pouvoirs publics, s’accordent à des degrés différents avec cette explication fourre-tout de l’échec scolaire. Elle est largement, du reste, partagée par la société. Les défenseurs de cette explication de reproduction fonctionnelle de l’échec, n’en affichent pas moins des divergences criardes, dès qu’il est question de situer la responsabilité de cet échec massif de tout un système, ou de chercher des alternatives à cette logique infernale du système éducatif.
Ensuite, pour mieux comprendre ce qui passe à travers ces échecs massifs, répétitifs, dans le système éducatif depuis des années et des années, il semble indispensable d’interroger aussi la finalité du système éducatif. L’échec scolaire n’est-il pas devenu simplement une des finalités inavouables du système éducatif public et privé ? L’échec scolaire et la réussite sont certes deux composantes de l’éducation. On ne peut envisager l’échec sans la réussite et inversement. Ces deux composantes sont des éléments constitutifs de tout système éducatif. Quand le taux d’échec prend une proportion dépassant plus de la moitié des effectifs d’une classe, du nombre des candidats à l’échelle du pays et de manière constante, il y a lieu de susciter la réflexion au sujet de la finalité du système éducatif sénégalais. Réussite ou échec ?
L’enseignant persiste à croire encore, dans son imaginaire réducteur, que l’échec massif des élèves sanctionne le sérieux de l’enseignement, de l’examen et la qualité du système et non la médiocrité. Les meilleurs passent. Les moins bons et les mauvais sont éjectés par les rouages de la sélection scientifique, rigoureuse, des meilleurs élèves. C’est le culte de l’excellence. Elle fait la fierté de certains.
L’État central fait lui aussi siens les échecs massifs, et n’encourage guère la réussite du grand nombre des apprenants. Les capacités limitées de la puissance publique à former et à insérer les élèves dans le tissu socio-économique, participent indirectement à l’acceptation cynique des taux élevés des échecs massifs. Les pouvoirs publics fêtent l’excellence. Ils font avec la médiocrité ambiante du système. Les parents des élèves désespèrent, eux, progressivement des taux des échecs récurrents du système scolaire. L’échec est, pour les parents, le résultat d’un système éducatif devenu une “fabrique” d’exclusion sociale, de chômeurs et de marginaux sociaux.
Le système éducatif a bon dos d’exclure et va encore exclure, et davantage, des franges importantes d’élèves. Le système éducatif ne garantit désormais, ni l’éducation de tous les enfants en âge d’aller à l’école, ni la formation des élèves et des étudiants aspirant au savoir. L’échec est plus que du domaine du prévisible. Le rêve de l’insertion des produits de l’école et de l’Université publique dans le tissu social, culturel et économique, se meurt à petit feu dans une société acceptant la déperdition scolaire. L’échec scolaire massif des élèves est probablement une des finalités non écrites des limites de ce système éducatif.